France – Algérie : des tensions bien commodes

Propos polémiques d’Emmanuel Macron côté français, fermeture de l’espace aérien côte algérien… Les passes d’armes entre les deux pays semblent avant tout motivées par des stratégies de politique intérieure, à Alger comme à Paris. 

Manifestation contre le report des élections présidentielles, en mars 2019, à Alger © Nacerdine ZEBAR/Gamma-Rapho via Getty Images

Manifestation contre le report des élections présidentielles, en mars 2019, à Alger © Nacerdine ZEBAR/Gamma-Rapho via Getty Images

Adlene Mohammedi © DR
  • Adlene Mohammedi

    Docteur en géographie politique de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la politique arabe de la Russie.

Publié le 7 octobre 2021 Lecture : 3 minutes.

Quand une politique étrangère n’en est pas vraiment une, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. Pour reprendre la formule de l’officier prussien Carl von Clausewitz, qui disait que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », on peut affirmer qu’aujourd’hui, entre la France et l’Algérie, la politique étrangère se réduit à la poursuite de la politique intérieure par d’autres moyens.

Dans le cas du pouvoir algérien, la chose était admise : tout comme sa relative prudence sur la scène internationale, sa mentalité d’assiégé – prioritairement par rapport au voisin marocain et à l’ancienne puissance coloniale – est une forme de mécanisme de survie. La ritournelle de la « main étrangère », destinée à susciter un ersatz d’unité nationale, n’a pourtant pas fonctionné. Le Hirak, soulèvement populaire destiné à construire un État de droit et une démocratie assurant la primauté du civil sur le militaire, a tenu bon. Son cap, à savoir la conquête de la souveraineté populaire, a prévalu. C’est la répression – dans la rue comme dans les tribunaux d’une justice aux ordres – et la pandémie qui ont mis à mal ce mouvement.

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Enième diversion

Les dirigeants algériens ont beau parler d’ingérence, Paris a été pour eux un soutien constant. En mars 2019, alors que les manifestations se succédaient et alors qu’Abdelaziz Bouteflika – qui n’affichait aucun signe de vie – briguait un cinquième mandat, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, indiquait qu’il fallait « laisser le processus électoral se dérouler ». Alors même que le peuple algérien n’en voulait pas, faut-il le rappeler.

En novembre 2020, dans une interview à Jeune Afrique, le président Macron a déclaré qu’il était prêt à faire tout son possible « pour aider le président Tebboune ». Bref, à Paris, le discours contre-révolutionnaire de la sacro-sainte stabilité – comme si l’illégitimité d’un pouvoir ostensiblement boudé dans les urnes n’était pas porteuse d’instabilité – a semblé primer.

Les déclarations de Macron créent en Algérie un climat de colère partagée qui favorise le statu quo

Même la discussion –  relatée par Le Monde le 2 octobre – entre Emmanuel Macron et dix-huit « petits-enfants » de la guerre d’Algérie, au cours de laquelle le président français a évoqué l’existence d’une « rente mémorielle » entretenue par « le système politico-militaire » après l’indépendance de 1962, s’apparente, certes contre-intuitivement, à un soutien (peut-être involontaire) au pouvoir algérien.

Les propos du chef de l’État français ont en effet offert aux autorités l’occasion d’une énième diversion. Si Alger a rappelé son ambassadeur à Paris pour consultations et a fermé son espace aérien aux avions militaires français de l’opération Barkhane, ces « sanctions » ne semblent pas de nature à remettre en cause la coopération bilatérale en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme. En revanche, les déclarations d’Emmanuel Macron créent en Algérie un climat de colère partagée (par le pouvoir et celles et ceux sur lesquels il s’exerce) qui favorise le statu quo derrière un apparent appel au réveil collectif.

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Stratégie électorale

Côte français, il est possible aussi que le président de la République ait simplement souhaité s’inviter maladroitement – comme d’autres – dans un débat d’historiens. Ou que seul le contexte électoral national le préoccupe. Qu’il s’agisse des déclarations d’Emmanuel Macron ou de la décision de Paris, annoncée fin septembre, de diminuer drastiquement le nombre de visas attribués aux Algériens, aux Marocains et aux Tunisiens, la volonté de séduire un certain électorat transparaît. Une autre forme de rente, en somme.

Pour ce qui est des visas, même si la distribution parcimonieuse des laissez-passer consulaires par les pays concernés par les expulsions d’immigrés clandestins (en cas d’absence de papiers d’identité) est connue, on est en droit de s’interroger sur le contexte (une baisse du nombre de visas depuis quelques années, accentuée par la pandémie) et sur le bien-fondé de la mesure (une punition collective à l’encontre des populations).

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Au-delà du contexte électoral, la politique algérienne d’Emmanuel Macron, notamment dans sa dimension rhétorique, semble inopportune. Si son intérêt pour l’histoire et les questions « mémorielles » est louable, il a deux inconvénients. D’abord, le contexte politique dans les deux pays ne s’y prête pas. Ensuite, ces questions méritent d’être traitées librement mais à distance des États.

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