Documentaire : un Fanon, des Fanon

Présenté au Fespaco 2021, le film d’Hassane Mezine « Fanon : hier, aujourd’hui » explore les différents profils de l’auteur de « Peau noire, masques blancs » et tente d’identifier ses héritiers putatifs à travers la planète.

Frantz Fanon, psychiatre, écrivain, militant anticolonialiste (1925-1961). © AFP

Frantz Fanon, psychiatre, écrivain, militant anticolonialiste (1925-1961). © AFP

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Publié le 21 octobre 2021 Lecture : 3 minutes.

Parmi les 239 films retenus pour la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), l’élégant documentaire Fanon : hier, aujourd’hui. L’auteur Hassane Mezine a clairement scindé son œuvre en deux parties presque entièrement distinctes.

En quête de nuances

Le premier volet s’intitule « Fanon : hier », biographie digeste de Frantz Fanon, à travers des citations déclamées par son fils Olivier et les témoignages précieux de contemporains proches du psychiatre, essayiste et militant français. L’ancien membre du Front de libération nationale (FLN) algérien Abdelhamid Mehri, le pédagogue français Jacques Ladsous, la chercheuse spécialiste des littératures négro-africaines francophones Lilyan Kesteloot et d’autres intervenants déclinent chacun qui fut « son » Fanon.

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Et ce sont bien « des Fanon » qui s’esquissent, ébauchés par des qualificatifs qui pourraient presque paraître contradictoires : « sombre » dans ses périodes d’écriture, mais « chaleureux » avec ses patients de Blida ; « désillusionné » par son expérience militaire mais « passionné » par son combat international de solidarité ; « triste » au quotidien mais « gai » au détour d’un réveillon ; « cinglant », mais jamais « nombrilocentré ».

Lire des incohérences dans ces témoignages serait oublier que le militant avait plusieurs profils qui finissent par se répondre

Lire des incohérences dans ces témoignages serait oublier que le militant de la décolonisation avait plusieurs profils qui finissent par se répondre dans une quête de nuances. Ce serait omettre également le fait que, même décédé à 36 ans, Fanon a eu plusieurs vies qui l’ont mené de Fort-de-France à Washington, en passant par l’Algérie dont il se considérait citoyen, l’Hexagone, la Russie et plusieurs pays d’Afrique noire.

Les héritiers de sa pensée

Le second volet du documentaire, « Fanon : aujourd’hui », démontre l’acuité préservée du discours de l’auteur de Peau noire, masques blancs et Les damnés de la terre. Si la première partie du film dévoile que chacun « a » son Fanon, la deuxième révèle que chacun « est » son Fanon, identifiant ceux qui revendiquent, aujourd’hui, un statut d’héritier. Le Nigérien Ibrahima Dior et son « espace Frantz Fanon » plaque la pensée du tiers-mondiste sur la question des migrations. L’écrivain martiniquais Raphaël Confiant insiste sur la nuance entre « intransigeance » et « fanatisme », un quiproquo demeurant sur le rapport de Fanon à la violence.

Chacun comprend l’invitation à être « de meilleurs élèves de l’Histoire »

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L’angliciste française d’origine ivoirienne Maboula Soumahoro s’approprie le parcours du psychiatre. L’ancienne porte-parole du parti politique français des Indigènes de la République (IR), Houria Bouteldja, situe les sujets post-coloniaux européanisés dans leurs différences avec les authentiques « damnés de la terre ». Le philosophe américain Cornel West revendique la philosophie de Fanon dans un monde qui reste, selon lui, « préfanonien »…

C’est la grande thèse du très militant Fanon : hier, aujourd’hui : la décolonisation des esprits doit continuer, comme en témoigne l’extravagant discours de Dakar de Nicolas Sarkozy qui ouvre le documentaire sur des images de maltraitances coloniales. En évoquant Black Lives Matter ou l’idéologie woke de Rhodes Must Fall, Hassane Mezine démontre que la pensée de l’essayiste Fanon reste une grille de lecture porteuse, il est vrai, de « leçons de vie », autant que de « solutions ».

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Au moment où chacun comprend l’invitation à être « de meilleurs élèves de l’Histoire », la question effleure les lèvres : s’il n’était pas mort si jeune d’une leucémie, qu’aurait pu encore réaliser celui qu’Aimé Césaire surnommait le « guerrier-silex » ? La réponse prend la forme d’une autre question : comment être aujourd’hui digne de son héritage ?

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