David Cowan, Citi : « Le départ de Sanusi ne change pas vraiment l’équation pétrolière au Nigeria »

David Cowan, économiste pour l’Afrique de Citi, l’une des plus grandes institutions financières au monde, était de passage dans les bureaux de « Jeune Afrique ». Il livre son point de vue sur la crise déclenchée au Nigeria par le licenciement de Lamido Sanusi et sur les récentes difficultés macroéconomiques au Ghana.

David Cowan est économiste pour l’Afrique chez Citi. © Citi

David Cowan est économiste pour l’Afrique chez Citi. © Citi

Publié le 25 mars 2014 Lecture : 7 minutes.

Jeune Afrique : Le récent licenciement du gouverneur de la Banque centrale du Nigéria, Lamido Sanusi, a perturbé les marchés. Comment analysez-vous les conséquences de son départ ?

David Cowan : D’abord, il faut bien garder à l’esprit qu’il était probablement plus populaire auprès des investisseurs internationaux que dans son propre pays. Extérieurement, les investisseurs l’ont toujours considéré comme la voix de la raison et avaient une foi importante dans sa capacité à maintenir la stabilité du naira – en réalité, la politique de stabilité du naira était largement perçue comme sa politique. C’était, du moins en partie, l’une des raisons pour l’augmentation des investissements étrangers vers les obligations d’État et les marchés boursiers nigérians depuis 2012. En particulier, à l’apogée, en 2013, environ 10 milliards de dollars ont été investis par des investisseurs étrangers sur le marché obligataire. Ces flux de capitaux indiquent que le Nigeria est potentiellement en train de passer d’un marché « frontière » à un marché « émergent ».

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L’inconvénient, c’est que le départ de Sanusi a créé une plus grande incertitude quant aux perspectives pour le naira, malgré les assurances de la banque centrale. Les entreprises locales craignent aussi que le naira ne subisse un ajustement majeur. Dans le contexte d’un affaiblissement général de la confiance envers les marchés émergents, quelque 4 à 5 milliards de dollars ont maintenant quitté les marchés obligataires depuis les sommets de 2013.

Y-a-t-il un risque que le Nigeria retourne à la situation de 2009 ?

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En effet, il y a un risque, mais il ne doit pas être surestimé. Le départ des investisseurs étrangers a entraîné une baisse des réserves de change. Mais nous pensons maintenant que ces sorties seront considérablement ralenties car de nombreux investisseurs sont passés d’une situation de surexposition au Nigeria à une position neutre. En outre, il y a la possibilité que si la banque centrale relève ses taux, certains nouveaux flux soient à nouveau attirés.

À l’approche des élections de 2015, il y aura avant tout une pression politique pour le maintien la stabilité.

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Attirer de nouveaux flux ne serait pas seulement stimulé si les réserves étaient stabilisées, mais aussi si la nomination d’un nouveau gouverneur de la banque centrale devenait effective. Bien que le gouverneur par intérim actuel, Sarah Alade, ait indiqué qu’elle ne changerait pas la politique de taux de change, la véritable clé est le point de vue du prochain gouverneur. Ce point de vue n’est pas encore connu, mais nous savons que le gouverneur proposé, Godwin Emefelie, qui doit encore être approuvé par le Sénat, est un technocrate. En outre, il n’y a pas beaucoup de pression politique pour un naira faible au Nigeria. En effet, à l’approche des élections de février 2015, il y aura probablement avant tout une pression politique énorme pour le maintien la stabilité.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’indépendance de la Banque centrale ?

Il faut garder à l’esprit que la politique monétaire a évolué très rapidement en Afrique durant la dernière décennie, et continuera d’évoluer. Dans toute l’Afrique, il y a maintenant un nombre croissant de banques centrales, dont celle du Nigeria, qui se sont éloignées de leur action historique sur le ciblage de la croissance de l’agrégat monétaire et qui se dirigent vers le ciblage de l’inflation et des taux d’intérêt pour signaler leur politique monétaire. Si vous regardez leurs sites Web, vous constaterez qu’ils fournissent aussi beaucoup plus d’informations. Ce n’est pas seulement de l’information statistique ; ils publient aussi des transcriptions de leurs réunions et, par exemple, vous pouvez même suivre les conférences de presse de la Banque centrale ougandaise sur twitter. Dans ce contexte, l’UEMOA progresse plus lentement.

Mais il faut prendre en compte deux autres points. Malgré ces progrès, de nombreuses banques centrales africaines ne ciblent pas véritablement l’inflation ; elles gardent aussi un œil sur l’évolution des taux de change. Cela peut conduire à une certaine « politisation » de leurs activités dans la mesure où les taux de change sont un indicateur économique important dans de nombreux pays africains.

