Sidi Ould Cheikh Abdallahi

Pour ses partisans, c’est un vieux sage, discret, ouvert et pondéré. Pour ses détracteurs, une marionnette manipulée par les militaires. Qui est le nouveau chef de l’État mauritanien ?

Publié le 16 avril 2007 Lecture : 9 minutes.

On souhaiterait presque le voir autoritaire et irascible ; lui découvrir un passé un peu trouble, une folie de jeunesse, quelque accommodement avec la morale ; on aimerait trouver trace d’un parent trahi, d’une amitié encombrante Peine perdue. Investi le 19 avril après avoir été élu président de Mauritanie avec 52,85 % des suffrages exprimés, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (69 ans) est un homme sans histoires. Taille moyenne, regard doux, visage à peine souligné d’un mince collier de barbe Ses amis, comme certains de ses ennemis, dressent de ce technocrate un portrait immuablement élogieux. C’est, à les en croire, un homme modeste, sage, intègre, cultivé, respectueux, attentif, constant « Dans votre Occident, il serait ce que vous appelez un honnête homme », résume son ami Ahmed Ould Sidi Baba, président du Rassemblement pour la démocratie et l’unité (RDU). Un mélange de mesure et de mesure, en somme.
Sa victoire, « Sidi » l’a savourée sans triomphalisme. Une conférence de presse a bien réuni ses partisans et ses alliés au dernier étage de l’immeuble le plus haut de Nouakchott, où il a été accueilli par les chants d’une griote, mais la fête ne s’est pas prolongée. Très vite, son équipe s’est remise au travail. Sa priorité ? La composition du futur gouvernement (celle-ci sera annoncée dans les jours suivant son investiture).
Pendant sa campagne électorale, le « candidat qui rassure » s’est abstenu de tout coup bas – public, en tout cas – contre son principal adversaire, Ahmed Ould Daddah. Un mois durant, il a sillonné la Mauritanie de l’intérieur, déclinant à l’infini les six axes de son programme consensuel. Mais sans hausser le ton ni agiter les bras. Le style Cheikh Abdallahi exclut les poses de matamore. Chez lui, par tradition – il est né dans une famille maraboutique tidjane du Brakna (Sud) -, la retenue et la raison l’emportent sur les élans du cur.
Une anecdote. Un jour, dans les années 1960, alors qu’il étudie l’économie à Grenoble, dans l’est de la France, une bourgeoise à chien-chien l’arrête dans la rue et l’apostrophe : où a-t-il volé le plateau à thé qu’il tient serré sous son bras ? Le jeune homme, qui vient de recevoir ce cadeau de Mauritanie, ne s’en offusque pas et passe son chemin. Un peu plus tard, il raconte son aventure à des amis, interloqués par son flegme. « Il n’y avait rien à dire », tranche-t-il. « Il n’a pas changé », commente aujourd’hui un témoin de la scène. À deux jours du second tour, « Sidi » a fait savoir publiquement qu’il accepterait « très aisément » son éventuelle défaite. Prononçant ces mots, il souriait d’un air détaché. L’essaim de collaborateurs qui s’affairaient à ses côtés paraissaient sans nul doute beaucoup plus préoccupés ! « Sidi est capable d’aborder les problèmes sans passion, avec beaucoup de recul », confirme son ami Almoustapha Soumaïla, un ancien ministre des Finances du Niger avec lequel il a travaillé, à Niamey, pendant plusieurs années.
Cette distance, cette réserve sont, pour ses partisans, une marque de sagesse. Ses détracteurs, à l’inverse, y voient la preuve que Cheikh Abdallahi est un « président malgré lui » propulsé au sommet de l’État par Ely Ould Mohamed Vall, le chef de la junte militaire qui renversa Maaouiya Ould Taya le 3 août 2005. Celui-ci aurait, selon eux, la ferme intention de continuer à tirer les ficelles en coulisse jusqu’à la prochaine échéance présidentielle, en 2012. Cette année-là, « l’homme de paille » présumé aura 74 ans. Trop proche de l’âge limite (75 ans) pour être candidat, il pourrait alors se retirer et ouvrir un « boulevard » électoral à son « protecteur » Parfaitement informé de ces critiques, l’intéressé s’en amuse. Au cours de la campagne, il a insisté sur le caractère « indépendant » de sa candidature. Mais en prenant soin de préciser qu’il n’était « absolument pas gêné de constater que les militaires n’ont rien contre [sa] candidature ». En rhétorique, on appelle ça une litote.
