Rama Yade : « L’échec américain en Afghanistan, un avertissement sérieux pour le Sahel »

Si la France a retiré ses troupes d’Afghanistan dès 2014, elle est toujours présente militairement au Sahel, malgré un retrait annoncé. Les désastreux événements de Kaboul doivent inciter Paris à réfléchir aux conditions de l’évacuation de ses soldats.

Un Marines américain, dans la province afghane d’Helmand, en juin 2009 (archives). © David Guttenfelder/AP/SIPA

Un Marines américain, dans la province afghane d’Helmand, en juin 2009 (archives). © David Guttenfelder/AP/SIPA

  • Rama Yade

    Directrice de l’Africa Center Atlantic Council.

Publié le 30 août 2021 Lecture : 5 minutes.

En septembre 2008, alors Secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme, c’était déjà la deuxième fois que je me rendais à Kaboul pour rendre visite à nos soldats français. Cette fois, sur le camp de Warehouse, je me suis recueillie devant le monument aux Morts érigé en mémoire de ceux d’entre eux tombés sur le sol afghan et il y en avait eu 10 au mois d’août précédent tombés dans une embuscade.

Malgré cette présence militaire assumée, la France que je représentais s’enorgueillissait néanmoins de sa singularité, par contraste avec l’approche américaine purement militaire. Voilà ce que je déclarais alors : « Les Afghans ont encore en mémoire l’ancienneté de notre coopération. Nous avons là-bas deux lycées français, créés dans les années 1920, qui ont une excellente réputation. L’hôpital français de Kaboul est une référence. Notre coopération archéologique pour la connaissance du patrimoine afghan, que les talibans avaient saccagé, comme avec la destruction des Buddah de Bamyian, est exemplaire. Et notre armée a noué des relations de proximité avec la population ».

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Avertissement

À travers cette déclaration, c’est toute la spécificité de la diplomatie française que je m’efforçais de mettre en lumière. À l’inverse des Américains, nous savions, nous Français, aller plus loin en étant au plus près des populations et penser le développement à long terme. Quelle fierté lorsqu’entourée de petites filles Afghanes scolarisées au lycée français Malalai, je voyais dans leur regard l’avenir d’un Afghanistan libre et souverain, et d’abord pour les femmes !

À cet égard, au vu des conséquences désastreuses du retrait précipité des troupes américaines d’Afghanistan, on aurait pu penser que les Européens, en particulier les Français instruits de leur singulière approche en Afghanistan, auraient appliqué une stratégie différente sur les terrains de combat où ils sont impliqués, comme le Sahel. Or, tel n’est pas le moindre des paradoxes que de constater la concomitance du retrait américain d’Afghanistan et la fin de l’opération Barkhane au Sahel.

Ce retrait français, avec la fermeture de bases militaires de Kidal, Tessalit et Tombouctou dans le Nord du Mali en 2022, s’organise alors que les critiques des populations civiles à l’endroit de la France n’ont jamais été aussi fortes. Et voilà que la France subit les mêmes reproches au Sahel que les Etats-Unis en Afghanistan. Comment en est-on arrivé à cela alors que, nous Français, savions mieux que n’importe qui l’importance d’accompagner l’intervention militaire de préoccupations plus sociales en direction des populations civiles (emploi des jeunes, inclusion des femmes, gouvernance, lutte contre la corruption etc) ?

La tragédie afghane doit agir comme un avertissement sérieux pour la gestion de la situation sahélienne. Elle résonne d’un écho singulier en Afrique où certains craignent qu’un retrait précipité de la France n’entraine le même scenario catastrophe, quand d’autres, au contraire, la pressent de partir pour éviter l’enlisement.

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Certes, les situations dans deux territoires que 8 000 km séparent, ne sont pas totalement comparables. La France ne se retire pas tout à fait : elle prépare une « transformation profonde » de la présence française et entre 2 500 et 3000 militaires devraient prendre en charge la lutte antiterroriste internationalisée. Elle a sans doute une connaissance plus approfondie d’une région sur laquelle elle avait exercé une longue tutelle coloniale. Quant aux jihadistes sahéliens, répartis sur cinq pays au moins, ils n’ont aucune expérience gouvernementale contrairement aux talibans qui ont dirigé l’État afghan entre 1996 et 2001.

Néanmoins, les deux zones sont confrontées à des défis similaires : il s’agit de territoires soumis à un interventionnisme militaire occidental et sous pression insurrectionnelle islamiste (Al-Qaida est un acteur clé dans les deux régions). En 2012, occupé par les jihadistes, le Mali avait failli basculer avec la chute promise de Bamako.

Un soldat français en patrouille à Gao, dans le nord du Mali, en août 2018. © Fred Marie / Hans Lucas

Un soldat français en patrouille à Gao, dans le nord du Mali, en août 2018. © Fred Marie / Hans Lucas

Les présences étrangères ne peuvent éternellement durer

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D’ailleurs, les jihadistes du Sahel n’ont pas tardé à réagir, galvanisés par la victoire éclair des talibans. Le chef de la branche sahélienne d’Al-Qaida, le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), qui avait prêté allégeance aux talibans au moment de sa création en 2017, a ainsi rendu hommage à l’« émirat islamique d’Afghanistan, à l’occasion du retrait des forces américaines d’invasion et de leurs alliés », après « deux décennies de patience ».

Tirer les leçons

Tout ceci montre que les présences étrangères ne peuvent éternellement durer : si avec les États-Unis, la durée de 20 ans avait semblé anormalement longue, la présence française depuis 2013 avec les opérations Serval puis Barkhane peut susciter des interrogations sur sa longueur.

Selon les données de the Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), l’année 2020 a été la plus meurtrière depuis le déclenchement de la guerre au Sahel. Les États qui consacrent 30 % de leur budget à la sécurité sont incapables de s’attaquer aux racines de la contagion terroriste, ni de remédier au chômage des jeunes, à la pauvreté, à l’absence de services publics dans de vastes territoires désertiques et à la mal gouvernance.

Ni les 15 000 soldats de la Minusma ni les programmes européens de formation à la sécurité (EUTM and EUCAP) n’ont pu changer la donne. La communauté internationale elle-même n’a jamais tenu ses engagements financiers en matière de développement économique et social. Résultat : selon une déclaration faite en janvier 2020, l’envoyé spécial des Nations unies, avec « plus de 4000 décès », « le nombre de victimes d’attaques terroristes a été multiplié par cinq en trois ans au Burkina Faso, au Mali et au Niger », entre 2016 et 2019.

De l’échec afghan, il est encore temps de tirer les leçons pour le Sahel. Clairement, il est un appel aux Etats africains à ne plus compter uniquement sur les troupes étrangères mais à construire des armées nationales fortes, à mieux s’occuper des populations (pour éviter que le dénuement ne les entraine dans les rangs des combattants jihadistes) et à lutter contre la corruption qui a porté un coup fatal au gouvernement afghan décrédibilisé aux yeux des populations. Le fuite lâche et éperdue du président Ghani au moment de l’entrée des troupes talibanes dans Kaboul en a été l’illustration la plus éclatante.

Quant à la France, qui avait pressenti l’impasse américaine en Afghanistan au point de retirer ses troupes fin 2012 après avoir perdu 89 des siens et dépensé près de 500 millions d’euros cette année-là, elle doit maintenant appliquer ses propres principes au Sahel, ceux-là mêmes, qu’en son nom, j’avais défendus à Kaboul, si elle ne veut pas connaître le même sort que les États-Unis en Afghanistan.

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