« Musulmans de tous les pays, unissez-vous ! »

Voici, dans son intégralité, l’allocution prononcée par le doyen politique de l’Asie du Sud-Est lors du Xe sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).

Publié le 3 novembre 2003 Lecture : 17 minutes.

Le monde entier nous observe ; 1,3 milliard de musulmans(*) – plus d’un sixième de la population mondiale – ont placé tous leurs espoirs en nous, en cette conférence, même s’ils doutent, non sans une pointe de cynisme, de notre volonté et de notre capacité à restaurer leur honneur et celui de l’islam, et, plus encore, à libérer leurs frères et soeurs de l’oppression. Je ne vais pas énumérer ici toutes les humiliations qui nous sont infligées, ni ne condamnerai une énième fois nos détracteurs et oppresseurs. Ce serait un exercice vain, car ces derniers ne changeront pas d’attitude juste parce que nous les aurons condamnés. Si nous voulons recouvrer notre dignité, et restaurer celle de l’islam, notre religion, c’est à nous de prendre les décisions qui s’imposent et d’agir.
Tous les gouvernements islamiques peuvent serrer les rangs et adopter une position commune, sinon sur tous les sujets, du moins sur les questions majeures, comme la Palestine. Nous sommes tous musulmans. Nous sommes tous opprimés. Nous sommes tous humiliés. Mais nous, dirigeants, qui avons été élevés par Allah au-dessus des nôtres pour conduire les affaires de nos pays, n’avons jamais vraiment essayé d’agir de concert pour traduire dans les faits, à notre niveau, la fraternité et l’unité auxquelles nous exhorte l’islam.
Mais il n’y a pas que nos gouvernement qui sont divisés ; la Oumma elle-même va de déchirement en déchirement. Depuis 1 400 ans, nos exégètes, les oulémas, donnent des interprétations si différentes d’une seule et même religion, celle que nous a apportée le Prophète Mohammed, que nous nous retrouvons aujourd’hui avec des centaines d’islams si éloignés les uns des autres que nous nous battons entre nous et nous entretuons.
D’une seule et même Oumma, nous avons fait une kyrielle de sectes, de madhhab(1) et de tariqa(2), plus soucieux de revendiquer le monopole du véritable islam que de préserver l’unité de la communauté. Nous n’avons même pas compris que nos adversaires se moquent éperdument de savoir si nous sommes de vrais musulmans ou non. Pour eux, nous sommes tous des musulmans, adeptes d’une religion et d’un Prophète dont ils disent qu’ils favorisent le terrorisme, et nous passons tous pour leurs ennemis jurés. Ils nous attaqueront, nous tueront, envahiront nos pays, renverseront nos gouvernements, que nous soyons sunnites, chiites, alaouites ou druzes… Nous nous faisons leurs complices en nous affaiblissant mutuellement, en leur obéissant aveuglément lorsqu’ils nous mandatent pour attaquer les nôtres à leur place. Nous essayons de renverser nos gouvernements par la violence et, ce faisant, fragilisons et appauvrissons un peu plus nos pays.
Nous – gouvernements des pays musulmans et toute la Oumma – faisons totalement fi de l’injonction islamique à l’unité et à la fraternité.
Ce n’est pas là le seul enseignement de l’islam que nous ignorons. [Dans le premier verset « descendu » sur le Prophète, NDLR], nous avons été invités à lire – « iqra’ » – pour acquérir le savoir. Les premiers musulmans en ont conclu qu’il leur fallait traduire et étudier les ouvrages des Grecs et de leurs prédécesseurs. Et apporter leur pierre à l’édifice du savoir à travers leurs propres recherches.
L’islam des origines a produit de grands mathématiciens, de brillants lettrés, des physiciens et des astronomes de premier plan… Les premiers musulmans ont excellé dans toutes les disciplines de leur temps, tout en étudiant et en pratiquant leur propre religion. Aussi ont-ils été en mesure de cultiver la terre, d’en extraire les richesses, de prospérer grâce au commerce, de consolider leurs moyens de défense, de protéger leurs peuples et de leur offrir un mode de vie tel que prescrit par l’islam. À l’époque où les Européens du Moyen Âge étaient encore superstitieux et arriérés, les musulmans avaient déjà bâti une civilisation éclairée, respectée et puissante, capable de rivaliser avec le reste du monde et de protéger la Oumma de toute agression étrangère. Les Européens devaient « s’agenouiller » devant les savants musulmans pour accéder à leur propre héritage scientifique.