Cela correspond également à un contexte plus large de manque d’indépendance des banques centrales sur le continent. Bien que nombre d’entre elles soient nominalement indépendantes, il n’y a probablement que deux banques centrales vraiment indépendants sur le continent, celle du Botswana et celle de Maurice. Mais ce qui est plus important, c’est que la politique monétaire a fait d’énormes progrès en Afrique durant la dernière décennie et il sera intéressant de voir les progrès réalisés dans la prochaine décennie. C’est aussi le cas au Nigeria.

Il n’y a que deux banques centrales vraiment indépendants sur le continent, celle du Botswana et celle de Maurice.

Le départ de Sanusi ne risque-t-il pas de compliquer la résolution des problèmes du secteur pétrolier nigérian ?

Le départ de Sanusi ne change pas vraiment l’équation pétrolière.

D’abord, les politiciens nigérians doivent encore se mettre d’accord sur la meilleure façon dont le pays peut commencer à épargner à nouveau avec un prix du baril toujours supérieur à 100 dollars. À cet égard, ils peuvent soit recommencer à épargner dans le Excess Crude Account (ECA), soit accumuler des fonds dans le fonds souverain (SWF). Ou bien ils peuvent choisir de mettre en place un nouveau mécanisme.

Mais ce qui est intéressant dans le contexte nigérian, c’est qu’il ne s’agit pas seulement du prix du pétrole, mais aussi de la production, tombée à environ deux millions de barils par jour (bpj) depuis la mi-2013. Il s’agit d’une contrainte majeure pour les recettes du pays. À cet égard, je vois trois défis principaux. Tout d’abord, selon les estimations du ministère des Finances, 400 000 barils sont perdus chaque jour en raison du vol. Deuxièmement, il y a la question de la transparence dans la compagnie nationale, la NNPC, montrée du doigt par Lamido Sanusi. Troisièmement, le secteur pétrolier est confronté à un défi structurel. Les États-Unis, traditionnellement le plus grand marché d’exportation, achètent moins depuis la révolution du gaz de schiste. Cela signifie que la NNPC doit vendre de plus en plus de son brut à des acheteurs asiatiques sur le marché spot. Ce sont des négociateurs exigeants et les coûts de transport sont plus élevés alors que les acheteurs américains étaient prêts à acheter dans le cadre de contrats à long terme et à payer une prime pour les bruts légers et non corrosifs nigérians comme le Bonny Light.

Au Ghana, les salaires et le service de la dette absorbent une partie de plus en plus grande des dépenses et des recettes.

L’autre grande économie anglophone de l’Afrique de l’Ouest, le Ghana, vit des moments difficiles. Comment expliquez-vous cela?

Le Ghana est un cas intéressant car il met en évidence deux points. Tout d’abord, le cycle électoral de quatre ans est, à mon avis, trop court pour un marché émergent. L’assainissement budgétaire entre les élections est tout simplement trop difficile dans un tel laps de temps. Deuxièmement, cela a empiré au cours des cinq dernières années pour un certain nombre d’autres raisons. D’abord une grande perte de discipline budgétaire a précédé le scrutin de 2008. Ensuite, la mort malheureuse et prématurée du président de l’époque, John Atta Mills, dans la perspective des élections de 2012, a rendu la tâche du ministère des Finances plus difficile que d’habitude pour imposer la discipline. Enfin, le début de la production de pétrole en 2010 a incité le gouvernement a aller de l’avant avec son projet de réformer complètement les salaires du secteur public, ce qui a entraîné une hausse de la masse salariale qui pèse désormais plus de 10 % du PIB.

Les salaires et le service de la dette absorbent une partie de plus en plus grande des dépenses et des recettes. Dans un contexte de déficit à deux chiffres des comptes courants, et même si la politique monétaire est très serrée, cela a inévitablement entraîné une forte dépréciation du cédi.

Le secteur informel n’a aucune raison de payer des impôts alors que le gouvernement ne lui fournit rien en échange.

Comment le Ghana peut-il sortir de ce cercle vicieux ?

Tout d’abord, l’ajustement en cours fera partie de la solution. Un cédi plus faible aura un impact à court terme négatif, à la fois sur la confiance et sur l’inflation, avec le risque d’une croissance ralentie. Mais à plus long terme, un cédi plus faible devrait contribuer à stimuler la croissance future, notamment dans le secteur agricole.

Mais la réalité derrière la crise budgétaire à moyen terme c’est qu’il n’y a qu’une seule solution réelle : capturer des revenus localement pour combler le déficit budgétaire. Si vous regardez les chiffres du FMI, les recettes publiques hors subventions des bailleurs ont été de 18,7 % du PIB en 2013. En comparaison, le FMI estime que, au Kenya, une économie de taille similaire, ce chiffre est de 23,4% du PIB. La moyenne pour les pays à revenu intermédiaire en Afrique subsaharienne est de 26,6 %. Ils ont donc besoin de taxer plus. La clé, c’est le secteur informel. Mais actuellement, ce dernier n’a aucune raison de payer des impôts alors que les gouvernements ne leur fournissent aucun service en échange.

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Propos recueillis pas Nicolas Teisserenc

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