[Analyse] Rôle de la France au Rwanda : la realpolitik au détriment de l’Histoire ?

L’Histoire doit-elle faire profil bas lorsque les intérêts diplomatiques des États sont en jeu ? Deux rapports récents sur le rôle de Paris dans le génocide des Tutsi ont été l’occasion, pour Paris et Kigali, d’aplanir le contentieux qui empoisonne leurs relations depuis 27 ans.

Emmanuel Macron et Paul Kagame, à l’Élysée, le 23 mai 2018. © Francois Mori/AP/Sipa

Emmanuel Macron et Paul Kagame, à l’Élysée, le 23 mai 2018. © Francois Mori/AP/Sipa

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  • Mehdi Ba

    Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.

Publié le 24 avril 2021 Lecture : 8 minutes.

Les militaires français de l’opération Turquoise (ici à Gisenyi, au Rwanda, le 27 juin 1994) ont-ils reçu l’ordre de réarmer l’armée et les miliciens hutus auteurs des massacres ? © PASCAL GUYOT/AFP
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Génocide des Tutsi au Rwanda : quelle est la part de responsabilité de la France ?

Dans leur rapport, les chercheurs de la Commission Duclert sur le rôle de la France au Rwanda pointent de nombreux « dysfonctionnements » institutionnels et moraux. Mais ils n’ont pas eu accès à toutes les archives et ont passé certains événements sous silence.

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« Je pense que la France n’a pas participé à la planification du génocide et que les Français n’ont pas participé aux tueries et aux exactions. La France, en tant qu’État, n’a pas fait cela. Si la complicité se définit par ce que je viens de dire, alors l’État français n’est pas complice. »

Ce 19 avril, alors que le rapport sur le rôle de la France au Rwanda commandé par Kigali à un cabinet d’avocats américains vient tout juste d’être présenté à son gouvernement, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, écarte, dans un entretien au quotidien français Le Monde, ce terme lourd de conséquences qui sème depuis si longtemps la discorde entre les deux pays : « complicité ».

Deux heures plus tard, à Paris, une source élyséenne saisit la balle au bond : « Aujourd’hui, c’est une étape importante, non seulement au regard du contenu du rapport [rwandais] mais aussi et surtout au regard de la parole politique qui l’accompagne et des déclarations qui viennent d’être faites par le ministre des Affaires étrangères rwandais, dont vous avez pu constater qu’il conclut à l’absence de complicité de la France dans le génocide des Tutsi. »

Le 26 mars, dans son propre rapport, rendu au président Emmanuel Macron, la commission française d’historiens présidée par Vincent Duclert avait décliné toute pertinence à ce terme pour qualifier le soutien autrefois apporté par Paris au régime génocidaire rwandais : « La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer », écrivaient les chercheurs.

Enterrer la hache de guerre

Après 27 années d’une polémique inlassable, qui aura vu la relation bilatérale osciller entre une interminable « guerre froide » et de timides et ponctuels rapprochements diplomatiques, l’abandon, de part et d’autre, du mot tabou permettrait donc enfin d’enterrer la hache de guerre, dans l’espoir d’une réconciliation durable.

Une intention certes louable, à laquelle Emmanuel Macron a œuvré depuis son élection avec l’appui assumé de son homologue Paul Kagame. Mais une démarche qui, « en même temps », pose question : appartient-il à un État de lisser la réalité historique d’hier au nom des impératifs diplomatiques du moment ?

Faut-il voir dans le consensus franco-rwandais autour de ces deux enquêtes le désir de privilégier les impératifs de la realpolitik au détriment d’une écriture intransigeante de l’Histoire ?

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La question se pose avec d’autant plus d’acuité que le contenu respectif des deux épais rapports récemment rendus publics (990 pages pour l’un, 580 pages pour l’autre) vient documenter – dizaines de milliers de pages d’archives à l’appui – la faillite de la politique française au Rwanda durant la période où un régime extrémiste se revendiquant du « Hutu Power » mettait en place, puis en œuvre, la « Solution finale » au « problème tutsi ».

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