Les musulmans ont eu de grands chefs, tels que Abderrahmane III, El-Mansour, Salah ed-Dine el-Ayyoubi, qui se sont distingués sur les champs de bataille pour défendre les terres musulmanes et la Oumma.
Mais à mi-parcours de la civilisation islamique apparurent de nouveaux exégètes pour qui l’acquisition du savoir se limitait à l’étude de la théologie. Et on découragea les études scientifiques…
Les musulmans ont commencé à régresser intellectuellement. Et la civilisation islamique s’est mise à trembler sur ses bases, avant de s’étioler. Sans les valeureux guerriers ottomans, elle aurait même disparu avec la chute de Grenade, en 1492. Les premiers succès des Ottomans ne se sont pas accompagnés d’une renaissance intellectuelle. Les nouveaux maîtres étaient plutôt préoccupés par des questions mineures, comme celles de savoir si le port d’un pantalon moulant ou d’une casquette à visière était islamiquement licite, s’il fallait autoriser l’imprimerie ou utiliser l’électricité pour éclairer les mosquées. Les musulmans sont passés complètement à côté de la révolution industrielle. Et la régression a continué jusqu’à ce que les rébellions contre les Turcs, déclenchées à l’instigation des Britanniques et des Français, précipitent la chute de l’Empire ottoman, dernière puissance mondiale islamique, et aboutissent à la mise en place de colonies européennes, et non d’États indépendants comme cela avait été promis. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que ces colonies ont accédé à l’indépendance.
Outre l’État-nation, nous avons accepté le système démocratique occidental. Mais cela a été une source de divisions, car nos partis et groupes politiques, dont certains s’attribuent le monopole de l’islam, ont rejeté l’islam des autres partis, refusé de se plier au verdict des urnes lorsqu’ils étaient battus et recouru à la violence, déstabilisant et affaiblissant leurs pays.
Au fil des siècles, la Oumma et la civilisation islamique sont devenues si vulnérables qu’il n’était plus un seul pays musulman qui ne fût colonisé ou dominé par les Européens. Les indépendances n’ont pas aidé les musulmans à se refaire une santé. Leurs États étaient faibles et mal administrés. Les Européens pouvaient disposer de leurs territoires à leur guise. Il n’est donc guère surprenant qu’ils nous aient amputé d’une partie de nos terres pour y créer l’État d’Israël et résoudre le problème juif. Divisés, les musulmans n’ont rien pu faire pour empêcher la transgression de la déclaration Balfour et du sionisme.
Certains d’entre nous voudraient nous faire croire que, malgré tout, nos vies valent mieux que celles de nos détracteurs. Pour eux, la pauvreté est islamique, la souffrance et l’état d’opprimé seraient islamiques. Ce monde ne serait pas pour nous. À nous, en revanche, les délices du paradis dans la vie future. Il suffit pour cela que nous accomplissions certains rites, que nous nous vêtissions d’une certaine manière, que nous préservions certaines apparences. Notre faiblesse, notre retard, notre incapacité à délivrer les nôtres de l’oppression ressortiraient à la volonté d’Allah, seraient le prix à payer pour accéder au paradis. Nous devons accepter le destin qui est le nôtre. Nous ne pouvons rien faire contre la volonté d’Allah.
Mais est-il vrai que telle est la volonté d’Allah et que nous ne pouvons, ni ne devons, rien y faire ? Allah dit dans la sourate el-Ra’d, verset 11, qu’Il ne changera pas le destin de la communauté tant que la communauté n’aura pas tenté de le faire elle-même.
Les premiers musulmans étaient aussi opprimés que nous le sommes aujourd’hui. Mais, à la faveur de leurs efforts sincères et déterminés pour s’aider eux-mêmes conformément aux enseignements de l’islam, Allah les a aidés à triompher de leurs ennemis et à créer une grande et puissante civilisation. Avons-nous tenté quoi que ce soit ? En particulier, avec les ressources dont Il nous a dotés ?
