Mustapha Kachetel, le couscous « de père en fils et de mères en filles »

Marseille l’Africaine (1/4). Dans son restaurant Le Femina, ce spécialiste du couscous algérien à base de légumes secs et d’orge enchante les papilles de ses convives. Au point de pouvoir prétendre à une renommée internationale.

Mustapha Kachetel au Femina, à Marseille, le 3 octobre 2021. © Olivier Monge pour JA

Mustapha Kachetel au Femina, à Marseille, le 3 octobre 2021. © Olivier Monge pour JA

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Publié le 9 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique vous propose de découvrir quatre itinéraires hors du commun. © Montage JA ; Olivier Monge pour JA
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Mustapha Kachetel est rôdé à l’exercice : il en a vu passer, des journalistes attirés par la réputation de son couscous et par l’histoire de son restaurant, Le Femina, installé au bas de la rue d’Aubagne depuis le 26 juillet 1921 – cent ans tout juste ! Même le New York Times lui a tressé des louanges. C’est dire s’il pourrait être blasé par ces questions qui reviennent chaque fois. Mais non, il sourit, enthousiaste, heureux de raconter l’histoire de sa famille, de partager son amour des saveurs berbères tout en prêchant pour un monde apaisé réuni autour d’un même plat. Et si la recette des pères fondateurs n’a guère changé en quatre générations de cuisiniers et cuisinières, Mustapha Kachetel n’en ignore pas pour autant les exigences de la modernité : l’interview lui donne l’occasion d’un « Facebook live » en direct, le téléphone portable coincé face à lui dans un porte-menu !

Chapeau de paille vissé sur la tête, le chef ne se fait pas prier pour revenir, une nouvelle fois, sur la naissance de son restaurant : « Mon arrière-arrière grand-père et ses frères sont arrivés de Kabylie entre 1896 et 1898 pour travailler, pour bâtir, pour gagner de l’argent, dit-il. Ils sont venus seuls, sans leurs femmes. Ils arrivaient de Tazrout, près de Bouzeguène, dans la région d’Ath Handela, en Kabylie. Ils travaillaient surtout sur le port de commerce, mais en 1921, ils ont pris la décision de créer un restaurant de couscous et de pizzas. C’est peut-être le premier en France, peut-être le premier au monde ! » Ainsi naît Chez Kachetel, sous la houlette d’Arezki Kachetel, et le restaurant résistera à tout : seconde guerre mondiale, bombardement de Marseille, guerre d’indépendance de l’Algérie, inondations et, plus récemment, COVID-19…

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Faire médecine ou reprendre le flambeau familial

Mustapha Kachetel, lui, est venu au monde en 1972, en Kabylie. « Je suis le seul garçon, j’ai huit sœurs, s’exclame-t-il. Je suis né en Algérie, ma mère a toujours accouché en Algérie dans la maison de nos ancêtres, à Tazrout. J’y suis resté jusqu’à mes deux ans, j’ai vécu à Marseille, j’en suis parti à six ans pour y revenir ensuite. » Par l’intermédiaire d’un « ami corse », le père de Mustapha Kachetel lui obtient une place au collège privé monseigneur Henri François Xavier de Belsunce de Castelmoron, où il reste jusqu’en terminale. C’est alors que son père, qui dirige le restaurant, tombe malade. « Il a fallu choisir : continuer les études – j’envisageais de faire médecine – ou reprendre le flambeau familial, se souvient Mustapha Kachetel. Je n’ai pas hésité. Aujourd’hui je soigne ma patientèle d’une autre façon. »

J’ai choisi de rebaptiser le restaurant Le Femina, parce qu’il y a toujours eu des femmes en cuisine et que je voulais leur rendre hommage, dit-il

