[Tribune] Et si l’Afrique volait au secours de Colombo ?

Près de douze ans après la fin de la guerre civile au Sri Lanka, les atrocités commises pendant cette période restent impunies. Réuni à Genève jusqu’au 23 mars, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pourrait adopter, grâce au vote de pays africains, une résolution ouvrant la voie à des actions en justice contre leurs auteurs présumés.

Des membres du Mouvement pour l’égalité des droits rassemblés devant le Secrétariat présidentiel à Colombo le 11 février 2020 demandent des certificats de décès pour les personnes disparues pendant la guerre civile au Sri Lanka. © LAKRUWAN WANNIARACHCHI/AFP

Des membres du Mouvement pour l’égalité des droits rassemblés devant le Secrétariat présidentiel à Colombo le 11 février 2020 demandent des certificats de décès pour les personnes disparues pendant la guerre civile au Sri Lanka. © LAKRUWAN WANNIARACHCHI/AFP

Stephen Rapp © Miriam Lomaskin Dunkan Pickard © DR
  • Stephen J. Rapp

    Ancien ambassadeur itinérant des États-Unis pour la justice pénale mondiale (2009-2015)

  • et Duncan Pickard

    Avocat collaborateur chez Debevoise & Plimpton LLP

Publié le 5 mars 2021 Lecture : 4 minutes.

De 1983 à 2009, une guerre civile particulièrement sanglante ravagea le Sri Lanka, causant la mort de près de 100 000 personnes. Pris au piège d’un conflit opposant le gouvernement à un groupe de rebelles, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, des dizaines de milliers de civils furent victimes de crimes de masse, d’homicides, de tortures, de privations de liberté. D’autres subirent des disparitions forcées et des violences sexuelles, tandis que certains enfants étaient enrôlés de force comme soldats.

Violations graves

Bien qu’une enquête des Nations unies datant de 2015 ait permis de réunir des preuves crédibles de ces crimes de guerre et  violations flagrantes des droits humains – commis par toutes les parties durant les vingt-six années de conflit –, les  gouvernements successifs n’ont de cesse de les nier et de tenter de les dissimuler.

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Réuni à Genève jusqu’au 23 mars, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies examinera donc le piètre bilan sri-lankais concernant la recherche de la vérité sur ces abominations. Comme il l’a déjà fait à deux reprises, il appellera de nouveau Colombo à répondre aux accusations de crimes de guerre et à établir les responsabilités des uns et des autres, seuls préalables à une véritable réconciliation nationale.

Le poids des treize pays africains siégeant au Conseil s’avère essentiel pour l’adoption d’une nouvelle résolution concernant le Sri Lanka

En réalité, ce qu’il faudrait surtout, c’est une résolution qui contribue à « renforcer la capacité des Nations unies » dans cette quête de vérité, qui garantisse des avancées rapides et qui permette aux victimes, toutes communautés confondues, d’obtenir réparation.

Il est donc essentiel que les treize pays africains siégeant au Conseil – l’un des deux groupes régionaux les plus importants, à égalité avec celui de l’Asie – pèsent de tout leur poids pour faire adopter toute résolution de nature à faire bouger les lignes.

La mobilisation africaine est d’autant plus souhaitable que certains des auteurs présumés de ces crimes odieux dirigent encore  le Sri Lanka. C’est le cas notamment du président Gotabaya Rajapaksa, élu en 2019. Secrétaire à la Défense et coordonnateur des opérations militaires durant les années les plus meurtrières du conflit, il est fortement soupçonné  de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

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« Aucune enquête autorisée »

En 2010, un an après la fin officielle de la guerre civile, alors qu’il occupait les mêmes fonctions au sein du gouvernement dirigé par son frère, Mahinda Rajapaksa, il avait sèchement déclaré à la BBC : « Je n’autorise aucune enquête dans ce pays. » Pas étonnant  donc que, depuis son accession à la magistrature suprême, Gotabaya Rajapaksa bloque toute initiative destinée à faire la lumière sur les crimes de la guerre civile, s’affranchissant sans vergogne des engagements pris par son pays en 2015 .

Les auteurs de crimes de guerre seront exonérés de poursuites et les enquêteurs feront l’objet de représailles

Dans le cadre de la résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme, le gouvernement sri-lankais avait alors promis de créer une commission Vérité et Réconciliation, un parquet indépendant, ainsi qu’un tribunal spécial composé de juges nationaux et internationaux. Depuis, rien de tel n’a vu le jour. En lieu et place, il a mis sur pied une commission présidentielle d’enquête dont la partialité ne fait guère de doute. Pour preuve, son rapport final, dont une copie a été divulguée, qui indique que les auteurs de crimes de guerre seront exonérés de poursuites tandis que les enquêteurs, eux, feront l’objet de représailles.

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Dans un rapport au ton cinglant publié le 27 janvier dernier et débattu lors de cette 46e session du Conseil, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, affirme que « l’état de déni du passé au Sri Lanka » a « enracin[é] plus profondément l’impunité et exacerb[é] la méfiance des victimes à l’égard du système ».

Afin de palier les défaillances des autorités sri-lankaises ou leur peu d’empressement à enquêter sur les crimes internationaux de ces sombres décennies de guerre, elle verrait bien la mise en place d’organismes onusiens indépendants de collecte de preuves, semblables à ceux qui ont été créés pour la Syrie et le Myanmar, et qui ont démontré leur efficacité.

Solidarité mondiale

Les survivants de la guerre civile sri-lankaise ont besoin de solidarité mondiale. Tous les membres africains du Conseil des droits de l’homme – au rang desquels le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Érythrée, le Gabon, la Libye, le Malawi, la Mauritanie, la Namibie, le Sénégal, la Somalie, le Soudan et le Togo – devraient donc appuyer la résolution fondée sur les recommandations de Michelle Bachelet.

Par leur vote des résolutions 19/2 (2012), 22/1 (2013) et 25/1 (2014) – ou par leur abstention –, des  États africains actuellement membres du Conseil – tels que le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Libye, la Namibie et le Sénégal – ont par le passé soutenu les Nations unies dans leur détermination à rechercher les responsables des atrocités de la guerre civile sri-lankaise. Le dernier de ces textes avait permis à l’organisation internationale d’ouvrir une enquête dont les conclusions, plus que jamais, accréditent l’existence desdits crimes.

Le leadership des pays africains est nécessaire pour rendre justice aux dizaines de milliers de victimes

Laisser entretenir l’impunité n’est pas une tragédie pour les seules victimes sri-lankaises. Cela crée également un dangereux précédent dont pourraient pâtir tous ceux qui, à travers le monde, subissent l’autoritarisme de plus en plus violent de leurs États.

Le leadership des pays africains est nécessaire pour rendre justice aux dizaines de milliers de victimes de la guerre sri-lankaise et au-delà. Soutenir une résolution présentée lors de la session en cours du Conseil des droits de l’homme est le point de départ idéal.

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