RDC – Sam Mangwana : « On m’a dit : fais de ta voix une arme »

Après une soirée de retrouvailles vibrantes avec son public, à Paris, la légende vivante de la rumba congolaise nous raconte son histoire d’artiste et d’homme engagé.

Sam Mangwana, au New Morning, à Paris, le 12 octobre 2021. © Vincent Fournier pour JA

Sam Mangwana, au New Morning, à Paris, le 12 octobre 2021. © Vincent Fournier pour JA

Publié le 18 décembre 2021 Lecture : 6 minutes.

« On va jouer seulement pour eux ? » Quand il pose cette question, Sam Mangwana est face à une salle quasi vide aux côtés de son mentor, Tabu Ley Rochereau, au début des années 1960. Tous deux s’apprêtent à animer une soirée cabaret devant 8 personnes. « Mais oui ! On va jouer pour eux. C’est ça le public. Ils diront qu’on a bien joué et d’autres viendront », répond le roi de la rumba congolaise au jeune Sam. « Ce soir-là, on a joué comme s’il y avait 1 000 personnes. C’est comme ça que j’ai appris ce métier, qu’il y ait du public ou non, je suis là d’abord pour me faire plaisir », termine celui qu’on appelle, cinquante ans plus tard, « Papa Mangwana ».

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Le 12 octobre 2021, au New Morning, la question ne s’est pas posée, la salle était pleine. Toutes générations confondues ont dansé, chanté et voyagé avec lui, comme si la crise du Covid-19 n’avait jamais existé. Puis, Jeune Afrique a rencontré l’auteur de « Lubamba ». « Je m’appelle Samuel Mangwana, c’est mon papa qui m’a donné son prénom, pour prendre sa suite quand il ne serait plus là », voilà comment Sam entame les présentations, quand on lui demande d’où lui viennent ses plus anciens souvenirs musicaux.

Retour aux origines angolaises

Il commence par se raconter en famille, par dessiner le contexte politique et social de sa naissance, de son enfance, qui imprègne depuis toujours ses mélodies. Il naît à Kinshasa en 1945, grandit dans une famille originaire du nord de l’Angola, en fuite face à la colonisation portugaise. Ce sont de « petits commerçants détaillants » engagés pour leur pays. « Maman animait une association culturelle de femmes angolaises à Kinshasa, papa une association avec d’autres immigrés angolais pour préparer le retour au pays, quand il serait devenu indépendant : j’ai grandi dans cette ambiance. »

Le petit Mangwana se retrouve avec des grands-parents, des oncles et tantes qu’il ne connaît pas

Mais, enfant, Sam n’est pas des plus faciles. « J’étais turbulent » sourit-il. Ce qui lui vaut d’être envoyé dans un internat de l’Armée du salut, à 41 km de la capitale, pour une éducation plus stricte. Au carrefour de deux cultures, Sam a du mal à trouver sa place. Il se bat parce qu’on se moque de lui : « C’était honteux d’être colonisé par les Portugais, j’ai fini par donner un coup de tête à un camarade, qui a saigné ». La police et le père sont convoqués à l’école. L’institution propose une « punition » originale : envoyer l’enfant dans la famille en Angola pour qu’il tisse un lien avec son pays. « Ça va le décomplexer », affirment-ils.

Le petit Mangwana se retrouve alors avec des grands-parents, oncles et tantes qu’il ne connaît pas. L’enfant citadin apprend à planter le café, l’arachide. Il y reste onze mois, à s’imprégner de sa culture, « à me construire comme une personne qui a un village, des parents, un pays… », raconte-t-il. Et à découvrir les sonorités locales : « J’avais un cousin accordéoniste qui animait des bals et mariages et qui m’emmenait avec lui ! »

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De retour au Congo pour l’année scolaire suivante, il est enfin fier de ses racines angolaises et nourrit sa curiosité pour la musique. « Dans les rues, les porte-voix diffusaient la radio officielle, on y entendait les communiqués funéraires, les matchs, mais aussi la musique folklorique, des variétés du monde entier. C’est là que j’ai découvert Harry Belafonte, Louis Armstrong, Ray Charles… Grâce à ça, on avait une jeunesse ouverte sur le monde. »

À l’école primaire de l’Armée du salut, l’instituteur découvre chez Sam un timbre de voix « intéressant pour accompagner la chorale des étudiants de l’école normale ». Puis, plus tard, « un grand frère du quartier » qui travaille dans une école où sont scolarisés les enfants des élites belges et congolaises, lui propose d’aller présenter ses « petites mélodies » à Tabu Ley Rochereau, secrétaire de l’établissement et chanteur déjà connu. Sam s’exécute et pour la seconde fois, on lui reconnaît une voix.

