Andrew Nkea, l’archevêque qui veut réconcilier le Cameroun

Depuis quatre ans, faisant fi des menaces, l’archevêque de Bamenda œuvre en faveur de la paix dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Un engagement qui lui a valu le soutien du Vatican.

Mgr Andrew Nkea Fuanya (au centre) dans sa paroisse de Bamenda © Franck Foute

Mgr Andrew Nkea Fuanya (au centre) dans sa paroisse de Bamenda © Franck Foute

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 10 février 2021 Lecture : 4 minutes.

Les premiers rayons de soleil percent le lourd brouillard qui épaissit l’atmosphère de Mankon. C’est sur l’une des collines de ce quartier populaire de Bamenda que les missionnaires britanniques de la Mill Hill dressèrent en 1935, la petite chapelle devenue aujourd’hui la Saint Joseph Metropolitan Cathedral de Bamenda.

Ce vendredi 5 février, l’archevêque Andrew Fuanya Nkea, 56 ans, y célèbre une messe peu ordinaire. Il s’agit de sa première sortie depuis que le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican et deuxième personnalité du Saint-Siège, lui a remis le pallium, un ornement liturgique exprimant l’union étroite des archevêques avec le pape François.

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Pélerin de la paix

Mitre vissée sur la tête, Mgr Nkea égaye à coup de plaisanteries une assistance clairsemée, essentiellement composée des membres des différentes congrégations de son diocèse. Sans surprise, son sermon tourne autour de la paix. « Lorsque nous sommes confrontés à une situation troublante comme celle dans laquelle nous nous trouvons, nous devons nous rappeler les paroles du pape François qui nous indique que, dans de tels moments, le monde n’a pas besoin de paroles vides mais de témoins convaincus, artisans de paix qui rejettent l’exclusion ou la manipulation », martèle-t-il derrière le légile de bois massif.

Dans les arcanes de l’Église et du pouvoir comme dans les rues de Bamenda, l’engagement de Mgr Andrew Nkea en faveur de la résolution de la crise qui secoue les deux régions anglophones du Cameroun ne passe pas inaperçu. Une cause chère à cet anglophone originaire du Lebialem, l’un des six départements du Sud-Ouest.

Né en août 1965 au sein de la paroisse Saint-Matthias de Widikum, dans le Nord-Ouest, le jeune Andrew Nkea grandit entre les villes de Kumbo, Buea et Tiko, avant d’entrer au grand séminaire Saint-Thomas-d’Aquin de Bambui, en septembre 1985. Il en sortira en 1992 et sera ordonné curé de la paroisse de Mbonge, toujours dans le Sud-Ouest.

Andrew Nkea, l'archevêque de Bamenda. © MABOUP

Andrew Nkea, l'archevêque de Bamenda. © MABOUP

Au cours de ses prêches, il condamne les multiples abus perpétrés par l’armée

Lorsque la crise anglophone survient, en novembre 2016, l’ancien étudiant en droit canon de l’Université pontificale urbanienne de Rome achève sa troisième année en tant qu’évêque de la ville de Mamfé. C’est là qu’il bâtit sa réputation de pèlerin de la paix, à travers des prises de positions et des actions restées dans les mémoires.

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En novembre 2018, sans craindre de prendre le contrepied d’un rapport gouvernemental, il pointe ouvertement la responsabilité de l’armée après la mort du missionnaire kényan Cosmos Oboto Ondari, survenue à Kembong. La même année, il se rend dans l’État nigérian de Cross River, où se trouvent plus de 7 000 réfugiés camerounais, jetant une lumière crue sur les défaillances de la réponse humanitaire proposée par Yaoundé.

Au cours de ses prêches, il condamne les multiples abus perpétrés par l’armée. Bravant dans le même temps les multiples menaces des séparatistes, il prend part en octobre 2019 au Grand dialogue national organisé et multiplie les actions de sensibilisation pour le retour des élèves en classes.

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« Nous continuerons d’appeler les “Ambaboys” à sortir de la brousse et à renoncer aux armes, explique-t-il. Certains de ces jeunes garçons et filles sont convaincus de la justesse de leur combat. Mais ils ont besoin de nous. Non pas pour continuer à les traquer, mais pour les prendre au sérieux, les écouter et leur permettre d’exprimer leurs frustrations. »

« Dialogue franc et sincère »

« Il y a un problème dans le Cameroun anglophone, et il doit être examiné en profondeur si nous voulons que la paix règne dans ce pays », continue-t-il. « Détruire les écoles, c’est se tirer une balle dans le pied. Seul un dialogue franc et sincère peut nous conduire à solution de paix durable », ajoute le prélat, défiant quiconque de voir dans ses propos un soutien aux groupes séparatistes.

Dans cette crise, les déclarations des figures publiques sont promptes à être instrumentalisées. Mgr Nkea ne craint pourtant pas de mettre les pieds dans le plat, quitte à fâcher. « Seule la vérité compte », assure l’évêque, dont les armoiries – In spiritu et veritate (« En esprit et en vérité », en latin) – font écho à cette valeur à laquelle il affirme avoir fait une place centrale, inspiré par deux encycliques du pape Jean Paul II, son principal « modèle de spiritualité ».

La visite du cardinal Pietro Parolin à Bamenda a renforcé l’autorité de l’évêque

À Bamenda et dans le Cameroun anglophone en général, l’Église exerce une forte influence, et son autorité morale est réelle. L’histoire ne rapporte-t-elle pas qu’en 1922, le Fon Ndefru, chef des Mankon, avait cédé ses terres à l’Église catholique en espérant que « les missionnaires et leur Dieu » débarrasseraient l’endroit de la supposée malédiction qui lui avait valu le surnom de « Satan’s hill » (« colline du diable ») ? La mission fut un succès, à en croire la légende. L’Église y construisit sa chapelle et les populations recommencèrent à dormir sans craindre d’être hantées.

« Vaincre les ténèbres »

Près d’un siècle plus tard, les populations de Mankon formulent de nouvelles attentes à l’endroit de l’Église et de son représentant. Après quatre ans de conflit armé, elles veulent la fin des violences.

La visite du cardinal Pietro Parolin à Bamenda a encore renforcé l’autorité de Mgr Nkea, qui se dit disposé à jouer un rôle dans la poursuite du dialogue. Sur ce terrain, sa proximité avec des personnalités politiques telles que la secrétaire d’État à l’Éducation, Asheri Kilo Fofung, la famille Muna ou encore le chairman Ni John Fru Ndi pourrait être un avantage. Mais pour renverser le cycle des violences, il faudra surtout convaincre des belligérants qui se battent au quotidien.

L’archevêque y croit. « Tous ces gens dont on parle, militaires et sécessionnistes, sont mes chrétiens, avait-il lancé au cours d’une réunion avec les représentants de la diaspora camerounaise organisée fin 2020 aux États-Unis. Je leur parle comme je parle à qui que ce soit. Certains écoutent, d’autres pas. Comme l’Évangile que je prêche, certains écoutent, d’autres pas. Mais, saison après saison, l’Évangile du Christ doit continuer. La lumière doit vaincre les ténèbres. »

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