Reprise économique : le Maroc mieux loti que l’Algérie et la Tunisie ?

Malgré un budget d’investissement ambitieux et une économie diversifiée, la relance de la croissance marocaine sera aussi dépendante de la météo et de la santé financière de ses partenaires.

Une famille marocaine à Rabat, le 22 septembre 2020. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Une famille marocaine à Rabat, le 22 septembre 2020. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Publié le 19 novembre 2020 Lecture : 6 minutes.

Après plus de trois mois de confinement – l’un des plus longs confinements au monde -, et alors que la situation épidémique ne cesse de se dégrader, l’économie marocaine connaît son pire exercice depuis 1995 – le Maroc, étranglé par une grave sécheresse et par une politique de rigueur budgétaire, avait alors enregistré une récession de 5,4 %

« Nous allons clôturer l’année avec une récession de plus de 6 %. C’est maintenant une certitude  », assure Larabi Jaïdi Senior Fellow au Policy Center for the New South (ex-OCP Policy Center) et membre de la Commission spéciale du nouveau modèle de développement (CSNMD). Le FMI n’est pas plus optimiste et parle dans son dernier rapport d’une contraction de l’économie chérifienne de 7% , à cause de la chute du tourisme, du ralentissement de l’industrie, mais aussi de la sécheresse.

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Fin septembre, le taux de chômage était de 12,7 % (+330 points de base sur un an), avec 581 000 emplois perdus. De quoi effacer les avancées réalisées les deux ou trois dernières années par l’économie nationale.

Incessante évolution

Certes, organismes internationaux et institutions financières s’attendent à une reprise, assez notable, dès 2021, avec une croissance de l’ordre de 5 %. Une « bonne nouvelle » à relativiser. « On ne pourra parler de croissance importante que si le niveau du PIB atteint son niveau d’avant la crise », signale ainsi un éminent économiste marocain. Or, le rattrapage du pays de l’année de référence – 2019 dans le cadre de la crise du Covid-19 -, n’est pas attendu avant deux à trois ans.

La particularité de la crise actuelle est sa durée et son incessante évolution, forçant analystes et décideurs à remettre sans cesse à jour leur copie. Ainsi, Bank Al Maghrib, qui misait en juin sur une reprise en V, a dû se raviser et renoncer au scénario d’une relance rapide.

Si la perspective de l’arrivée d’un vaccin avant la fin de l’année a pu donner lieu à des prévisions un peu plus optimistes ces dernières semaines, la reprise de 2021 sera aussi liée à la météo : les retards de pluviométrie et la sécheresse des sols assombrissent les perspectives d’un secteur agricole aux ressources déjà sous pression.

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Autant d’éléments pris en compte par Mohammed Benchaaboun, ministre des Finances, et ses équipes, lors de la préparation de la loi de finance 2021. « Il s’agit d’un dispositif multi-facette visant surtout à assurer le montage des moyens financiers pour alimenter la reprise et à présenter des conditions économiques idoines pour cette relance », estiment des analystes d’Attijari Global Research.

Mais la reprise économique du Maroc dépendra aussi de celle de ses partenaires, européens en particulier. La France, l’Italie et l’Espagne, qui concentrent à eux seuls 60 % des échanges avec le royaume, s’attendent à des croissances négatives pour cette année et à une reprise assez tardive.

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21 milliards d’euros d’investissements prévus

« La récession en Europe pourrait être plus profonde que prévu et conduira à une diminution potentielle des exportations marocaines, des recettes touristiques, des envois de fonds de l’étranger et des IDE au Maroc », détaille la Banque mondiale qui craint une pression sur les réserves de change et « une perturbation continue des marchés de capitaux mondiaux [qui] pourrait entraver l’accès aux financements ».

Pour Larabi Jaïdi, l’État peut jouer un rôle de catalyseur pour provoquer une relance soutenue, « avec un levier de dépenses publiques et des dépenses d’investissement suffisamment importantes ». À condition d’en surveiller l’efficacité, et de s’assurer notamment que « la dépense publique aille dans des secteurs qui ont un effet direct sur la création de richesses et qui peuvent jouer un rôle de relais rapides par la création des biens destinés au marché intérieur et à l’exportation », estime l’analyste.

