Rwanda : le mystère entoure l’arrestation de Paul Rusesabagina, accusé de terrorisme

Toujours entre les mains du Rwanda Investigation Bureau, dans l’attente d’être présenté à la justice, l’ancien directeur de l’Hôtel des Mille collines a été transféré de Dubaï vers Kigali dans des conditions encore obscures. Le mandat d’arrêt international qui le visait, consulté par JA, expose une longue liste de griefs liés au terrorisme.

Paul Rusesabagina décoré par l’ancien président américain George W. Bush, en 2005. © LAWRENCE JACKSON/AP/SIPA

Paul Rusesabagina décoré par l’ancien président américain George W. Bush, en 2005. © LAWRENCE JACKSON/AP/SIPA

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Publié le 3 septembre 2020 Lecture : 5 minutes.

La liste est interminable, et les griefs sont lourds. Suffisamment pour anticiper dès à présent qu’au terme du processus judiciaire qui le vise au Rwanda, Paul Rusesabagina s’exposera à une condamnation exemplaire. Depuis le 31 août, l’opposant en exil est en garde à vue à Kigali, dans l’attente de comparaître devant un magistrat. Rendue publique sur Twitter par le Rwanda Investigation Bureau, son arrestation a surpris tout le monde, aussi bien les proches que les détracteurs de celui qu’Hollywood avait rendu célèbre en 2004 à travers le film Hôtel Rwanda, de Terry George, retraçant le rôle de sauveur qui lui est prêté – abusivement selon de nombreux Rwandais – lors du génocide contre les Tutsi, en 1994.

Jeune Afrique a pu consulter le mandat d’arrêt international émis le 9 novembre 2018 par Jean Bosco Mutangana, alors procureur général du Rwanda, contre Paul Rusesabagina. Dans ce document de 14 pages, spécifiquement adressé à la Belgique, le haut magistrat égrène une longue liste d’accusations contre le Rwandais de 66 ans, qui dispose de la double nationalité belge.

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Outre la « constitution d’un groupe armé illégal », le document recense pas moins de six chefs d’accusation liés au terrorisme et contrevenant aux lois rwandaises. Paul Rusesabagina était également recherché par la justice pour « meurtre », « vol à main armée », « incitation à l’insurrection », « incendie criminel »…

Opposant farouche

Un retour au pays inattendu pour celui qui, en 1994, au moment où le génocide contre les Tutsi débutait, a supervisé la gestion de l’Hôtel des Mille Collines, au centre-ville de Kigali, où près de 1 300 réfugiés avaient trouvé refuge. Bénéficiant d’une maigre protection des casques bleus de la Minuar (Missions des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), de l’appui intéressé de Bruxelles et Paris – l’hôtel était la propriété de la Sabena et la France avait installé une station d’écoute dans les étages -, négociant quotidiennement avec les officiers de l’armée rwandaise (en particulier leur chef d’état-major, Augustin Bizimungu), Paul Rusesabagina était parvenu à traverser indemne le génocide, ainsi que la plupart des pensionnaires de l’hôtel.

En 2004, inspiré par ce parcours héroïque, Terry Jones en tire un film, dans lequel Don Cheadle interprète le rôle de Paul Rusesabagina et Sophie Okonedo celui de son épouse, Tatiana. Mais avant même la première projection officielle du film au stade Amahoro, à Kigali, Paul Rusesabagina fait connaître publiquement ses critiques contre le régime. Dans les tribunes, son siège reste vide.

Au cours des années suivantes, Rusesabagina franchit une à une les étapes vers une opposition résolue au président Paul Kagame. Au point d’assumer à plusieurs reprises, devant les caméras, l’option de la lutte armée.

