(Rares) splendeurs et (fréquentes) misères des commissions électorales africaines

Derrière la plupart des élections organisées en Afrique subsaharienne, on trouve les fameuses Ceni ou Cena. Elles ont pourtant largement démontré leur inefficacité, et il serait grand temps de les remplacer.

Un agent de la Commission électorale de Zambie (ECZ) dans un bureau de vote de Lusaka, le 12 août 2021. © Patrick Meinhardt / AFP

Un agent de la Commission électorale de Zambie (ECZ) dans un bureau de vote de Lusaka, le 12 août 2021. © Patrick Meinhardt / AFP

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Publié le 31 août 2021 Lecture : 6 minutes.

Dans Alpha Condé – une certaine idée de la Guinée, son livre d’entretiens avec le journaliste François Soudan, paru en 2019, le président guinéen qui a, depuis, entamé un troisième mandat présidentiel l’année suivante, disait ceci sur le troisième bail au pouvoir qu’il s’apprêtait à briguer contre vents et marées : « Je n’ai pas d’idée arrêtée à ce sujet. Cela dépend du contexte de chaque pays. Il y a des chefs d’État qui sont restés trop longtemps au pouvoir sans que le pays progresse. La bataille a alors consisté à organiser des conférences nationales. C’était un moment donné de l’Histoire de l’Afrique. Il faut voir maintenant si nous en sommes encore là ou si ce moment a changé. Les conférences nationales résultaient de l’impossibilité de parvenir à des alternances au pouvoir, tout simplement parce que les élections n’étaient ni libres ni démocratiques. Depuis, les choses ont changé. Le débat est ouvert au niveau de l’Afrique. »

Abattre le totem des Ceni

Il oublie de dire que les conférences nationales ont apporté dans leur caravansérail, même pour les pays qui n’en avaient pas organisé, les fameuses Ceni ou Cena [Commission électorale nationale indépendante ou autonome], censées garantir la transparence et la sincérité des scrutins électoraux.

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On est pourtant là au cœur de la question politique subsaharienne. Car les choses n’ont manifestement pas changé. Les camps se font toujours aussi peu confiance. Et si le troisième mandat est un tabou qui peut (doit ?) cesser, les Ceni et Cena des pays  francophones surtout sont un totem qu’il faut abattre comme un vieil arbre vermoulu.

L’Afrique anglophone n’est pas en reste. Parlant des « Anglos » toutefois, une agréable surprise nous est venue récemment de Zambie. Le 16 août, la Ceni locale (Electoral Commission of Zambia) a annoncé la victoire de l’opposant Hakainde Hichilema, 59 ans. Ce dernier en était tout de même à sa sixième candidature présidentielle.

En Zambie, l’organisme de gestion des élections est indépendant

Une victoire annoncée par la Commission électorale et non par une quelconque cour constitutionnelle ou par un conseil constitutionnel. En Zambie, l’organisme de gestion des élections est indépendant : il délimite les circonscriptions électorales selon les évolutions démographiques, il gère l’inscription des électeurs sur les listes, il reçoit les PV des bureaux de vote et proclame les résultats. Enfin, il dispose de comités de gestion des conflits électoraux qui peuvent entendre des disputes sur les votes, même si ces comités n’ont pas le pouvoir judiciaire de trancher les litiges, ni celui de proclamer les candidats élus, qui revient à la Commission électorale.

Couacs et ratés des machines électorales

Pour en revenir à l’Afrique francophone, il existe des organismes de gestion des élections dits indépendants dans les pays suivants : le Bénin, le Burkina, le Burundi, le Cameroun (Elecam), la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, la Guinée, Madagascar, le Niger, Maurice, la RDC, le Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, le Togo – sans oublier la Tunisie au Maghreb.

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Cette présumée « indépendance » de l’organisme n’empêche pas des couacs d’importance, pour ne pas dire des ratés colossaux dans la machine, qui est tout sauf huilée : les résultats de la dernière présidentielle en Guinée-Bissau, au Togo, au Cameroun et au Niger ont été contestés fortement par le challenger arrivé deuxième, et ont donné lieu à violences post-électorales.

Entre décembre 2010 et avril 2011, le président de la Ceni ivoirienne, un seul et même homme, inspiré certainement par la guerre civile d’alors, a successivement proclamé président élu Laurent Gbagbo, puis Alassane Ouattara !

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Au Bénin, lors de la dernière joute électorale, le sortant Patrice Talon s’est lui-même choisi ses (trop rares) adversaires, à la faveur d’une nouvelle loi sur un minimum de signatures d’élus pour pouvoir briguer la magistrature suprême.