Nous sommes aujourd’hui forts de 1,3 milliard d’individus. Nous détenons les plus grandes réserves de pétrole au monde. Nous avons de grandes richesses. Nous ne sommes pas aussi ignorants que pouvaient l’être les Arabes de la Jahiliya(3) avant qu’ils n’embrassent l’islam. Les ressorts de l’économie mondiale et de la finance n’ont plus aucun secret pour nous. Nous contrôlons 57 pays sur les 180 que compte la planète. Notre vote peut faire ou défaire les organisations internationales. Pourtant, notre situation semble encore plus désespérée que celle du petit nombre de convertis qui ont accepté de suivre le Prophète. Pourquoi ? Parce que telle est la volonté d’Allah ? Parce que nous avons mal interprété notre religion ? Parce que nous n’avons pas été capables de nous conformer aux vrais enseignements de l’islam ? Parce que nous avons commis des erreurs ?
Notre religion nous enjoint de nous tenir prêts à défendre la Oumma. Mais ce n’est pas avec des armes datant de l’époque du Prophète que nous y parviendrons. Nous avons besoin de fusils, de missiles, de bombes, d’avions, de navires et de chars pour assurer notre défense. Mais parce que nous avons découragé l’étude des disciplines scientifiques, nous n’avons plus les moyens, aujourd’hui, de fabriquer nos propres armes. Nous en sommes réduits à les acheter à nos détracteurs et à nos ennemis. C’est là la conséquence de notre interprétation superficielle du Coran, de notre incapacité à saisir la substance même de la Sunna et du message coranique, tournés que nous sommes vers la forme, vers des comportements et des acceptions qui avaient cours au Ier siècle de l’Hégire. Il en est de même avec les autres enseignements de l’islam. Nous nous intéressons davantage à la lettre qu’à l’esprit de la parole d’Allah et n’adhérons qu’à une interprétation littérale des traditions du Prophète.
Nous pouvons être tentés de revenir au Ier siècle de l’Hégire, de renouer avec un mode de vie que nous croyons être le vrai mode de vie islamique. Mais on ne nous le permettra pas. Car nos détracteurs et nos ennemis profiteront de notre retard et de notre faiblesse pour nous dominer. L’islam n’est pas fait seulement pour le VIIe siècle, l’islam est fait pour tous les temps. Et les temps ont changé. Que cela nous plaise ou non, nous devons, nous aussi, changer, non pas en modifiant notre religion, mais en adaptant ses enseignements à un contexte radicalement différent de celui du Ier siècle de l’Hégire. L’islam ne se trompe pas, mais les interprétations qu’en donnent nos théologiens, qui n’ont pas rang de prophètes même s’ils sont fort instruits, peuvent être erronées. Nous avons besoin de revenir aux principes fondateurs de l’islam afin de savoir si l’islam auquel nous croyons et que nous pratiquons est bien celui que Mohammed a prêché. Il ne se peut que nous pratiquions tous le vrai islam quand nos croyances sont aussi différentes les unes des autres.
Aujourd’hui, la Oumma tout entière est méprisée et déshonorée. Notre religion dénigrée. Nos Lieux saints sont profanés. Nos pays occupés. Nos coreligionnaires souffrent de la faim ou sont tués.
Aucun de nos pays n’est vraiment indépendant. Nous vivons sous pression pour complaire aux souhaits de nos oppresseurs quant à notre comportement, notre manière de gouverner et même notre manière de penser.
Aujourd’hui, ils peuvent bombarder nos pays, tuer nos peuples, détruire nos villages et nos villes sans que nous puissions tenter quoi que ce soit. Est-ce à cause de l’islam ? Ou est-ce parce que nous avons failli à notre devoir de musulmans ?
Notre seule réaction est la colère. Mais un homme en colère ne peut plus réfléchir convenablement. Aussi certains d’entre nous réagissent-ils de manière irrationnelle. Mus par la rage et la frustration, ils lancent leurs propres attaques, tuant n’importe qui, y compris des musulmans. Incapables de les arrêter, leurs gouvernements sont mis un peu plus sous pression par les représailles de l’ennemi et n’ont d’autre choix que de céder à sa volonté, de renoncer littéralement à toute liberté d’action.
