Arnaud Ngatcha : « Il n’y a pas une façon unique d’être noir en France »

L’ACTU VUE PAR… Chaque samedi « Jeune Afrique » invite une personnalité à décrypter un sujet d’actualité. Adjoint à la maire de Paris en charge des relations internationales et né d’un père camerounais, Arnaud Ngatcha s’attache à incarner une « diplomatie municipale » puissante, bien distincte de celle de l’Élysée.

Arnaud Ngatcha (France) adjoint à la mairie de Paris, en charge des relations internationales et de la francophonie. © Vincent Fournier pour JA

Arnaud Ngatcha (France) adjoint à la mairie de Paris, en charge des relations internationales et de la francophonie. © Vincent Fournier pour JA

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Publié le 6 novembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Élu conseiller de Paris lors du scrutin municipal de 2020, Arnaud Ngatcha a été nommé adjoint en charge des relations internationales et de la francophonie par la maire de la capitale française, Anne Hidalgo. Une nouvelle étape dans la carrière de ce journaliste, documentariste et producteur né à Tourcoing dans les années 1970 d’une mère française et d’un père camerounais.

Passé par Canal+, M6 et le groupe France Télévisions, au sein duquel il a été en charge de la représentation de la diversité, il a aussi rejoint le cabinet de l’ancienne championne olympique d’escrime Laura Flessel comme conseiller lorsque celle-ci a été appelée à entrer au gouvernement d’Édouard Philippe, en 2017.

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Une première expérience politique pour Arnaud Ngatcha, qui souligne toutefois qu’il n’est encarté nulle part et se considère comme un pur représentant de la société civile engagé, à Paris, dans un mandat local. Porteur de la « diplomatie municipale » de la capitale française, il promeut des sujets qui lui tiennent à cœur : défense des droits de l’homme, féminisme, protection des minorités, aide au développement, défense de l’environnement, lutte contre le racisme et l’exclusion. En octobre, il organisait à Paris la première conférence internationale sur les forêts d’Afrique centrale. Et en ce début du mois de novembre, il a planché sur le déplacement d’Anne Hidalgo à Glasgow, pour la COP26.

Jeune Afrique : Le 4 novembre, vous étiez à Namur, en Belgique, pour représenter Paris à un sommet de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) tandis que la maire de Paris était à la COP26. Quel rôle peut jouer une ville dans de tels événements et face aux enjeux climatiques qui sont, par définition, planétaires ?

Arnaud Ngatcha : Il existe une diplomatie des villes, je sais que certains ont du mal à le comprendre, mais c’est une réalité. La maire de Paris est aussi la présidente de l’Association international des maires francophones et la plupart des grands pays du monde veulent avoir des relations avec Paris, qui est la ville dont le budget consacré à l’aide au développement est le plus élevé au monde, à hauteur de 60 millions d’euros. Nous avons de très nombreux mécanismes d’aide sur la gestion de l’eau et des déchets, l’aménagement urbain… Nous avons signé récemment un accord avec Douala, nous travaillons avec Yaoundé, nous sommes en discussion avec Nouakchott et Niamey.

Comment cette diplomatie « municipale » s’articule-t-elle avec celle de la France ?

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Il y a clairement eu un réengagement de l’État auprès de l’Afrique ces dernières années, à travers la vision d’Emmanuel Macron. Une vision qu’on peut partager ou pas, ce n’est pas la question. Mais les actions menées par Paris sont complètement distinctes, nous avons notre petite musique. Nous sommes dans la « coopération décentralisée », notre action est très encadrée légalement et elle est forcément très différente de ce qui peut se passer dans le cadre de relations d’État à État, lesquelles impliquent une dimension de défense et de protection qui, bien sûr, n’entre pas du tout en compte dans notre cas.

Il y a donc une politique africaine de la ville de Paris ?