Cheikh Abdallahi est le premier civil à diriger la Mauritanie depuis vingt-neuf ans. Une sacrée responsabilité. Avec lui s’ouvre le troisième chapitre de l’histoire de la Mauritanie indépendante (après celui de Moktar Ould Daddah et celui des militaires). Au sommaire : la démocratie, le partage du pouvoir et l’unité nationale. Pour en venir à bout, il lui faudra sans doute réussir à tenir à distance les militaires, dont certains ont tendance à considérer que les rênes du pays leur reviennent de droit.
Modéré, réservé, ce père de quatre enfants (trois garçons et une fille) sera-t-il à la hauteur de la tâche écrasante qui l’attend ? À entendre ses partisans, ses positions systématiquement consensuelles sont de bon augure pour l’unité nationale. Elles ont en tout cas convaincu les opposants d’hier. Emmenés par Ahmed Ould Daddah, ces derniers se sont déclarés, le 9 avril, disposés à contribuer, « dans des formes à convenir », à « l’uvre patriotique et de rassemblement ». « Il est capable de rapprocher des hommes que tout oppose », estime l’un de ses amis, qui rappelle que des membres de son entourage familial sont d’origine négro-africaine (son père a épousé une fille d’Ibrahima Niasse, grand marabout de Kaolack, au Sénégal). « Sa réserve n’est qu’une façade, il surprendra dans le bon sens », jure l’un de ses proches. « Il est faible et manipulable », riposte l’autre camp.
Quoi qu’il en soit, il faudra d’abord à Cheikh Abdallahi gagner la confiance des partisans les plus intransigeants d’Ahmed Ould Daddah, convaincus qu’il usurpe la place qu’il occupe aujourd’hui, mais aussi convaincre les Mauritaniens qui, tel Abdel, un habitant du quartier populaire d’Arafat, à Nouakchott, ne croient pas au changement : « Celui-là, dit-il en parlant de Sidi, c’est Ould Taya avec un autre visage. »
Censé ouvrir une ère nouvelle, le nouveau chef de l’État n’est pourtant pas exactement un débutant. Comme son adversaire du second tour, il a été formé à la vieille école, celle de Moktar Ould Daddah. Sa première apparition dans un gouvernement remonte au mois d’août 1971 – il n’avait alors que 33 ans -, en même temps qu’une ribambelle de « jeunes loups » devenus depuis des caciques de la politique mauritanienne, qu’il s’agisse d’Ahmed Ould Sidi Baba, le président du RDU, une composante de l’ex-majorité présidentielle, ou d’Ahmedou Ould Abdallah, aujourd’hui représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest. Cheikh Abdallahi sera successivement ministre du Développement industriel, de la Planification et, consécration avant le coup d’État du 10 juillet 1978, ministre d’État chargé de l’Économie nationale. Certains, à Nouakchott, se souviennent que le « père de la nation » entretenait avec le jeune économiste (il est titulaire d’un diplôme d’études approfondies) une complicité plus grande, sans doute, qu’avec les autres apprentis ministres. Mais de là à faire de ce dernier un « héritier » « Le président Moktar n’a jamais eu de dauphin », tranche Mariam Daddah, son épouse. « Sidi occupait des postes qui l’obligeaient à être plus proche de Moktar Ould Daddah, voilà tout », confirme Ould Sidi Baba. C’est en tout cas à cette époque que Cheikh Abdallahi acquiert « un grand sens du service de l’État », estime l’un de ses amis.
C’était avant la guerre du Sahara, pendant les « dix glorieuses », comme dit le journaliste Mohamed Fall Ould Oumère. Conduite par son chef charismatique (qui fut, en 1971, président de l’Organisation de l’unité africaine), la Mauritanie rayonne alors sur la scène internationale. Personne ne doute que l’industrialisation va entraîner mécaniquement le développement et l’indépendance économiques du pays. Tandis qu’Ahmed Ould Daddah, à la tête de la Banque centrale, pilote la naissance de l’ouguiya, la monnaie nationale, Cheikh Abdallahi, au ministère de l’Économie, supervise la nationalisation des mines de fer et lance un projet de raffinerie de pétrole (algérien, en l’occurrence) à Nouadhibou. Trente ans plus tard, celle-ci ne fonctionne plus depuis longtemps. Un échec dont ses détracteurs continuent de lui imputer la responsabilité. À l’époque, « Sidi », qui a, dit-on, épousé l’une des plus jolies femmes de Nouakchott, se montre fort mondain. On le voit dans les dîners, les réceptions
En 1978, tout bascule. Moktar Ould Daddah est renversé par un coup d’État militaire. Après un séjour en prison, Cheikh Abdallahi s’installe avec sa famille dans une maison du Cinquième, un quartier populaire de Nouakchott. Il n’a pas de travail et doit faire appel au soutien de ses proches. En 1982, il choisit de s’exiler avec femme et enfants à Koweït City, où il est, trois ans durant, conseiller économique au Fonds koweïtien pour le développement. De ces années dans le Golfe, on ne connaît que les grandes lignes : vie confortable, relations dans les milieux d’affaires et diplomatiques et, probablement, mal du pays
En 1984, le colonel Maaouiya Ould Taya renverse Mohamed Khouna Ould Haidalla. Au début, il fait figure de chef éclairé. Il sollicite Cheikh Abdallahi, qui accepte et, en 1985, rentre à Nouakchott, il se voit successivement confier le ministère de l’Hydraulique, puis celui des Pêches. Ce dernier poste lui sera fatal. En 1987, il est démis de ses fonctions à la suite d’une affaire jamais élucidée, mais que ses adversaires ne se font pas faute d’utiliser contre lui aujourd’hui.