Furieux, leurs peuples se retournent contre eux. Chaque tentative pour parvenir à une solution pacifique est sabotée par de nouvelles attaques aveugles destinées à mettre l’ennemi en colère et à empêcher tout compromis. Mais les attaques ne résolvent rien. Elles ne font qu’aggraver l’oppression.
Dans les pays musulmans, c’est la résignation. L’impression qu’on est bon à rien, que les choses ne peuvent qu’empirer. Les musulmans seront toujours dominés par les Européens et les Juifs. Ils seront toujours pauvres, sous-développés et faibles. Certains croient, comme je l’ai déjà dit, que telle est la volonté d’Allah, que le propre du musulman dans ce monde est d’être pauvre et opprimé.
Mais est-il vrai que nous ne puissions, ni ne devions rien faire pour nous aider nous-mêmes ? Est-il vrai que 1,3 milliard de personnes n’ont aucun moyen de se soustraire aux humiliations infligées par un ennemi en nette infériorité numérique ? N’y a-t-il donc que la colère aveugle ? N’y a-t-il donc pas mieux à faire que de demander à nos jeunes de se faire exploser pour tuer des gens et d’inviter ainsi nos ennemis à nous massacrer un peu plus ?
Ce ne peut être là le seul recours. Quelques millions de Juifs ne peuvent défaire 1,3 milliard d’individus. Il existe forcément une solution. Et la seule façon de la trouver est de réfléchir, d’évaluer nos atouts et nos faiblesses, d’élaborer une stratégie. Puis de contre-attaquer. En tant que musulmans, nous devons nous laisser guider par le Coran et la Sunna. La lutte menée par le Prophète vingt-trois ans durant est certainement riche d’enseignements sur ce que nous pouvons et devrions faire.
Nous savons que Mohammed et ses premiers disciples ont été persécutés par les Quraychites. A-t-il lancé des représailles ? Non. Car il était disposé à opérer des replis stratégiques. Il a envoyé ses premiers compagnons en pays chrétien et a émigré lui-même à Médine. Là, il a rassemblé ses disciples, s’est doté de capacités défensives et a assuré la sécurité des siens. À Houdaybiya [en 627], il a accepté de signer un traité injuste avec les Mecquois, contre l’avis de ses compagnons et des siens. Durant la trêve qui s’est ensuivie, il a consolidé ses forces pour finalement entrer pacifiquement dans La Mecque et l’appeler à embrasser l’islam. Il n’a même pas cherché à se venger. Les Mecquois ont accepté la nouvelle religion. Beaucoup d’entre eux sont même devenus ses plus puissants soutiens et ont protégé les musulmans de tous leurs ennemis.
Telle a été, brièvement résumée, la lutte menée par le Prophète. Nous parlons souvent d’imiter la Sunna. Nous la citons abondamment à grand renfort d’exemples. Mais en réalité, nous ignorons tout d’elle.
Si nous nous servions de la faculté de penser qu’Allah nous a donnée, nous saurions que nous agissons de manière irrationnelle. Nous nous battons sans autre objectif que de faire mal à l’ennemi parce qu’il nous a fait mal. Nous nous attendons naïvement à ce qu’il se rende. Nous sacrifions des vies inutilement. Tout ce que nous obtenons, ce sont des représailles de plus en plus massives.
Le moment est venu de marquer une pause pour réfléchir. Est-ce là perdre son temps ? Cela fait plus d’un demi-siècle que nous nous battons pour la Palestine. Qu’avons-nous obtenu ? Rien. Nous sommes même en plus mauvaise posture qu’auparavant. Si nous nous étions arrêtés pour réfléchir, nous aurions pu concevoir un plan, une stratégie susceptible de nous donner la victoire finale. S’arrêter pour réfléchir n’est pas une perte de temps. Nous sommes aujourd’hui dans la nécessité d’opérer un repli stratégique et d’examiner calmement notre situation.
Nous représentons de fait une grande force : on ne peut balayer du revers de la main 1,3 milliard d’individus. Les Européens ont tué 6 millions de Juifs sur 12 millions. Mais aujourd’hui, les Juifs dirigent le monde par procuration. Et obtiennent des autres qu’ils se battent et meurent pour eux.
