Guinée – Foniké Mengué : « Doumbouya a ma confiance, mais il est mal entouré »

Farouche opposant à Alpha Condé, le militant a été nommé le 3 février à la tête du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). Libéré de prison au lendemain du coup d’État, il ne mâche pas ses mots face aux autorités de la transition. Et se dit prêt, s’il le fallait, à redescendre dans la rue.

Portrait de Foniké Mengué à Conackry le 15 février 2022. © Youssouf Bah pour JA

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Publié le 16 février 2022 Lecture : 5 minutes.

Le 5 mars, six mois se seront écoulés depuis la chute d’Alpha Condé. Six mois durant lesquels Mamadi Doumbouya a imprimé sa marque au sommet de l’État et qui, pour Oumar Sylla, alias Foniké Mengué, ont un goût de liberté : le 7 septembre, alors que le sort du président déchu était encore incertain, l’infatigable activiste sortait de prison. Il avait été incarcéré un an auparavant, à la veille de l’élection présidentielle remportée par Alpha Condé, puis condamné à trois ans de détention.

Mais s’il doit sa libération au putsch, le nouveau chef du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC, qui s’était engagé contre le troisième mandat d’Alpha Condé), ne retient pas ses coups envers les autorités de la transition.

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« Inquiet » face à la manière dont les militaires gèrent le pays, Foniké Mengué réclame un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Mais s’abstient toutefois de critiquer Mamadi Doumbouya, qu’il estime « soucieux de bien faire », ni certaines de ses décisions les plus controversées.

Jeune Afrique : Presque six mois après le coup d’État, comment jugez-vous la situation dans le pays ?

Foniké Mengué : Elle est inquiétante. Nous n’avons aucune visibilité sur la marche de la transition. Nous ne connaissons même pas la liste des membres du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).  La charte de la transition stipule qu’ils ne participeront pas aux élections, mais comment s’assurer du respect de cette disposition si l’on ne sait pas qui siège au CNRD ? Et pourquoi les grands acteurs politiques que sont le FNDC et les partis politiques ne sont-ils pas davantage associés à ce que fait le comité ? Il n’y a aucun dialogue entre eux et nous.

N’êtes-vous pas en contact avec les autorités de transition ?

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Les deux premières semaines, nous avons été reçus par le CNRD, à qui nous avons conseillé de rendre la transition inclusive. Force est de constater que nous n’avons pas été entendus. Or l’exclusion peut créer des mécontentements et des frustrations, et nous souhaitons que cette transition réussisse.

Le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition, ne permet-il pas aux différents acteurs de s’exprimer ?

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Il n’est ni représentatif ni légitime. La plupart de ses membres ont été cooptés, ils sont là par copinage. Si le CNT était représentatif, ses membres n’auraient pas besoin de réaliser la tournée annoncée pour rencontrer des citoyens à travers le pays. Et n’oublions pas que son président, Dansa Kourouma, a été un grand promoteur du troisième mandat d’Alpha Condé.

Le durée de la transition doit être très raisonnable et le retour à l’ordre constitutionnel rapide

Une critique dont il se défend lui-même…

Il n’a pas la probité morale et la crédibilité requises pour le poste.

Que lui reprochez-vous exactement ?

Comme dit le dicton, qui ne dit mot consent. De la création du FNDC, le 3 avril 2019, à la chute d’Alpha Condé, Dansa Kourouma n’a jamais lutté contre le troisième mandat. De plus, il s’exprimait publiquement contre les opposants. Nous n’avons pas confiance en lui ni dans le CNT. La durée de la transition doit être très raisonnable et le retour à l’ordre constitutionnel rapide.

Quelle serait la durée raisonnable ?

Nous nous prononcerons très bientôt sur cette question.

Quelle opinion avez-vous de Mamadi Doumbouya ?

Il a pour l’instant ma confiance. Il est rentré dans l’Histoire, à lui maintenant de se battre pour y rester de façon positive. Mais des gens toxiques dans son entourage veulent l’induire en erreur. À mon sens, il préside mais ne dirige pas.

Au sein du CNRD ?

Au CNRD, mais aussi dans son entourage direct ou indirect. Certains partent nuitamment pour le rencontrer, lui disent qu’il faut qu’il reste au pouvoir. C’est mauvais pour lui. La même chose s’est produite concernant Alpha Condé. Certes, il avait lui-même la volonté [de se représenter]. Mais ses ministres auraient pu le convaincre de renoncer, ou à défaut démissionner pour manifester leur désaccord. On voit le résultat aujourd’hui.

Que pensez-vous de ces anciens du parti d’Alpha Condé, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), qui s’organisent pour les futures élections et pour désigner un candidat à la présidentielle ?

Tous ceux qui ont fait la promotion du troisième mandat doivent être sanctionnés. Il a coûté cher à la Guinée et causé la mort d’une centaine de Guinéens. Mais en attendant que la justice fasse son travail, ceux qui ont soutenu le troisième mandat doivent être écartés de la gestion publique pendant au moins cinq ans.

Si l’on suit votre raisonnement, tous ceux qui n’ont pas lutté activement contre le troisième mandat pourraient être entendus par la justice…

Les personnes aux postes de responsabilité sont facilement identifiables. Les procureurs, les ministres, par exemple, pourraient être convoqués. La justice est la priorité des priorités.

L’avenir d’un pays n’est pas l’affaire d’un groupe de copains qui se retrouvent dans de petits bureaux

Qu’attendez-vous des leaders de l’ex-opposition à Condé, dont certains étaient ou demeurent proches du FNDC ?

Je pense qu’ils veulent s’impliquer et apporter leur savoir-faire. Mais sans discussions, comment faire ? L’avenir d’un pays n’est pas l’affaire d’un groupe de copains qui se retrouvent dans de petits bureaux.

Quel regard portez-vous sur la transition malienne, qui fait elle aussi suite à un coup d’État ?

Je préfère ne pas m’exprimer sur cette question.

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait requis une transition de six mois au lendemain du putsch en Guinée. Le risque de voir le régime de sanctions aggravé après cette date vous inquiète-t-il ?

Bien sûr. C’est au CNRD de négocier un délai plus long, mais jusqu’à présent, il ne s’est pas exprimé sur la question. Mamadi Doumbouya doit penser au peuple. Et si celui-ci doute, c’est largement à cause de cette nomination de Dansa Kourouma. Elle tire le colonel vers le bas et entame l’estime du peuple. C’est l’un des facteurs qui peut faire échouer la transition.

Votre nom avait un temps circulé. Auriez-vous pu mieux faire ?

Le FNDC souhaitait, en tant que mouvement, diriger le CNT et obtenir quelques sièges, c’est vrai. Nous avons lutté contre le tripatouillage de la Constitution et aurions pu être utiles, changer les choses.

Si le CNRD n’a pas voulu me donner le poste, c’est parce que je ne suis ni un béni-oui-oui, ni manipulable. On ne peut que prendre acte de cette décision et continuer à jouer notre rôle de sentinelle de la démocratie.

Pourriez-vous redescendre dans la rue pour vous faire entendre ?

Ce n’est pas ce que nous souhaitons, mais la reprise des manifestations n’est pas à exclure.

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