Éthiopie : la poudrière tigréenne

Plus de deux semaines après le début de l’offensive dans le Tigré, Abiy Ahmed assure être entré dans la dernière phase du conflit. Mais à la crainte d’un désastre humanitaire en cours s’ajoute les inquiétudes quant aux conséquences de cette guerre sur la stabilité de la Corne de l’Afrique.

Des combattants des milices régionales de l’Amhara, en route vers le Tigré où elles vont combattre le TPLF, le 9 novembre 2020 en Éthiopie. © REUTERS/Tiksa Negeri//File Photo

Des combattants des milices régionales de l’Amhara, en route vers le Tigré où elles vont combattre le TPLF, le 9 novembre 2020 en Éthiopie. © REUTERS/Tiksa Negeri//File Photo

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Publié le 21 novembre 2020 Lecture : 3 minutes.

Deux ans et demi après l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, et un an après que ce dernier a reçu le prix Nobel de la paix, l’Éthiopie est en guerre à l’intérieur de ses propres frontières. Depuis le 4 novembre et l’attaque perpétrée contre une base militaire située dans la région du Tigré, l’armée fédérale éthiopienne mène une offensive massive dans cette province septentrionale contre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Le parti, dont était issu Meles Zenawi qui a tenu le pays de 1991 à 2012 sous la bannière de la coalition du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), a cadenassé la vie politique éthiopienne pendant un quart de siècle, avant que l’arrivée d’Abiy Ahed au pouvoir ne signe sa perte d’influence.

Depuis le début des hostilités, les autorités éthiopiennes adoptent un vocabulaire martial, assurant à plusieurs reprises que le conflit serait rapidement réglé et que les troupes gouvernementales étaient proches de reprendre Mekele, la capitale du Tigré. Mais la coupure des communications dans cette région complique grandement l’évaluation du bilan des opérations et les proclamations de victoire revendiquées par chacun des deux camps sont difficilement vérifiables. Le gouvernement a assure avoir repris de nombreuses villes, mais le TPLF assure que les combats se poursuivent dans plusieurs d’entre elles.

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Les forces en présence

Dans un Tigré qui est la région la plus militarisée du pays, les autorités locales disposent d’environ 250 000 hommes (milices locales comprises), selon International Crisis Group, alors que l’armée nationale (l’Ethiopian National Defense Force) peut compter sur 150 000 hommes, dont une importante partie est stationnée dans le Tigré, selon une estimation relayée par l’AFP.

Difficilement envisageable il y a encore quelques mois, malgré les nombreuses tensions entre Abiy Ahmed et le TPLF, le scénario d’un conflit armé s’est aujourd’hui concrétisé avec, à court terme, la menace d’un désastre humanitaire et d’une régionalisation de l’instabilité.

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Aux racines de la crise

Abiy Ahmed est élu Premier ministre le 2 avril 2018, alors que des manifestations secouent les régions Oromia et Amhara (qui abritent les deux tiers de la population) depuis près de trois ans.

À l’origine du mouvement de protestation, dont la répression a fait au moins 940 morts selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme, le sentiment, très ancré au sein de ces deux communautés, d’avoir été marginalisées par l’élite tigréenne, qui compte pour 6 % de la population mais domine la scène politique depuis 1991 et la chute d’Haile Mariam Mengistu.

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L’arrivée au pouvoir d’Abiy et les annonces de réformes en cascade sont venues bouleverser le paysage. Les profonds changements impulsés par le jeune dirigeant ont souvent été interprétés par le TPLF comme une volonté de les tenir à l’écart du pouvoir.

Pour Abiy, le TPLF est vite devenu le principal obstacle à sa vision politique. Car la toile de fond de ce conflit est aussi idéologique, et illustre l’opposition entre l’unitarisme prôné par le Premier ministre et le renforcement du régionalisme revendiqué par le TPLF.

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Depuis le début du conflit, Abiy Ahmed s’est montré réticent aux différentes offres de médiation émanant de pays du continent. Le 19 novembre, le chef d’état-major de l’armée éthiopienne, le général Berhanu Jula, a même accusé le patron de l’OMS, le Dr Tedros Ghebreyesus, ancien ministre de la Santé de Meles Zenawi, d’œuvrer fournir des armes aux rebelles du TPLF, ce qu’il a démenti.

Mais Addis-Abeba a beau assurer avoir le contrôle de la situation sur le terrain, l’inquiétude de ses voisins ne faiblit pas.

Dans cette région instable, l’enlisement du conflit dans le Tigré pourrait avoir des conséquences à court terme pour les différents pays frontaliers.

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Autre dimension, pointée par de nombreux observateurs, celle de la possible propagation de l’instabilité dans le pays. D’autres régions sont déjà régulièrement le théâtre de violences intercommunautaires, mais la crainte d’une discrimination ethnique à l’égard des Tigréens inquiète.

De plus, à travers le pays, et notamment en Oromia, la région du Premier ministre, les espoirs suscités par l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed ont été largement déçus. S’il a trouvé un large soutien en Amhara depuis le début du conflit, le risque pour le chef de l’État éthiopien est de se retrouver fragilisé à l’issue de cette guerre dans le Tigré.

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