Peut-être ne sommes-nous pas capables d’en faire autant. D’unir 1,3 milliard de musulmans. De faire en sorte que nos gouvernements agissent de concert. Mais si nous obtenons ne serait-ce que du tiers de la Oumma et des États islamiques qu’ils agissent comme un seul homme, nous pourrions déjà tenter quelque chose. N’oubliez pas que le Prophète avait très peu de partisans lorsqu’il a émigré à Médine. Mais il est parvenu à unir les Ansar (« partisans ») et les Mouhajiroune (« exilés ») et, finalement, est devenu suffisamment puissant pour défendre l’islam.
Outre l’unité partielle, nous avons besoin de dresser l’inventaire de nos atouts. J’ai déjà évoqué notre nombre et nos réserves de pétrole. Dans le monde d’aujourd’hui, nous contrôlons suffisamment de leviers politiques, économiques et financiers pour contre-balancer notre infériorité militaire.
Nous savons aussi que les non-musulmans ne sont pas tous contre nous. Certains d’entre eux sont bien disposés à notre égard. D’autres considèrent même nos ennemis comme leurs ennemis. Même parmi les Juifs, il se trouve beaucoup de gens qui désapprouvent ce que font les Israéliens.
Nous ne devons pas nous opposer à tous les non-musulmans. Nous devons gagner leur coeur et leur esprit. Nous devons les rallier à notre cause, non pas en les suppliant de nous aider, mais en nous aidant nous-mêmes de manière exemplaire. Nous ne devons pas renforcer l’ennemi en poussant tout le monde dans son camp par des agissements irresponsables et réprouvés par l’islam. Souvenez-vous de Salah ed-Dine et de la manière dont il s’est comporté avec les Croisés, en particulier avec le roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion. Souvenez-vous de la considération avec laquelle le Prophète regardait ses ennemis. Nous devons en faire autant. Ce qui compte, c’est la victoire, pas les représailles rageuses ni la vengeance.
Nous devons être forts dans tous les secteurs, pas seulement sur le plan militaire. Nos pays doivent être stables et bien administrés, économiquement et financièrement puissants, industriellement compétents et technologiquement avancés. Cela prendra du temps, mais ce sera du temps employé à bon escient. Notre religion nous appelle à la patience. Inna llaha ma’a s-sabirin (« Allah est avec les patients »). La patience est de toute évidence une grande vertu.
Mais la défense de la Oumma, la contre-attaque, ne doivent pas attendre que nous mettions de l’ordre dans la maison. Nous disposons aujourd’hui de suffisamment d’atouts pour contrer nos adversaires. Il nous faut les évaluer et déterminer la meilleure manière de les mettre à profit pour mettre un terme au carnage. Cela est tout à fait possible si nous prenons le temps de réfléchir, si nous élaborons un plan, une stratégie, et faisons quelques pas dans le bon sens. Même de petits pas conduisent à des résultats positifs.
Nous savons que les Arabes de la Jahiliya se sont entretués simplement parce qu’ils appartenaient à différentes tribus. Le Prophète a prêché la fraternité au nom de l’islam et leur a permis de surmonter leur haine, de s’unir pour bâtir tous ensemble une civilisation. Est-ce à dire que les Arabes de la Jahiliya ont réussi là où les musulmans modernes, ou du moins une partie d’entre eux, ont échoué ? À défaut de faire renaître notre civilisation, essayons au moins d’assurer la sécurité de la Oumma.
Il n’est pas nécessaire, pour concrétiser ces propositions, que nous gommions toutes nos différences. Il suffit juste que nous concluions un pacte afin de nous attaquer ensemble à certains problèmes d’intérêts communs, comme la Palestine, par exemple.
Dans toute lutte, dans toute guerre, rien n’est plus important que l’action concertée et coordonnée. Il est juste besoin d’un peu de discipline. Le Prophète a perdu la bataille d’Ohod parce que ses troupes avaient rompu les rangs. Nous savons cela. Pourtant, nous sommes toujours aussi peu disposés à faire preuve de discipline et à renoncer aux actions ponctuelles et non coordonnées. Nous devons être courageux, pas téméraires. Nous ne devons pas seulement penser à notre rétribution dans la vie future, mais aussi aux objectifs terrestres de notre mission.