À l’époque, aucun gisement de pétrole n’a encore été découvert. La pêche est, avec les mines de fer, le principal secteur d’activité du pays. Tout ce que le pays compte de notables entend bien profiter de la manne. Le ministre est continuellement sollicité pour faire immatriculer un bateau ou octroyer une licence, au mépris de la loi et de l’état des ressources halieutiques. Selon l’un de ses proches collaborateurs, Cheikh Abdallahi n’a jamais cédé, même lorsque les requêtes émanaient d’un membre de sa propre famille, de l’un de ses collègues du gouvernement ou même du sommet de l’État. C’est justement pour cette raison qu’il serait tombé en disgrâce et aurait été limogé. Le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale l’accompagnent dans cette charrette.
Cette version ne convainc pas tout le monde. Voyant dans cet épisode la preuve que « Sidi a trempé », certains veulent le forcer à se justifier. Mais les plus nombreux, dans l’un et l’autre camp, estiment que le nouveau chef de l’État a été victime d’une machination ourdie par Ould Taya dans le but de détruire les symboles de l’ère Moktar Ould Daddah. Reste que l’affaire lui vaudra de passer plusieurs mois en résidence surveillée à Ouadane, puis une libération sans autre forme de procès. Des deux ministres tombés en sa compagnie, l’un sera nommé ministre des Affaires étrangères, l’autre président du Sénat. Cheikh Abdallahi, lui, refuse toute nouvelle affectation et quitte une seconde fois le pays. Et pour longtemps, cette fois.
Il rejoint le Fonds koweïtien, qui le met à la disposition du gouvernement nigérien, dont il devient le conseiller. En 1989, il s’installe à Niamey – d’abord, dans une villa du quartier Plateau, puis dans un appartement – où il vivra jusqu’en 2003. Son rôle consiste à conseiller les autorités nigériennes dans leurs relations avec les bailleurs de fonds. « Un vrai travail », assure un journaliste local. Selon certains témoignages, il aurait refusé le poste de Premier ministre qu’Ould Taya, revenu à de meilleurs sentiments à son égard, lui aurait proposé.
Mais le jeune technocrate promis à un bel avenir n’est plus qu’un souvenir. Marqué par la résidence surveillée et sa traversée du désert, Cheikh Abdallahi commence à ressembler au vieux sage que décrivent aujourd’hui ses proches. « Il avait connu des ascensions et des descentes rapides qui avaient contribué à forger son caractère, se souvient, depuis Niamey, son ami Almoustapha Soumaïla. Mais ces expériences ne lui avaient laissé aucune amertume, il avait positivé. » Au Niger, Cheikh Abdallahi sort peu, travaille beaucoup et devient plus religieux qu’il ne l’était auparavant. « Il parlait de la Mauritanie comme de son pays, bien sûr, mais jamais de politique », dit encore Soumaïla.
Pourtant, quand, il y a environ un an, ce dernier, emprisonné pour détournement de fonds (il a, depuis, été libéré), reçoit la visite de son vieil ami, il n’est pas autrement surpris de l’entendre évoquer sa candidature (que Cheikh Abdallahi annoncera officiellement en juillet 2006). L’ex-exilé est rentré au pays trois ans auparavant, son contrat, renouvelé plusieurs fois, étant arrivé à son terme. Dans les mois précédant le coup d’État, « Sidi » a recommencé à se mêler de politique. Son ami Ahmed Ould Sidi Baba l’a convaincu de prendre la présidence de la commission économique du « Forum pour les valeurs démocratiques et de citoyenneté », une structure censée favoriser l’ouverture du régime Ould Taya. Le 3 août 2005 marquera la fin de son éphémère existence. Aujourd’hui, le président de la Commission économique est devenu le président tout court.

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