[Tribune] Le divorce entre entreprises et écoles africaines n’est pas une fatalité

Pour créer des cursus adaptés à leurs besoins ou financer des groupes éducatifs, le secteur privé s’avère incontournable pour toute réforme durable. Il est grand temps de l’impliquer, selon Hervé Estampes, fondateur du cabinet de conseil Graduate.

L’enjeu pour les nations africaines est de devenir à leur tour une destination de choix pour les étudiants de la planète. © Andela

L’enjeu pour les nations africaines est de devenir à leur tour une destination de choix pour les étudiants de la planète. © Andela

Hervé Estampes © E.Legouhy-201
  • Hervé Estampes

    Fondateur du cabinet de conseil en stratégie ressources humaines Graduate

Publié le 24 mars 2021 Lecture : 3 minutes.

S’il est un phénomène que l’Afrique peut regretter, ce n’est pas, contrairement à ce que prétendent les discours habituels, une fuite des cerveaux, mais de ne pas voir ses enfants suffisamment étudier à l’étranger.

Selon l’Unesco, le taux de mobilité des étudiants est de 3,9 % pour l’Allemagne ou la France, de 3 % pour la Corée du Sud, de 2,2 % pour la Chine, mais de seulement 0,4 % pour la Tunisie, 0,3% pour la Côte d’Ivoire et 0,2 % pour le Sénégal. Cet indicateur constitue un marqueur solide de la contribution d’un pays aux élites mondiales et donc de son développement.

Les pays du continent doivent largement faire progresser leurs systèmes éducatifs

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Deux récentes nominations mettent en évidence l’intérêt pour les jeunes Africains de se frotter aux meilleurs. Celle du Sénégalais Makhtar Diop, formé dans les universités de Nottingham, puis de Warwick, qui vient d’être promu à la tête de l’IFC (groupe de la Banque mondiale).

Ainsi que la désignation de l’ex-ministre des Finances du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne élève de Harvard et de l’Institut de technologie du Massachusetts, pour prendre la direction de l’OMC.

Pourvoir à l’éducation du plus grand nombre

Pour qu’à l’avenir leurs enfants soient plus nombreux à siéger à la table des décideurs internationaux, les pays du continent doivent largement faire progresser leurs systèmes éducatifs.

L’enjeu pour ces nations n’est pas tant de retenir à tout prix leurs meilleurs élèves que de pourvoir à l’éducation du plus grand nombre et, pourquoi pas, un jour, de devenir à leur tour une destination de choix pour les étudiants de la planète.

Les écoles internationales incitent leurs consœurs africaines à élever leur niveau

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Dans ce contexte, on aurait tort de voir dans l’arrivée en Afrique des écoles internationales, notamment européennes, en forte accélération depuis une dizaine d’années, une nouvelle manifestation d’une relation à sens unique. Elles offrent avant tout à des dizaines de milliers de jeunes la chance de bénéficier de cursus, dont beaucoup répondent aux meilleurs standards.

La demande est telle que, loin d’écraser la concurrence, ces formations incitent, à l’inverse, leurs consœurs africaines à élever leur niveau. C’est le cas au Maroc où, après l’Esca de Casablanca, la Business School de l’Université internationale de Rabat était en novembre dernier la deuxième formation locale à être accréditée par l’Association to Advance Collegiate Schools of Business (AACSB).

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Réussir le « saut technologique »

Mais le continent doit aller plus loin pour réussir dans le domaine de l’éducation le « saut technologique » qui a mis en évidence qu’il n’est nul besoin d’avoir connu l’ADSL pour passer à la 4G, ou de multiplier les centrales à charbon avant de développer des énergies propres.

3 millions d’emplois sont créés chaque année quand 10 à 12 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail

Pour y parvenir, il convient d’être créatif en impliquant les entreprises dans le champ de la formation. Le groupe Eranove a montré la voie en relançant il y a quelques années en Côte d’Ivoire le Centre des métiers de l’électricité, qui délivre des BTS et des licences professionnelles, ainsi que des certificats de compétences conçus avec les entreprises.

D’autres modèles hybrides font leur apparition et sont à encourager. On citera l’école Sanya créée en 2017 à Madagascar, qui proposait à l’origine des formations en codage, en incitant les entreprises à payer les frais de scolarité, et qui désormais a en plus développé son agence pour placer ses diplômés.

Dans la même veine, la start-up Andela, créée en 2014 à Nairobi, est aujourd’hui pourvoyeur de talents, moyennant rétribution, pour des entreprises américaines comme ViacomCBS et d’autres.

Dépasser les modèles existants

La crise du Covid, en empêchant pendant plusieurs mois les cours en présentiel, a mis encore plus en évidence la nécessité de dépasser les modèles existants.

Selon une étude de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), commandée par l’investisseur d’impact I&P, trois millions d’emplois sont créés chaque année en Afrique, quand dix à douze millions de jeunes arrivent sur le marché du travail. Donner de solides formations à ces nouvelles générations est essentiel si l’on veut favoriser leur insertion professionnelle.

Fonds d’investissement, investisseurs d’impact, entreprises du secteur de l’éducation, fondations et institutions financières de développement doivent prendre la mesure du défi.

Entre 2012 et 2018, environ deux milliards de dollars ont été investis sur l’ensemble de l’Afrique par ces acteurs dans des prestataires de l’éducation privée. Une goutte d’eau quand on sait que révolutionner les systèmes éducatifs africains est l’une des clés de l’émergence du continent.

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