« The Dissident » : de l’affaire Khashoggi à l’affaire « MBS »

Réalisé par l’Américain Bryan Fogel, le documentaire sur le meurtre du journaliste saoudien à Istanbul est disponible en ligne depuis le 15 mars.

Des personnes tiennent des affiches du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi, près du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, marquant le deuxième anniversaire de sa mort, le 2 octobre 2020. © Emrah Gurel/AP/SIPA

Des personnes tiennent des affiches du journaliste saoudien assassiné Jamal Khashoggi, près du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, marquant le deuxième anniversaire de sa mort, le 2 octobre 2020. © Emrah Gurel/AP/SIPA

Renaud de Rochebrune

Publié le 24 mars 2021 Lecture : 3 minutes.

Peu après 13 heures, le 2 octobre 2018, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi pénétrait dans le consulat de l’Arabie saoudite à Istanbul. Il voulait obtenir, à l’occasion de ce rendez-vous fixé quelques jours auparavant par les diplomates de son pays natal, un document attestant de son divorce afin de pouvoir épouser une chercheuse en sciences politiques et journaliste turque, Hatice Cengiz.

C’était un piège. Khashoggi ne ressortira jamais du lieu où il était entré. Sa fiancée, qui l’attendra en vain, a eu le plus grand mal à alerter l’opinion quant à cette disparition inquiétante. C’était le début de « l’affaire Khashoggi ».

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Opération commanditée par Riyad

Depuis, grâce aux services de sécurité turcs, qui avaient truffé en toute illégalité le bâtiment diplomatique de micros, on a appris l’atrocité de l’événement. Dès son arrivée, le journaliste, pris en main par un commando spécialement venu de Riyad, a été immobilisé puis étouffé pendant sept longues minutes, la tête dans un sac plastique, avant de succomber. Son corps a ensuite été démembré et découpé à la scie puis vraisemblablement incinéré jusqu’à disparaître entièrement au domicile du consul. Ce dernier avait acheté une grande quantité de viande, juste avant l’assassinat, pour qu’on imagine qu’il avait ce jour-là organisé un barbecue.

Tout cela était déjà clair lorsque l’Américain Bryan Fogel, un documentariste réputé, oscarisé en 2018 pour un film sur le scandale du dopage des athlètes russes, s’est très rapidement emparé du sujet. Cependant, la responsabilité ultime de ce meurtre politique et ses raisons profondes étaient encore mal connues, même si l’on suspectait fortement un ordre venu du sommet de l’État saoudien. Plus précisément une « opération homo » commanditée par le jeune prince héritier et homme fort du royaume, Mohammed Ben Salman, alias « MBS », décidé à éliminer un opposant, influent à l’étranger.

Responsabilité de « MBS »

Outre la qualité de sa réalisation et de son montage qui, comme souvent quand il s’agit d’un documentaire anglo-saxon, ont à la fois le mérite et le défaut de donner à voir une sorte de thriller tout en étant très bavard, à coup d’innombrables témoignages, ce film a principalement le mérite de ne laisser aucune zone d’ombre autour de son sujet.

Il démontre d’abord implacablement ce qu’un rapport tout récent de la CIA a confirmé fin février, à savoir que la responsabilité de « MBS » dans le meurtre n’est pas seulement une hypothèse probable mais une certitude. Non pas parce qu’on en a la preuve formelle, mais parce qu’il est totalement impossible qu’il en soit autrement, en raison des circonstances et de la personnalité des auteurs de l’assassinat.

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Il avance de surcroît, avec l’appui d’un témoin convainquant, une hypothèse vraisemblable sur le principal mobile du meurtre. Certes, Khashoggi, ancien proche du pouvoir dans son pays, s’était exilé et était devenu un opposant, écrivant notamment dans le média américain The Washington Post des articles très critiques sur le régime, en particulier « MBS ».

On apprend en voyant ce film que l’« affaire Khashoggi » est d’abord et avant tout une « affaire MBS »

Mais, malgré l’incapacité de Riyad à accepter sa mise en cause par un de ses ressortissants, sans le qualifier de traître, cela ne suffisait peut-être pas pour imaginer qu’il avait franchi la ligne rouge de trop au point de « mériter » le traitement qu’on lui a infligé. En revanche, le fait que ce journaliste de grande réputation se soit mis, peu avant de tomber dans le guet-apens d’Istanbul, au service d’un mouvement d’opposition en exil très actif sur les réseaux sociaux, semble être apparu comme une menace impossible à parer par Riyad. Qui avait tenté en vain de décrédibiliser cette offensive d’un type inédit, se jouant des frontières et de la censure, en utilisant les services de centaines de trolls.

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Que cette dernière hypothèse soit la bonne ou non, on apprend dans tous les cas en voyant ce film que l’« affaire Khashoggi » est d’abord et avant tout une « affaire MBS ». Vu les intérêts en jeu au Moyen-Orient et la place de l’Arabie saoudite sur l’échiquier pétrolier mondial, on peut douter que cette évidence suffise à disqualifier le régime saoudien vis à vis de ses partenaires étrangers, à commencer par les États-Unis. Mais il est des « casseroles » qu’on traine toute sa vie.

The Dissident, documentaire de Bryan Fogel, sur toutes les plates-formes, depuis le 15 mars.

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