RDC : la Lucha racontée en bande-dessinée

La dessinatrice Kam et la journaliste Justine Brabant livrent avec « Lucha, Chronique d’une révolution sans armes au Congo » – publié en ligne sur JA.com en 2018 – une histoire vivante et informée du mouvement citoyen.

 © Editions La boite à bulles

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Publié le 28 mai 2021 Lecture : 4 minutes.

La bande dessinée est une arme de combat. Une arme pacifique qui s’empare des moyens journalistiques à sa disposition, y ajoute le pouvoir de séduction et de narration du dessin pour mieux décortiquer les affaires, les événements, les faits divers que les médias traditionnels se contentent trop souvent de survoler.

Incisive, provocatrice, populaire, la bande dessinée fait peur. En France, le scandale des algues vertes, patiemment décortiqué par Inès Léraud et Pierre Van Hove (Algues vertes, L’histoire interdite, La revue dessinée et Delcourt) a valu à ses auteurs menaces et procès. Il faut dire que leur enquête mettait en cause les grands groupes agro-industriels bretons et remontait jusqu’au plus haut sommet de l’État en égratignant au passage le tout-puissant ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

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Aujourd’hui, c’est aux dirigeants congolais de s’inquiéter : la journaliste Justine Brabant, spécialiste de la RDC, et Annick Kamgang, dite « Kam », dessinatrice de presse, ont uni leurs forces pour nous raconter l’histoire de la Lucha (« Lutte pour le changement »), le mouvement citoyen non-violent fondé en 2012 à Goma.

« Réveiller la conscience des gens »

Co-éditée par La Boîte à Bulles et Amnesty International, Lucha, Chronique d’une révolution sans armes au Congo replace le combat de ce groupe sans statut juridique ni dirigeant au cœur de l’histoire du Congo tout en le resituant dans un contexte panafricain contemporain : on sait les liens entretenus par les membres de la Lucha avec les « Y’en a marre » sénégalais et les « Balais citoyens » burkinabès.

Habilement, les autrices marient contexte politique global et revendications quotidiennes, comme celles relatives à l’accès à l’eau. « On essaie de réveiller la conscience des gens, explique ainsi Micheline Mwendike, confondatrice de la Lucha. Pourquoi il n’y a pas d’eau dans le robinet ? On essaie de discuter, de faire en sorte que les gens réalisent que ce n’est pas normal. Goma a les pied dans l’eau : l’eau du lac Kivu, immense réservoir d’eau douce. Alors on est allé aider les gens à puiser. On a fait des sit-in pour alerter l’assemblée provinciale. On a mobilisé les gens en ligne. »

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Bien entendu, quand on s’attaque aux problèmes du quotidien, il est fréquent de débusquer des affaires beaucoup plus graves : détournements d’argent, corruption des élites, impéritie des pouvoirs publics… La Lucha gêne, ses sympathisants sont menacés, violentés, emprisonnés ; les autorités tentent par tous les moyens de les discréditer. « Ces mouvements… On a l’impression que ce ne sont pas des initiatives locales, déclare ainsi Séverin Mugangu, directeur de cabinet de l’ex-gouverneur du Sud-Kivu. On a invité des gens à l’île de Gorée, ils ont été mis au courant de l’expérience du Burkina Faso, de je ne sais quel autre pays… C’est un problème. »

Un Burkinabè qui vient faire la révolution au Congo, c’est une agression

La stratégie politique est classique : nier l’existence de problèmes intérieurs et inventer de toutes pièces une influence étrangère antipatriotique… En la matière, l’ancien porte-parole du gouvernement congolais Lambert Mende était un expert : « Un Burkinabè qui fait la révolution au Burkina, c’est un révolutionnaire. Un Burkinabè qui vient faire la révolution au Congo, c’est une agression. »

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« Nous sommes indépendants »

Du côté de la Lucha, le son de cloche est bien différent. « Nous sommes indépendants, nous n’avons de contrat avec personne, explique Luc Nkulula. Mais les autorités aiment entretenir la confusion là-dessus. Je pense qu’ils n’arrivent pas à imaginer que des jeunes, de leur propre initiative, puissent se révolter contre une situation injuste, parce qu’ils viennent d’un système où l’on obéit aux chefs, un système où on ne les contredit pas. Si l’on se révolte, on doit nécessairement être manipulé ou payé par quelqu’un pour le faire. Ils ne peuvent pas imaginer que, tout simplement, on en peut plus. »

 © Editions La boite à bulles

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Sans œillères par rapport à la réalité, l’efficacité et l’ampleur du mouvement citoyen, les autrices insistent sur l’espoir qu’il diffuse au sein d’une société trop souvent gangrenée par la résignation : « C’est une lutte pour la paix, la justice sociale, la liberté, la dignité. C’est une lutte pour nous libérer nous-mêmes en tant que citoyens des chaînes de la peur, de la résignation, de la dépendance matérielle et morale, du conformisme et de la lâcheté. »

« Responsabilités désertées »

Sur le continent, la bande dessinée a souvent été utilisée de manière didactique pour diffuser des messages préventifs face à des maladies comme le sida ou le paludisme. Prophylactique, elle est désormais un moyen d’information à part entière, sur tous les sujets. Justine Brabant et Annick Kamkgang expliquent aujourd’hui la Lucha, demain Elizabeth Colomba et Aurélie Lévy raconteront la vie de Stéphanie Saint-Clair (Queenie, la marraine de Harlem, Anne Carrière, août 2021) dans le New York des années 1920 et 1930 tandis qu’Hélène Ferrarini et Damien Cuvillier reviendront sur les restitutions d’œuvres d’art africaines dans La Revue Dessinée (Juin).

S’informer de manière complète, différemment : certains tremblent déjà. Mais comme le dit Fadel Barro, coordonnateur du mouvement « Y’en a marre » dans sa postface à Lucha, « Il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des responsabilités désertées. »

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