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La relation entre Paris et l’Afrique est très importante. Paris est la première ville de la diaspora africaine en dehors du continent et je crois que, comme toutes les grandes villes, elle est un peu en décalage avec le reste du pays. Paris est métissée, elle est ouverte, c’est un lieu de brassage. Je pense que ce n’est pas pour rien si le Rassemblement national n’a jamais réussi à y percer. Nous avons la possibilité d’avoir notre propre approche avec nos partenaires du continent, et d’éviter certains écueils.

La France est encore trop souvent condescendante et moralisatrice

Lesquels ?

Je crois que nous ratons beaucoup d’opportunités – par « nous » j’entends la France – à cause de notre attitude encore trop souvent condescendante et moralisatrice. Certains décideurs africains sont fatigués de ce discours et préfèrent passer à autre chose, se tourner vers d’autres partenaires. L’heure est venue de réfléchir à la recomposition de la géopolitique mondiale. Pour revenir aux questions d’environnement et à la COP, par exemple, comment peut-on continuer à dire aux pays en développement, dont la population est en forte croissance, qu’ils doivent restreindre leurs émissions alors que c’est nous, les pays riches, qui avons le plus pollué et continuons à le faire ? Il y a un autre discours, une autre approche à mettre en œuvre.

Anne Hidalgo n’est pas seulement maire de Paris, elle est aussi la candidate socialiste à la prochaine élection présidentielle française. Serez-vous aussi à ses côtés pour ce combat-là ?

Je ne suis pas engagé dans cette campagne. J’ai un mandat local, un portefeuille à gérer, nous avons un rapport de confiance avec Anne Hidalgo, mais pour le moment, je ne suis pas sur cette forme d’engagement. Je ne suis membre d’aucun parti et je n’en ai pas l’envie. Déjà, lorsque j’ai dû décider de me présenter ou non aux municipales, j’avais hésité. Je savais que cela allait me marquer, que j’allais me fâcher avec certaines personnes. C’est en pensant à mon père que j’ai fini par accepter.

Votre identité franco-camerounaise est un sujet important pour vous, vous avez même réalisé un documentaire sur ce que cela signifie d’être noir en France. Vous reconnaissez-vous dans les revendications exprimées ces dernières années par certaines organisations militantes ?

Mon père était un homme noir marié à une Française et occupant un poste à responsabilités, puisqu’il était directeur d’hôpital. Ce n’était pas facile, même si la France n’est pas un pays raciste. Et même aujourd’hui, les personnes venues d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb et occupant des postes importants restent peu nombreuses. C’est ce qui m’a amené à m’interroger sur ce que signifiait être noir en France. À me demander pourquoi tant de membres de cette communauté étaient en colère.

Partagez-vous cette colère ?

Je ne la partage pas forcément, mais je comprends d’où elle vient. Je connais les difficultés que rencontrent les noirs en France, je m’y suis heurté aussi. Cette impression que quoi que vous fassiez, quels que soient vos mérites, vous n’arriverez pas à vivre la vie que vous souhaiteriez. Par contre je refuse l’exagération, le communautarisme, une certaine « haine inversée ». Je prône un modèle plus universaliste, ce qui m’a d’ailleurs valu d’être critiqué, parfois insulté. Mais ce que j’ai trouvé intéressant en travaillant sur ce sujet, c’est de constater que certaines personnes se mobilisent sur des questions, en l’occurrence je pense à l’esclavage, qui ne font pas partie de leur histoire.

Quand vous vous trouvez face à un raciste, peu lui importe d’où vous venez. Vous êtes juste noir

Que voulez-vous dire ?

Il n’y a pas une façon unique d’être noir en France. Pour simplifier, soit vous êtes issu d’Afrique subsaharienne et votre histoire est liée à la colonisation, soit vous venez des territoires d’Outre-Mer, des Antilles, et vos racines ont à voir avec l’esclavage. Ce qui est intéressant, c’est que tout le monde se mobilise autour de cette question de l’esclavage, y compris des gens dont ce n’est pas l’histoire. Mais en fait c’est facile à comprendre : quand vous vous trouvez face à un raciste, peu lui importe d’où vous venez. Vous êtes juste noir.

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