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https://youtu.be/dZrXqNRfkmY

Cette approche jusqu’au-boutiste est officialisée le 4 juillet 2017 (jour anniversaire de la « libération » du Rwanda par le FPR), lorsque le parti qu’il a fondé, le Parti pour la démocratie au Rwanda (PDR-Ihumure) fusionne avec le Conseil national pour le renouveau et la démocratie (CNRD-Ubwiyunge) de Wilson Irategeka, une organisation armée. Les deux mouvements forment ensemble le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), lequel s’étoffera en mars 2018 d’une branche militaire, en absorbant le Rwandese Revolutionary Movement de Callixte Nsabimana, alias Sankara. Ce dernier devient le 2e vice-président du MRCD et le porte-parole des Forces de libération nationales (FNL), le bras armé du parti de Paul Rusesabagina.

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Dans son mandat d’arrêt, l’ancien procureur général du Rwanda détaille longuement les exactions et attentats imputés à ce mouvement armé, dont il attribue la responsabilité à Paul Rusesabagina et ses acolytes. Il s’appuie notamment sur des interventions publiques de « Sankara » dans divers médias, dans lesquelles il revendique des actes répréhensibles contre le Rwanda de Paul Kagame. Entre-temps, le guerillero a été arrêté aux Comores avant d’être livré à Kigali. Il a par la suite plaidé coupable et livré aux enquêteurs des confidences susceptibles d’incriminer Paul Rusesabagina.

Mystères

Depuis son arrestation, l’entourage personnel de ce dernier, tout comme les principaux mouvements de l’opposition rwandaise en exil, dénoncent à l’unisson un « kidnapping ». « Quand Calixte Sankara a été arrêté aux Comores, les services rwandais sont venu le chercher dans un avion privé et ils sont repartis avec lui dans le même avion », assure un sympathisant de Rusesabagina, selon qui « cette extradition déguisée s’est faite en dehors des lois internationales ».

Dans le cas du « héros » d’Hôtel Rwanda, un voile de mystère entoure les circonstances exactes de son arrivée à Kigali, où le RIB a annoncé son arrestation sur Twitter. Certes, cet organisme a précisé dans son premier message que cette interpellation a été permise par la « coopération internationale ». Mais à Kigali, depuis plusieurs jours, aucun détail n’a été fourni permettant de savoir quels États ont pu jouer un rôle dans l’opération.

Des bribes d’informations livrées par la famille et par un officiel anonyme cité par la chaîne CNN permettent toutefois de penser que les Émirats arabes unis auraient été la dernière étape de Paul Rusesabagina avant de se retrouver, à son corps défendant, sur le tarmac de l’aéroport de Kigali. L’homme aurait en effet atterri à Dubaï jeudi 27 août, ce que semble confirmer sa famille, qui lui a parlé au téléphone ce jour-là. Dès le lendemain, il aurait embarqué de son plein gré à bord d’un jet privé, à destination d’un pays d’Afrique centrale qui n’est pas cité.

Il a embarqué volontairement dans ce jet privé. Et lorsque l’avion a fait escale a Kigali, il a été placé en état d’arrestation. »

Seulement voilà : pour une raison inexpliquée, ce même avion se serait posé de manière imprévue à Kigali, où les autorités rwandaises, informées de l’identité de l’illustre passager, l’ont cueilli tel un fruit mûr.

Interrogée par Jeune Afrique, une source officielle rwandaise confirme cette version, sans être en mesure d’en dire plus : « Il a embarqué volontairement dans ce jet privé, ce que disent les autorités émiraties est exacte. Et lorsque l’avion a fait escale a Kigali, il a été placé en état d’arrestation, conformément au mandat d’arrêt émis en 2018. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais le Rwanda a profité de cette situation. »

Il n’est pas certain que Paul Rusesabagina aide à lever le voile sur les circonstances de cette arrestation surprenante. Dans un entretien accordé au correspondant à Kigali de The East African, le prisonnier a assuré « avoir été bien traité » et être en train de composer l’équipe qui sera chargée de le défendre. En revanche, il s’est abstenu de tout commentaire sur les charges pesant contre lui et sur les conditions de son arrestation, indiquant réserver ses déclarations à la justice.

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