Mbougar Sarr, Diop, Gurna… La fin du plafond de verre des prix littéraires ?

Du Nobel au Goncourt en passant par le Booker Prize, les écrivains africains ont franchi une étape importante en 2021. Il faut désormais poser les bases d’une véritable politique culturelle continentale.

L’auteure mozambicaine Paulina Chiziane, en 2006. © LEONARDO CENDAMO/Leemage via AFP

L’auteure mozambicaine Paulina Chiziane, en 2006. © LEONARDO CENDAMO/Leemage via AFP

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Publié le 3 janvier 2022 Lecture : 3 minutes.

Nous le savons tous : notre littérature comme notre économie est extravertie. Voilà pourquoi l’on doit se réjouir de cette moisson littéraire inespérée, que vient de récolter notre continent.

Célébrons en premier lieu, l’auteure du Parlement conjugal, la Mozambicaine Paulina Chiziane, lauréate du prix international Camões.

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Cette distinction détone pour trois raisons. D’abord, le statut littéraire du Mozambique au sein du continent : excepté Mia Couto, peu de ses écrivains ont réussi à franchir la frontière francophone. Ensuite, le symbole que représente la lauréate : c’est la première fois dans l’espace lusophone qu’une femme reçoit ce prix décerné par la fondation de la bibliothèque nationale du Portugal et le ministère brésilien de la Culture. Enfin, le statut de l’écrivaine qui, à l’instar de la Cap-Verdienne Cesaria Evora, vient de ce que Pierre Michon appelle « une vie minuscule ». Paulina Chiziane n’est pas Chimamanda Ngozi Adichie ni Leonora Miano. Mais son sacre couronne l’ascension fulgurante des romancières africaines au cours de cette décennie. C’est ici l’occasion de regretter la disparition brutale d’un phare, Yvonne Vera.

Tchicaya U Tam Si aurait mérité le Nobel tout comme Ahmadou Kourouma ou Amadou Hampâté Bâ

Anomalie littéraire

Le Nobel a été décerné au Tanzanien Abdulrazack Gurna. Si les cinq lauréats africains de ce graal littéraire sont arabophone – l’Égyptien Naguib Mahfouz – ou anglophones – les Sud-Africains John Maxwell Coetzee et Nadine Gordimer, le Nigérian Wole Soyinka, et Gurna –, l’Afrique francophone n’a pas démérité. La poésie de Tchicaya U Tam’si, malheureux finaliste en 1986 contre Soyinka, aurait mérité le Nobel tout comme l’œuvre romanesque de Ahmadou Kourouma ou de Amadou Hampâté Bâ. Et je ne mentionne même pas ici les Martiniquais Aimé Césaire et Édouard Glissant. Cette anomalie littéraire, qui, je l’espère, pourra être corrigée un jour, invite à l’introspection.

Fort heureusement, Boris Boubacar Diop, auteur d’un beau roman métallique, Murambi, salué en son temps par Toni Morisson, vient d’être récompensé par le prestigieux prix Neustadt. Un an plus tôt, son compatriote et homonyme David Diop avait décroché le Booker Prize international pour Frère d’âme. Cette année, le Booker Prize est revenu au Sud-Africain Damon Galgut pour The promise, un roman sur le passage du temps, qui met en scène la dislocation d’une famille blanche dans une Afrique du Sud post-apartheid.

Boubacar Boris Diop, en 2011. © Ulf Andersen/Aurimages

Boubacar Boris Diop, en 2011. © Ulf Andersen/Aurimages

Un prix Achebe ou Senghor

Bien entendu, l’événement littéraire dans l’espace francophone reste l’attribution du Prix Goncourt à Mohamed Mbougar Sarr. Et il était temps. Au cours de cette décennie, de nombreux écrivains africains ont reçu le prix Renaudot (Kourouma, Alain Mabanckou, Tierno Monénembo, Scholastique Mukasonga) et le Goncourt des Lycéens (Leonora Miano, Ahmadou Kourouma, David Diop, Djaïli Amadou Amal) mais ont toujours été des finalistes malheureux au Goncourt. Mbougar Sarr vient de briser ce plafond de verre. Une étape est donc franchie dans la réception de la littérature francophone africaine dans l’Hexagone.

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Reste à œuvrer sur le continent pour juguler notre extraversion. Tous ceux qui ont lu et rendu compte de La Plus Sécrète Mémoire des hommes ont omis de signaler que le roman est coédité par Jimsaan au Sénégal. Ce détail interpelle. Il préfigure peut-être l’avenir de la vie littéraire sur le continent. Pour cela, il faudra poser les bases d’une véritable politique culturelle continentale… Ce sera peut-être aussi l’occasion de créer un grand prix littéraire continental qui couronne une œuvre, un parcours. Un prix, qui portera le nom d’Achebe, Senghor ou de Gordimer.

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