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« Petit, tu chantes avec moi »

« Petit, tu chantes avec moi », lui lance Rochereau. Mais le problème, c’est que Sam n’a que 17 ans et neuf mois, il n’est pas majeur et n’a pas fini l’école. À force de (peu de) persuasion, il accepte le poste. « C’est tombé dans les oreilles de papa, qui est allé se plaindre au commissariat du quartier pour que soit lancé un mandat d’arrêt contre ce mineur qui a déserté ses parents pour aller chanter », se remémore-t-il. Il est arrêté, mis en garde à vue.

J’ai préféré sortir d’Afrique centrale pour ne pas assister à la guerre civile

Son père doit venir le récupérer pour l’envoyer en maison de redressement à 120 km de là. Rochereau arrive le premier et attend pour le convaincre de changer d’avis. Mais il ne viendra pas. À l’heure de la fermeture du poste, le commissaire belge déclare qu’il est libre de partir : « Mais attention, si on l’attrape avant ses 18 ans, il devra aller au centre ! Vous avez intérêt à le cacher ! », avertit-il. « C’est comme ça que Rochereau m’a caché pendant trois mois et, paf ! Je suis devenu son chanteur ! », raconte Sam. Son père, qui rêvait de le voir devenir « ingénieur commercial pour l’Angola », finit par lui pardonner mais refuse qu’il revienne vivre à la maison pendant plusieurs années : « Pas de musicien chez moi ! »

« J’espère que tu vas utiliser ta voix pour défendre ton pays plus tard, m’a-t-il dit. Ce à quoi j’ai répondu, oui papa », poursuit Sam. En 1963, il s’engagera en effet dans la lutte pour l’indépendance en « jeune révolutionnaire qui veut libérer son pays ». Mais le maquis ne lui réussit pas, il est pris de crises d’asthme qui le forcent à renoncer au terrain. « Alors que j’étais déprimé, on m’a dit : écoute petit, tu ne peux plus être ici, alors fais de ta voix une arme pour libérer ce pays ».

Deux injonctions qu’il suit, en dédiant à la lutte une bonne partie de son œuvre. Mais ce témoin de l’époque des indépendances voit son souhait le plus cher s’évanouir, en 1975. Retourner en Angola ne sera pas possible, la guerre civile éclate, et on l’a prévenu, elle risque de durer longtemps. Cet événement redéfinit la trajectoire du chanteur : « J’ai préféré sortir d’Afrique centrale pour ne pas assister à ça, je suis parti ». Destination : la Côte d’Ivoire. Le grand voyage commence par un arrêt en Centrafrique, puis au Cameroun et au Nigeria, où il est accueilli « aux frais de la princesse » par le célèbre artiste et producteur Bobby Benson, qui lui offre le gîte et le couvert pour un mois, sans même qu’il ne fasse de musique.

Des routes d’Afrique au streaming

En général, « j’arrivais, je me présentais dans un cabaret. Ils ne me reconnaissaient pas toujours mais j’essayais de faire passer ma sauce. On me donnait le micro pendant une soirée, parfois jusqu’à deux semaines… Ça me faisait quelques cachets pour survivre » et continuer le périple, durant 6 mois. Au passage, il s’imprègne des langues et folklores de chaque pays pour ses futures créations. Il cite encore les musiques divines des Yoruba et le highlife nigérian. Arrivé au Ghana, il enregistre un disque avec seulement quatre titres, dont il vend 7 000 albums en deux mois, pour marquer le début de sa carrière sur la place d’Abidjan. Il y reste huit ans, avant de reprendre la route. Europe, Cameroun, Gabon, Congo… Une nouvelle vie sur les routes, mais pour une tournée musicale, cette fois.

Un concert virtuel, c’est naturel pour moi. Public ou pas, je vis ma musique

Sam Mangwana est souvent raconté à travers le voyage et le mélange de cultures qu’il concentre. Autour de la rumba congolaise, qui guide son œuvre, se rencontrent les musiques latino-caribéennes que Rochereau et Franco avaient intégrées à leurs sonorités. Il mêle les langues au fil des morceaux : celles dans lesquelles il a baigné enfant, le kikongo (langue bantoue du nord de l’Angola) et le portugais qu’il pratiquait à la maison, le lingala et le français, utilisés à l’école. Et celles qu’il reconnaît ne pas parler correctement, mais dont il sait imiter l’accent pour être compris du plus grand nombre et faire passer ses messages.

Après ces deux grands voyages, il décide de retourner vivre en Angola en 2004. « On s’est battus pour ça, je peux finir ma vie tranquille maintenant, mon objectif est atteint », lui confie son père à l’écoute de cette nouvelle, trop âgé pour faire de même. À 76 ans, Sam Mangwana vit désormais en France, où il ne cesse de se mettre au goût du jour. Il a récemment donné un concert en streaming, pour s’adapter à la crise sanitaire. « Un concert virtuel, c’est naturel pour moi. Public ou pas, je vis ma musique », assure-t-il, non content tout de même d’avoir retrouvé la scène avec son groupe de musiciens.

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