[Tribune] Fintech et philatélie de luxe pour sauver la Poste sénégalaise

Des années de gabegie ont transformé l’opérateur public en gouffre financier. Pour le relancer, il faut revoir ses missions et procéder à un dégraissage, estime l’éditorialiste sénégalais Ousseynou Nar Guèye.

File d’attente devant un bureau de Poste de Dakar, en 2019. © Pierre Vanneste/Hans Lucas/AFP

File d’attente devant un bureau de Poste de Dakar, en 2019. © Pierre Vanneste/Hans Lucas/AFP

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Publié le 11 décembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Abdoulaye « Bibi » Baldé, actuel directeur général de la Poste du Sénégal, nommé en avril 2019, en a paradoxalement été le ministre de tutelle, en tant que ministre de la Communication, des Télécommunications, des Postes et de l’Économie numérique, dans le gouvernement nommé en septembre 2017.

Sa rétrogradation du poste de ministre à celui de directeur général est révélatrice du surplace et de l’arriération des méthodes de travail et du cœur de métier de la société nationale. La structure crie à l’asphyxie, réclamant à l’État le paiement de créances d’un montant de quelques dizaines de milliards de F CFA. Plus exactement une redevance qui s’élève à 42 milliards de F CFA (64 millions d’euros). L’actuel ministre de l’Économie numérique et des Télécommunications vient d’indiquer que cela serait fait dans les meilleurs délais.

La Poste pense avoir des usagers, à une époque où il n’existe que des clients

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Toutefois, il y a fort à parier que cela ne changera rien au déficit structurel de la Poste, société obsolète qu’il est urgent de réorienter dans l’exercice de ses missions et de privatiser. Ou de fermer définitivement. L’ironie veut que, au moment où elle réclame une redevance à l’État, la Poste du Sénégal doive plus de 150 milliards de F CFA à ce même État, notamment au titre de sa dette sociale.

Léthargie et état comateux

Le fait que des pères et mères de famille travaillent dans cette structure parapublique exclut, comme option du gouvernement Sall, sa suppression pure et simple. Reste à la réorienter dans ses missions et contenus de produits et services. La Poste pense avoir des usagers à une époque où il n’existe que des clients, que l’on doit traiter comme tels, comme des rois donc. Tant en matière de rapidité et de qualité du service que dans le caractère innovant de ces mêmes services. Autrement, ils votent avec leurs pieds et leur portefeuille, et vont voir ailleurs.

Les « vaches à lait » que constituaient le télégramme et le mandat postal sont morts de leur belle mort. Plus personne n’achète de timbres à l’heure du courriel. La téléphonie a été sortie de la Poste depuis 1987, par la création de la Sonatel, extrayant de cette structure les joyaux de sa couronne. La léthargie et l’état comateux de la Poste ne datent donc pas d’aujourd’hui.

L’une des pistes pour que survive et renaisse la Poste réside dans la Fintech

Sous le régime du président Abdoulaye Wade, en 2004, dans le cadre du PPIP (Projet de promotion des investissements privés) financé sur demande du gouvernement par la Banque mondiale, l’un des volets de ce programme consistait en l’appui à la reconversion et à la réorientation de la Poste, alors déjà en déficit structurel. Il y a seize ans.

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Banque, philatélie de luxe et transfert de fonds

L’une des pistes pour que survive et renaisse la société réside dans la fintech : mais PosteFinances doit être une vraie banque (incluant le crédit et les prêts à ses clients, et non un simple service de caisse d’épargne à ses « usagers »). Elle a déjà l’avantage concurrentiel, dont il faut davantage et mieux tirer parti, de bénéficier d’un maillage de son réseau national dense, qui dessert les petits hameaux jusqu’aux improbables localités de Kounkané (région Centre) ou de Diawara, sur le fleuve Sénégal.

L’autre solution envisagée consiste à promouvoir une philatélie de luxe : des timbres à tarifs surtaxés peuvent être imprimés pour célébrer une occasion festive ou tout événement national (décès de personnalités, participation du pays à une compétition sportive, salon, foire ou forum international) pour l’achat par les particuliers, mais aussi le sponsoring de la commande de ces timbres par des entités corporatives et institutionnelles donneurs d’ordre.

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Le futur de la Poste, s’il doit être à nouveau radieux, passe aussi par la disponibilité de toutes les marques de transfert d’argent sous son enseigne. Enfin, la Poste doit pouvoir postuler à une licence de téléphonie mobile, surtout avec l’opportunité d’être un MVNO (Mobile Virtual Network Operator, opérateur de réseau mobile virtuel).

Réduction des effectifs et externalisation

Mais tout cela ne pourra se faire si la Poste ne réduit pas aussi ses effectifs, qui s’élèvent à 2 500 employés. Elle peut fonctionner avec 20 % de ses salariés. Elle peut y parvenir en arrêtant les recrutements reposant sur le clientélisme politicien et en ne renouvelant pas les postes dont les titulaires partent à la retraite.

Elle peut le faire aussi par l’externalisation de plusieurs de ses prestations sans valeur ajoutée évidente, comme la livraison de courrier express. La Poste du Sénégal n’est assurément pas au niveau, si l’on s’en tient à la vision mise en avant : «Faire de la Poste un véritable levier de croissance (acteur de développement) dans le contexte d’un Sénégal Émergent, par une approche innovante et fiable (sûre) tournée vers le multi-services (diversification de l’offre de services) ».

À quel horizon cette vision doit-elle être matérialisée ? Cela n’est pas dit et c’est une faute. Pour autant, cette vision commence à se matérialiser au regard de l’organisation opérationnelle des activités en trois sociétés distinctes : la société nationale SN La Poste, la filiale PosteFinances (créée en en 2005) et la filiale EMS Sénégal (créée en 2006). C’est assurément la bonne direction, qui fait partie des actions prises après les préconisations de la Banque mondiale sollicitée par le gouvernement du Sénégal.

Engagements non honorés

Mais, la logique de performance n’est pas assurée et poursuivie jusqu’au bout, avec ces effectifs pléthoriques et en progression constante. Depuis 2013, la masse salariale de la Poste dépasse son chiffre d’affaires. Cette masse salariale était de plus de 4 milliards de F CFA en 2012. Le Trésor continue de financer la société hors budget.

À cet égard, le financement du groupe SN La Poste par le biais d’opérations du Trésor « sous la ligne » contribue à l’accumulation d’engagements non honorés envers le secteur de l’énergie et à des retards de paiements dus à d’autres acteurs du secteur privé : la Poste constitue un dérapage budgétaire permanent du gouvernement sénégalais.

Toutefois, il serait dommageable que ce patrimoine historique, la Poste du Sénégal, créée en 1893, en vienne à mourir. Mais l’acharnement thérapeutique sur ce grand patient, entamée au milieu des années 1990, ne peut continuer ad vitam aeternam.

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