Ocelot l’enchanteur

Le réalisateur Michel Ocelot a connu le succès avec « Kirikou et la sorcière ». Il travaille aujourd’hui sur « Azur et Asmar ».

Publié le 11 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Il y a un avant- et un après-Kirikou et la sorcière pour le dessin animé français. Le premier long-métrage du réalisateur Michel Ocelot, sorti en 1998, a en effet été acclamé par le public de nombreux pays, bien au-delà des espoirs des producteurs. Pourtant, les courts-métrages réalisés depuis plus de vingt ans par Michel Ocelot, comme la série Princes et princesses, témoignaient déjà des mêmes qualités : poésie et plaisir au service d’histoires pas tout à fait innocentes.
Michel Ocelot travaille aujourd’hui sur un nouveau projet de long-métrage, Azur et Asmar, dont la sortie est prévue en 2005. Rencontre.

J.A./L’INTELLIGENT : Kirikou témoigne-t-il de vos relations privilégiées avec l’Afrique ?
Michel Ocelot : Mon enfance passée à Conakry a été très riche. J’en garde des souvenirs d’équilibre, de bienveillance, de bonne humeur, de beauté, qu’il fallait bien que j’exprime un jour. Pourtant, avec Kirikou, le point de départ n’était pas de faire un film sur l’Afrique. Je suis parti d’un conte africain qui m’a frappé et séduit. Un enfant parle dans le ventre de sa mère, s’accouche et se lave tout seul. Son attitude et celle de sa mère me plaisaient. J’ai écrit le scénario en une semaine, avec une fin différente de l’originale, en suivant mes goûts et convictions, et en puisant dans différentes cultures, africaines ou autres. Ainsi, l’animal qui boit l’eau de la source est inspiré d’un conte alsacien, et le baiser qui transforme est, bien sûr, occidental.
Cela dit, la justesse de ce qu’on montre est importante à mes yeux. Les végétaux, les cases du village, les animaux et les héros sont africains, même si la manière de les styliser est un mélange entre l’art nègre et l’art-déco, avec une pincée d’art égyptien. J’ai appris à lire en Afrique avec les contes africains. Il était évident pour moi que l’entrée du souterrain devait se situer dans une termitière. J’ai voulu représenter l’Afrique avec des Africains, ce que personne n’a jamais fait avant moi dans un long-métrage d’animation. Je suis assez content du résultat. J’ai pu célébrer un peu la beauté de ce continent. Grâce à Kirikou, des milliers d’enfants roses se sont sentis noirs et ils ne pourront pas bêtement rejeter ceux qui, en fait, font partie de leur famille…
J.A.I. :Aviez-vous un message particulier à faire passer aux Africains ?
M.O. : J’ai un message pour mes frères humains, pas seulement pour les Africains : « Jetez tous vos gris-gris à la mer, les choses iront mieux. » Il ne faut pas faire de film si l’on n’a rien à dire. J’ai du respect pour les personnages de mes films, et si je peux offrir de la dignité aux gens, j’en serai heureux. Finalement, dans Kirikou, il n’y a pas de vrais méchants, tout au plus des lâches ordinaires, capables de mieux se comporter.
J.A.I. : Parlez-nous de votre prochain long-métrage, Azur et Asmar ?
M.O. : L’histoire est celle d’un enfant blond aux yeux bleus et d’un enfant brun aux yeux noirs, qui grandissent ensemble en France, comme des frères. Leur position dans la société n’est pas la même. Azur est issu d’une famille riche, Asmar est l’enfant de la servante et nourrice maghrébine. Vingt ans après, nous les retrouvons au Maghreb, mais leurs rôles se sont inversés. C’est une histoire d’immigrés, qui est liée à celle des Maghrébins de France. Mais c’est une fable, les rôles peuvent être inversés à l’infini. Je suis frappé par tous ces groupes dressés à se détester, et touché par les mains qui cherchent à s’atteindre malgré les barbelés. L’époque choisie pour le film est celle de la grande civilisation islamique, entre le VIIIe siècle et le XVe siècle.
Le film sera bilingue, en français et en arabe. Le français sera doublé ou sous-titré pour les versions étrangères, mais l’arabe restera sans sous-titres. Je trouve intéressant de présenter deux langues à des enfants – ça ne se fait pas – et d’avoir une langue qui reste incompréhensible, pour faire comprendre l’embarras des immigrés. L’histoire, elle, restera compréhensible tout le temps. Quant à ceux qui parlent les deux langues, tant mieux, ils sauront tout…
J.A.I. : De quelles références visuelles partez-vous ?
M.O. : Pour la période arabo-andalouse, il n’existe aucun document graphique avant le XVIe siècle, en dehors de deux peintures à l’Alhambra. C’est un de mes soucis. Les décors seront faits par collage sur ordinateur de photographies de constructions existantes au Maghreb et en Andalousie, avec quelques éléments pris en Égypte, au Liban, en Turquie. Les costumes seront européens, maghrébins et perses. Les bijoux berbères auront aussi de l’importance. Comme il est difficile de les représenter en animation traditionnelle, les personnages seront modélisés et animés sur ordinateur. Il nous reste des tests à faire pour en valider le principe, mais, comme d’habitude, le résultat sera un conte de fées.
J.A.I. : Pensez-vous que l’âge d’or de l’Islam soit révolu ?
M.O. : À partir du XVe siècle, l’Occident est devenu plus fort et plus créatif que le Moyen-Orient. La fin est venue pour les musulmans lorsqu’ils ont été trop conscients d’être les meilleurs, trop convaincus que tout se trouvait dans le Coran et qu’il n’y avait pas à chercher ailleurs. Pourtant, le Prophète semblait bien favorable à une recherche continue, « dussions-nous aller jusqu’en Chine ». Une approche trop étroite de la religion a fermé les fenêtres, empêché les échanges et les fécondations. Tout ou presque s’est arrêté.
Dans Azur et Asmar, je veux célébrer la civilisation islamique du Moyen-Âge, brillante et ouverte. Plongeant ses racines dans la Bible et les Évangiles, eux-mêmes nés au Moyen-Orient, la civilisation musulmane a pris le flambeau de la civilisation gréco-romaine quand l’Europe l’a lâché. Elle l’a enrichie d’autres apports et de développements, qui constituent aujourd’hui une partie des fondements de la civilisation occidentale. Il est bon de savoir d’où nous venons, ce que nous devons aux uns et aux autres.
J.A.I. : Avez-vous été marqué par des films africains récents ?
M.O. : Oui, plusieurs, découverts en début d’année au Festival du film africain de Milan, où j’étais juré. En particulier Mme Brouette, du Sénégalais Moussa Sene Absa, une comédie réjouissante qui traite cependant de sujets sérieux. J’y ai retrouvé l’Afrique noire que j’ai aimée, gaie, vivante, avec de la personnalité et des femmes magnifiques ! Mais aussi Poupées d’argile, du Tunisien Nouri Bouzid, qui traite du problème des petites bonnes. C’est un film sans défaut, tout y est juste et prenant. Enfin, Rachida, où la réalisatrice Yamina Bachir-Chouikh témoigne avec courage de la violence dans la vie quotidienne en Algérie.

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