Et la loi de finance 2021 prévoir de fait une enveloppe de 230 milliards de dirhams d’investissement (21 milliards d’euros), soit le niveau le plus haut jamais atteint. Ce chiffre représente une hausse de 26 % par rapport aux 182 milliards de dirhams dépensés en 2020, selon la loi de finance rectificative. Mais pour assumer ces grands investissements, la majorité des établissements et des entreprises publics devront passer par la case endettement.

Couverture médicale

« L’endettement devient un impératif en cette période de baisse de ressources. Mais au-delà de la question “comment et à qui emprunter ?”, il faudra s’interroger sur les réformes à mettre en place pour que la dépense soit la plus efficiente possible », explique notre cet économiste, qui insiste aussi sur l’importance des politiques sociales mises en place, comme la généralisation de la couverture sociale et de l’indemnité pour la perte d’emploi, nécessaires pour la cohésion sociale en ces temps de crise.

Et en effet, le PLF 2021 prévoit une hausse des dépenses sociales. D’un côté, et après une année de pandémie, le budget de la santé représentera désormais 6,9 % du budget général de l’État en 2021, contre 5,8 % en 2018.

Plus d’un milliard de dirhams a été ajouté en un an au budget du département de la santé, qui atteint ainsi 20 milliards de dirhams (1,8 milliard d’euros), notamment pour permettre la généralisation de la couverture médicale obligatoire. Un projet à 14 milliards de dirhams, dont 4,2 milliards de dirhams supportés par l’État en 2021, qui commencera à être mis en œuvre, comme l’a voulu le roi, en janvier prochain, et dont le déploiement devrait durer deux ans.

En Algérie, les craintes d’une nouvelle dépréciation du dinar

En Algérie voisine, la situation est plus préoccupante. Si le pays, plongé depuis le début de 2019 dans une crise politique, connaîtra comme ses voisins une récession de l’ordre de 6 % en 2020, il ne devrait se relever que de 2 % l’année prochaine. « L’Algérie connaîtra une sortie de crise particulièrement délicate s’il n’y a pas un rebond pétrolier, même si son niveau de l’endettement reste faible », signale notre économiste.

Pour 2021, la Banque mondiale prévoit que le cours du pétrole se stabilise à 41 dollars. Un niveau insuffisant pour que l’économie algérienne retrouve des couleurs, ce qui fait craindre à plusieurs économistes un recours à la planche à billets, comme il y a deux ans, le président Tebboune ayant réaffirmé le refus d’Alger de recourir à l’endettement, que ce soit auprès du FMI ou auprès d’autres institutions financières.

Et alors que les recettes liées à l’export des hydrocarbures représentent 9 5% des recettes d’exportation et plus de 50 % du budget global du pays, la Banque mondiale a exprimé son inquiétude quant à une forte dépréciation du dinar par rapport à l’euro, qui serait un coup très dur pour les importateurs locaux.

La Tunisie toujours en transition

La  Tunisie, qui a une économie légèrement moins diversifiée que celle du Maroc, devrait quant à elle enregistrer en 2020 une récession de plus de 6 %, et  une croissance de 6 % en 2021. Neuf ans après le Printemps arabe, le pays est toujours en période transitoire et le premier souci des autorités locales reste de consolider les acquis démocratiques. « La Tunisie n’a pas attendu l’arrivée du Covid pour vivre une situation de crise : son manque de stabilité politique ralentit vraiment la croissance », décrypte Larabi Jaidi.

Le pays a néanmoins quelques avantages en comparaison avec ses deux voisins nord-africains. D’un côté, la crise sanitaire y a été moins meurtrière – 2 500 morts, contre 5 000 au Maroc, et 82 000 cas cumulés contre plus de 300 000 au Maroc.

D’autre part, Tunis est depuis des années fortement soutenu par plusieurs institutions et pays de l’Union européenne. Entre 2011 et 2015, le pays a obtenu 1,3 milliard d’euros de la part de l’UE et 300 millions d’euros par an de 2017 à 2020. La BERD de son côté a financé 25 projets, déboursant 300 millions d’euros entre 2013 et 2017. Une dynamique qui devrait se poursuivre.

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