Le Coran nous enseigne que lorsque l’ennemi recherche la paix, nous devons réagir positivement. Le traité qu’on nous propose nous est défavorable, certes, mais nous pouvons négocier. Ce que le Prophète a fait à Houdaybiya. Avec la victoire à la clé.
Je suis parfaitement conscient du fait que ces idées sont impopulaires. Ceux d’entre nous qui sont en colère les rejetteront. Et voudront même réduire au silence tous ceux qui prônent une telle ligne de conduite. Ils préfèrent continuer à envoyer de jeunes hommes et de jeunes femmes accomplir le sacrifice suprême. Mais où cela mène-t-il ? Certainement pas à la victoire. Depuis cinquante ans, nous nous battons pour la Palestine sans résultat. Nous avons en réalité aggravé notre situation.
L’ennemi accueillera favorablement ces propositions, et on conclura que leurs promoteurs roulent pour lui. Mais réfléchissez ! Nous sommes en face d’un peuple qui réfléchit. Qui a survécu à deux mille ans de pogroms en réfléchissant, pas en rendant coup pour coup. Un peuple qui a inventé et promu le socialisme, le communisme, les droits de l’homme et la démocratie pour discréditer ses persécuteurs et obtenir les mêmes droits que les autres peuples. Cela lui a permis de prendre le contrôle des pays les plus puissants et de devenir lui-même, malgré son petit nombre, une puissance mondiale. Nous ne pouvons lutter contre lui en recourant uniquement à la force ; nous devons nous servir aussi de notre intelligence.
Depuis quelque temps, ce peuple, à cause de sa puissance et de ses apparents succès, est devenu arrogant. Et l’arrogance, comme la colère, détourne de la réflexion. Il a déjà commencé à faire des erreurs. Et il en commettra encore d’autres. Des occasions s’offrent – ou vont s’offrir – à nous. Nous devons les saisir.
Mais pour ce faire, il nous faut agir comme il se doit. La rhétorique est une bonne chose. Elle nous permet d’exposer les injustices commises contre nous. Et peut-être même de gagner quelque sympathie et soutien. Elle peut renforcer notre détermination à affronter l’ennemi.
Nous pouvons et devons prier Allah, car c’est Lui, en dernière instance, qui décidera de notre victoire ou de notre défaite. Nous avons besoin de Sa bénédiction et de Son aide pour voir nos efforts couronnés.
Mais c’est en fonction de notre manière d’agir et de nos actes qu’Il nous aidera ou non à obtenir la victoire, comme Il le dit Lui-même dans la sourate el-Ra’d.
Le monde entier nous observe. La Oumma tout entière a placé ses espoirs dans cette conférence, dans les dirigeants des pays islamiques. Elle n’attend pas seulement de nous que nous déversions notre frustration et notre colère en paroles et en gesticulations ; que nous priions pour la bénédiction d’Allah. Elle attend de nous que nous fassions quelque chose, que nous agissions. Nous, dirigeants du monde musulman, nous n’avons pas le droit de dire que nous ne pouvons rien faire. Nous n’avons pas le droit de dire que nous ne pouvons pas nous unir face aux tentatives de destruction de notre religion et de la Oumma.
Nous savons que nous le pouvons. Il y a énormément de choses que nous pourrions faire. Nous avons de nombreuses ressources à notre disposition. Il suffit d’avoir la volonté d’agir. En tant que musulmans, nous devons être reconnaissants à notre religion pour les enseignements qu’elle nous dispense, nous devons faire ce qui doit être fait, avec détermination. Allah ne nous a pas placés, nous autres dirigeants, au-dessus des nôtres pour jouir égoïstement du pouvoir. Le pouvoir que nous exerçons doit être mis au service de nos peuples, de la Oumma, de l’islam. Nous devons user de ce pouvoir judicieusement, prudemment, de manière concertée. Et, à la fin, nous triompherons, incha’ Allah.

1. Madhhab : école juridique. 2. Tariqa : confrérie.
3. Jahiliya : époque préislamique.

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