Les dessous d’un remaniement

Attendu depuis la réélection d’Abdelaziz Bouteflika en avril 2004, le réaménagement de l’équipe gouvernementale répond à de savants calculs.

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

La presse locale en a fait ses choux gras durant de longs mois. Le Premier ministre Ahmed Ouyahia n’a cessé de reporter le discours de politique générale de son gouvernement devant les députés, une intervention prévue initialement au début de la séance parlementaire du printemps, soit en mars 2005. Son équipe était quasiment paralysée par l’attente de l’annonce fatidique. Finalement, la dépêche d’Algérie Presse Service (APS) est tombée en ce jour férié du 1er mai. Le président de la République Abdelaziz Bouteflika a nommé, sur proposition de son Premier ministre, un nouveau gouvernement.
Attendu depuis la réélection de Bouteflika, le remaniement n’est donc pas une surprise. D’autant que certains discours de « Boutef » laissaient entendre qu’il n’était pas très content de son exécutif. S’en prenant, sans les citer, à ces ministres qui « attendent qu’on leur mâche tout le travail », le chef de l’État a reconnu à de nombreuses reprises qu’il avait fait quelques erreurs de casting. Durant les six mois écoulés, il a entamé une série de consultations avec les membres du cabinet Ouyahia. Objectif : jauger le travail de ses ministres. « Cela a pris du temps, assure un collaborateur du chef de l’État, mais cela a été utile. » Quant au timing de l’annonce, il semblerait que Boutef ne pouvait plus surseoir au changement de gouvernement sans mettre en péril son Plan de soutien à la croissance économique (PSCE), un imposant programme d’investissement public de 55 milliards de dollars entre 2005 et 2009, dernière année de son mandat.
C’est donc un remaniement dans l’ordre naturel des choses, mais ceux qui s’attendaient à un départ du chef de gouvernement en sont pour leurs frais. Non seulement Ahmed Ouyahia est maintenu, mais la représentation de son parti, le Rassemblement national démocratique (RND), est renforcée avec le retour du professeur Yahia Guidoum, ancien ministre de la Santé, qui se voit confier le portefeuille, plus sensible qu’ailleurs, de la Jeunesse et des Sports. La totalité des ministres RND ont été reconduits dans leurs fonctions.
Autre victoire d’Ouyahia : le départ d’Abdelatif Benachenhou, ex-titulaire du maroquin des Finances (voir p. 48). Il était de notoriété publique que le courant ne passait plus entre Ouyahia et le grand argentier. Ce dernier, à dire vrai, s’était mis à dos la majorité de ses collègues. Son arrogance – il se prévalait ostensiblement de son appartenance au cercle rapproché du président – empoisonnait l’atmosphère durant les Conseils de gouvernement. Quant aux partenaires sociaux, ils ne voulaient plus avoir à faire avec lui. Bref, Bouteflika a arbitré, et sacrifié son ami.
Cependant, la principale nouveauté de ce gouvernement vient de la nomination d’un ministre délégué à la… Défense. Entorse à toutes les règles protocolaires, ce ministre est en sixième position dans l’ordre de préséance, après le chef du gouvernement et quatre ministres d’État (respectivement Yazid Zerhouni, à l’Intérieur, Abdelaziz Belkhadem, représentant personnel du chef de l’État, Mohamed Bedjaoui, aux Affaires étrangères, et Bouguera Soltani, sans portefeuille). Autre curiosité, le communiqué a amputé Abdelmalek Guenaïzia (voir p. 49) de son grade de général-major. Comme si on voulait laisser entendre que le titulaire du poste est un civil. Il est vrai que Bouteflika cumulant la présidence et le ministère de la Défense, ce dernier n’avait pas de visage. On a vu Zerhouni faire des « piges » en recevant des ministres de la Défense étrangers en visite à Alger, le chef d’état-major, le général Gaïd Salah, répondre aux invitations officielles adressées à Bouteflika. Désormais, cette charge incombera à Abdelmalek Guenaïzia. Cela dit, il ne fera pas que de la figuration. Ancien chef d’état-major, le général Guenaïzia devrait également accélérer le processus de la professionnalisation de l’armée, projet qu’il a lancé en… 1984.
Avec ce remaniement, Bouteflika a procédé à un rééquilibrage politique, donnant une place accrue aux islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) qui ont vu leur leader, Bouguera Soltani, bombardé ministre d’État, et leurs ministres reconduits pour certains et promus pour d’autres, notamment Hachemi Djaaboub, ministre de l’Industrie sortant, placé à la tête du Commerce. « C’est une grande marque de confiance, précise ce dernier, l’Algérie abordant le processus final d’adhésion à l’OMC. » Les ministres MSP donnent en effet pleine satisfaction au chef de l’État. Celui-ci est pourtant réputé exigeant.
En revanche, le FLN (ancien parti unique, aujourd’hui majoritaire au Parlement) a du mal à cacher sa frustration. En tant que première force politique, il voulait le poste de chef de gouvernement. Il ne l’a pas eu. Pis : son secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem (voir p. 49), a perdu la tête de la diplomatie. Il est vrai qu’il aurait, selon ses propres dires, demandé au chef de l’État de le décharger de cette fonction pour se consacrer exclusivement à son parti (voir p. 49). Le FLN n’a eu aucun lot de consolation. Surtout pas dans les secteurs clés de l’économie, chasse gardée du président. Les maroquins des Finances (réformes bancaires), de la Participation de l’État et des Investissements (Privatisation) ont été confiés à des hommes connus pour être proches du président. Le premier revient à Mourad Medelci, son conseiller économique, le deuxième à Abdelhamid Temmar (voir encadré), son camarade de classe au lycée d’Oujda, au Maroc. Quant au portefeuille de l’Énergie, il est resté entre les mains de Chakib Khelil.
C’est au ministère des Affaires étrangères qu’on se frotte les mains. « Depuis le départ d’Ahmed Attaf [aujourd’hui chez lui, en réserve de la République, NDLR] en 2000, se plaint un diplomate syndicaliste, nous n’avons eu droit qu’à des parachutés, des gens qui n’avaient rien à voir avec la maison. » Ce ne sera pas le cas avec Mohamed Bedjaoui, ancien ambassadeur, ex-ministre, magistrat à la Cour internationale de justice de La Haye et, jusqu’au 31 avril 2005, président du Conseil constitutionnel. Non seulement le nouveau ministre des Affaires étrangères est un habitué des lieux, mais la quasi-totalité des cadres de cette administration sont ses disciples. Autre atout de Mohamed Bedjaoui : il a l’oreille du président, qui sait écouter quand il veut. Certes, ce n’est pas Bedjaoui, avec ses 76 ans, qui va contribuer à baisser la moyenne d’âge des membres de l’exécutif, mais son expérience devrait contribuer à accroître l’efficacité de la diplomatie algérienne.
On ne peut évoquer le remaniement du 1er mai sans évoquer une bizarrerie : le maintien sans titulaire des portefeuilles de la Communication et de la Communauté nationale à l’étranger, qui « seront pourvus plus tard ». Si, pour le second, cette particularité relève de l’anecdote, il en va autrement pour le premier. Dans le cadre des réformes institutionnelles et de la mise à niveau de la législation, le nouveau code de l’information est plus qu’une urgence. À qui le ministre sortant, Boudjemaa Haïchour, nommé à la Poste et aux Technologies de l’information, laissera-t-il son avant-projet de loi ? À supposer que celui-ci soit prêt.

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