Pour le jeune homme, il n’y aura pas d’école hôtelière, seulement l’expérience des aînés et la « recette des Kachetel » pour concocter le couscous à la semoule d’orge qui a fait leur réputation. « J’ai toujours été là ! Petit, je faisais mes devoirs sur une table, dans le restaurant. Quand j’ai repris l’affaire, en 1988, j’ai commencé par supprimer le four à Pizza, puis en 1989 j’ai choisi de rebaptiser le restaurant Le Femina, parce qu’il y a toujours eu des femmes en cuisine et que je voulais leur rendre hommage. Au début, c’était toujours des hommes en cuisine, mais c’est bien la recette de ma grand-mère qui a été reprise par ma mère ! » Sur la devanture, au 1 de la rue du Musée, à deux pas de la boutique officielle de l’OM-Canebière et en face de la Maison Empereur, le credo des lieux s’affiche en lettres cursives : « Kachetel, de père en fils et de mères en filles ». Quant à la recette… « Vous verrez bien quand vous goûterez ! », lance le maître des lieux, avant de donner quelques clefs. « C’est le couscous des montagnards de Kabylie, à base de légumes secs et d’orge… »

Les ingrédients utilisés viennent de Kabylie, ou bien de la région marseillaise, achetés directement chez les paysans. Bien entendu, Le Femina propose aussi différents couscous à la semoule de blé. « Je suis berbère, explique Kachetel, le couscous à la semoule d’orge est ma spécialité. Aujourd’hui, tout le monde veut s’approprier le couscous, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, mais d’une maison à une autre, il y a toujours une manière différente de préparer le couscous. J’ai appris à cuisiner le couscous au poisson avec un Juif tunisien et je l’ai amélioré à ma manière, je l’ai fait évoluer. Récemment, lors du Kouss-Kouss festival, à la fin août, j’en ai goûté un excellent au chou sec grillé. Il faut toujours découvrir d’autres couscous ! »

Un pied en France, deux pieds en Algérie

En 100 ans d’existence, le Femina a vu passer bien des personnalités, des présidents de la République française – Nicolas Sarkozy et François Hollande, parité respectée – mais pas encore de président algérien. « J’ai un pied en France et deux pieds en Algérie, plaisante le chef, qui retourne souvent dans le village où sa famille possède une résidence et des oliviers. Il n’y a rien de compliqué dans les relations entre la France et l’Algérie. Ce sont les gens qui la compliquent. Il y a eu des erreurs commises des deux côtés, chacun doit prendre ses responsabilités et il faut savoir se pardonner. Pourquoi pas autour d’un couscous ! » Au mur du Femina, gravé dans le plâtre, une citation du poète et savant perse Omar Khayyam, chantre du vin. « S’il vivait de nos jours, Omar Khayyam arrangerait bien la planète, philosophe Kachetel. L’Islam est une belle religion qu’il faut savoir interpréter. »

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Ambassadeur enthousiaste des couscous, héritier d’une longue tradition familiale, Mustapha Kachetel est père de deux filles. Leur cédera-t-il les clefs, à l’heure de partir ? « Je ne leur souhaite pas ! C’est très dur de tenir une affaire comme celle-là, c’est difficile de la reprendre, on est un peu prisonnier de nous mêmes. » Pour l’heure, c’est son neveu, Mehdi, qui « en a très envie » et qui « fait son chemin ». De toute manière, Mustapha Kachetel poursuit sa propre route : avec 6 personnes au travail, Le Femina sert 100 à 200 couscous par jour. Et des projets d’agrandissement sont en cours dans la rue du Musée.

Ce soir-là, au bas de la rue d’Aubagne, on a voyagé bien au-delà de la Méditerranée

Mais il est temps, la graine chaude est servie, accompagné de son bouillon vigoureusement épicé où l’on distingue la pomme de terre, le pois chiche, le niébé (le fameux haricot à œil noir dit aussi cornille), et de sa viande d’agneau fondante drapée de coriandre fraîche. Petit conseil du chef, utiliser la cuillère en bois, qui respecte mieux les saveurs ! Et comment dire ? Ce soir-là, au bas de la rue d’Aubagne, on a voyagé bien au-delà de la Méditerranée, les papilles et le palais subjugués par tant d’arômes réunis. Plutôt se resservir que de chercher quelque chose à redire ! « Ma mère trouve toujours quelque chose qui ne va pas, pourtant, confie Mustapha Kachetel. Le couscous d’une mère, c’est sacré ! » De mère en fils, on vous dit.

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