Même subterfuge électoral du minimum de signatures d’électeurs pour être présidentiable mis en place au Sénégal par la majorité législative du sortant pour le scrutin de février 2019, dans un pays qui possède un organisme de gestion des élections mixte : la Cena. Mixte, comme c’est le cas au Cap-Vert, à Djibouti, au Gabon, au Mali, en Mauritanie, en RCA ou au Comores.

Des sages « incompétents » et décriés

En clair on a, d’un côté, une Cena chargée de l’organisation et de la supervision du processus électoral, ce qui comprend la gestion des listes et fichiers électoraux ainsi que des fichiers liés aux candidats et aux partis et, enfin, la gestion des procès-verbaux.

De l’autre coté, pour en faire un tandem supposé garantir la transparence, on trouve une DGE [Direction générale des élections, démembrement du ministère de l’Intérieur] qui est quant à elle chargée de l’application de la loi électorale, de la création et la distribution des cartes d’électeurs, du bon déroulement des élections, de la formation et la coordination des employés électoraux et de la gestion du financement électoral. Conjointement avec la Cena, la DGE est aussi responsable de la gestion des fichiers électoraux, des listes électorales, du matériel électoral, de l’archivage de ces derniers, de la délimitation des circonscriptions électorales et de l’éducation civique.

Les Ceni et Cena n’ont rien réglé en trente ans

La France soutient ce schéma dit mixte en Afrique, l’organisme de gestion des élections de l’Hexagone étant lui-même mixte. Sauf qu’en France, point de Ceni ni de Cena : le ministère de l’Intérieur est la branche gouvernementale de ce système de gestion électorale mixte, sa branche indépendante étant le Conseil constitutionnel. Mais les Conseils constitutionnels africains dont les sages, nommés par le chef de l’État, sont si prompts à se déclarer « incompétents », en cas de saisine par l’opposition, sont si décriés…

En tous les cas, c’est à un minimum d’orthodoxie républicaine et de confiance en les institutions gouvernementales qu’il faut revenir. Les Ceni et Cena n’ont rien réglé en trente ans. Summum de l’ubuesque, en RDC, où il faut aller chercher les représentants des congrégations religieuses pour désigner le président et les membres de la Ceni, on ne voyait toujours pas de fumée blanche fin août 2021. C’était déjà la même situation en 2018 dans ce pays.

Bref, la Ceni, censée améliorer les élections, ajoute elle-même à l’imbroglio électoral. Faut-il à cet égard rappeler que la RDC n’a pas organisé d’élections municipales depuis 2006 ?

Restaurer la confiance… mais pas sans contrôle

Dans l’ouvrage cité au début de cette tribune, Alpha Condé, « l’homme des trois mandats » (co-titulaire du titre avec l’Ivoirien Alassane Ouattara), s’étonne : « Ce qui est le plus étrange, pour moi qui ai passé quarante-cinq ans dans l’opposition, qui ai été condamné à mort et ai fait de la prison, qui me suis battu pour la démocratie, c’est que ceux-là mêmes qui ont organisé les élections les plus frauduleuses dans l’histoire de ce pays prétendent aujourd’hui qu’il n’y a pas de démocratie ! ».

Non, président Condé, cela n’est pas étrange : le niveau d’exigence que vous avez opposé aux tenants du pouvoir d’hier doit vous être opposé aujourd’hui. Ce niveau d’exigence doit même être plus élevé en matière de standards démocratiques. Les barricades que vous avez dressées hier sont les haies que vous devez être en mesure de sauter à présent que vous êtes au pouvoir.

L’organisation des élections doit revenir à des organes gouvernementaux, avec possibilité de lancer tous les audits souhaités par les acteurs politiques tout au long du processus, au besoin en demandant la présence d’observateurs internationaux lors des différentes phases du scrutin. Et le vaincu, fût-il le sortant, doit reconnaître sa défaite. Ce sera peut-être (et même certainement !) un long processus que de parvenir à cette situation (ou d’y revenir et d’y demeurer) où le régime en place admet sa défaite éventuelle. Mais cela ne prendra pas les trente ans qu’ont duré les inefficaces Ceni et Cena.

C’est à cette neutralité belge que les pays subsahariens doivent arriver et revenir

Ce qui nous fait penser qu’en Belgique, l’organisme de gestion des élections est entièrement gouvernemental et constitué de fonctionnaires : c’est peut-être la raison pour laquelle ce pays a pu, plusieurs fois, rester plus d’un an « sans gouvernement », le cabinet sortant étant juste chargé d’expédier les affaires courantes. Sans que le ciel ne tombe sur la tête des Belges.

Oui, c’est à cette neutralité belge que les pays subsahariens doivent arriver ou revenir. Les acteurs politiques de camps opposés doivent (ré)apprendre à se faire confiance. Confiance qui, comme on le sait, n’exclut pas le contrôle. Les élections, fussent-elle présidentielles, ne sont pas une question de vie des politiques… ou de mort d’hommes !

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