JO 2024 : c’est quoi, une « vraie » femme ?

La boxeuse algérienne Imane Khelif aligne les victoires aux JO de Paris, mais c’est la controverse sur son genre qui retient l’attention. Une injustice déjà subie par d’autres athlètes femmes jugées trop masculines. Jeune Afrique republie ici une tribune de 2021 sur leur insoutenable mise à l’index, y compris par les instances sportives internationales.

La Burundaise Francine Niyonsaba à la finale du 10 000 mètres, aux jeux de Tokyo, le 7 août 2021. © DOUG MILLS/The New York Times-REDUX-REA

La Burundaise Francine Niyonsaba à la finale du 10 000 mètres, aux jeux de Tokyo, le 7 août 2021. © DOUG MILLS/The New York Times-REDUX-REA

Clarisse

Publié le 5 août 2024 Lecture : 4 minutes.

Laurel Hubbard… Son nom ne vous dit peut-être rien, mais cette haltérophile de 43 ans est entrée dans l’histoire des Jeux olympiques en devenant la première sportive transgenre à participer à la compétition. Née homme, la Néo-Zélandaise avait déjà pris part aux jeux dans les catégories masculines avant de devenir femme vers l’âge de trente ans.

Certes, sa présence à Tokyo a provoqué un débat sur les questions d’identité et d’équité dans le sport. Certains ont préféré saluer les efforts du Comité international olympique en faveur d’une meilleure intégration des minorités sexuelles et de la non-discrimination.

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La Sud-Africaine Caster Semenya, la Burundaise Francine Niyonsaba, la Kényane Margaret Wambui, l’Indienne Dutee Chand et d’autres, moins connues, ne peuvent en dire autant. Athlètes femmes dites « hyperandrogènes », elles souffrent d’une insoutenable mise à l’index en raison de leur « virilité ».

Trop grandes, musculeuses, hanches étroites, poitrine plate, elles sont épinglées par la World Athletics (la Fédération internationale d’athlétisme) pour leur taux anormalement élevé de testostérone. Une anomalie naturelle, qui ne doit rien au dopage, mais qu’elles sont sommées de corriger par une hormonothérapie, depuis 2018, pour avoir le droit de participer à des compétitions mondiales dans leur spécialité.

Interventions chirurgicales

Les Nations unies estiment ce règlement discriminatoire et de nature à porter atteinte aux droits humains. Seule maîtresse en son royaume, la Fédération ne s’en émeut pas et oblige les athlètes à des choix qui, d’une manière ou d’une autre, portent atteinte à leur dignité. Pour abaisser leur taux de testostérone, on leur propose des traitements médicamenteux aux effets invalidants, voire des interventions chirurgicales lourdes.

On leur suggère sinon de se consacrer à de nouvelles disciplines pour lesquelles elles n’ont pas forcément de prédispositions, ou changer de catégorie et concourir avec les hommes… Une négation flagrante de la féminité de ces athlètes, déjà en butte à sarcasmes et préjugés, y compris de la part de la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, qui estime que certaines footballeuses « sans poitrine » ne pourront « jamais se marier ».

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Quelques-unes ont refusé de se soumettre à l’une de ces injonctions et sont privées de J-.O. C’est le cas de Caster Semenya, qui se considère « incontestablement femme » et qui croise le fer depuis une dizaine d’années avec la World Athletics pour faire reconnaître son droit à courir librement.

Alors que nombre de scientifiques assurent qu’il n’est pas prouvé que ce taux ait un quelconque impact sur les performances des athlètes hyperandrogènes, les instances sportives s’entêtent à le voir modifier, mettant en avant une « nécessaire discrimination », par souci d’équité entre athlètes.

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Règlement sexiste et misogyne

Là est la question. Au nom de quoi devrait-on exiger des athlètes hyperandrogènes qu’elles se débarrassent artificiellement de leur testostérone, sécrétée naturellement, si les basketteurs, eux, par exemple, ne sont pas vilipendés pour leur grande taille, qui constitue aussi un avantage ? Peut-être faudrait-il alors réguler, discipline par discipline, tous les avantages potentiels dont jouiraient tous les sportifs du fait de leurs caractéristiques physiques ?

Les athlètes hommes n’ont pas tous le même taux de testostérone. Pourtant, nul ne songe à les classer par catégorie en fonction de ce taux, comme on le ferait en boxe ou en judo. De là à juger ce règlement sexiste et misogyne, il n’y a qu’un pas que l’on franchit allègrement. Et certains n’hésitent pas à faire un procès en racisme, les athlètes concernées étant souvent originaires des pays du Sud.

Même s’il était établi que ces coureuses tirent avantage de leur taux élevé de testostérone, une instance sportive a-t-elle le droit de prendre le contrôle de la vie d’une athlète ? Peut-on décemment inciter les athlètes à subir des mutilations pour respecter les normes biologiques fixées par des fédérations sportives ? La déontologie médicale autorise-t-elle à administrer des traitements pour répondre à un enjeu sportif et non à un problème de santé ?

« Péché originel »

Dans le traitement réservé aux athlètes dites hyperandrogènes il transparaît un acharnement malsain. Il faut y mettre fin. Cela commence par un effacement du « péché originel »: ces fameux tests de féminité, très prisés des instances sportives, mais particulièrement avilissants et discriminants.

Depuis des décennies, ces instances s’ingénient à définir ce qu’est une « vraie » femme. De la définition par le sexe apparent elles sont passées à une définition par le sexe morphologique, puis par le sexe chromosomique et, enfin, par le sexe hormonal. Leurs errements traduisent bien leurs difficultés et celles des médecins du sport à fixer des critères permettant de définir ce qu’est en réalité une femme. Mais, hélas, aussi, leur obsession de la « binarité » des sexes dans un monde en pleine évolution.

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