Algérie : pourquoi Djamila Boupacha a dit non à Abdelmadjid Tebboune

Pour beaucoup, Djamila Boupacha a décliné le poste de sénatrice dans le tiers présidentiel pour ne pas servir de caution au système en place. Mais des empêchements personnels ont aussi pesé dans sa décision.

Djamila Boupacha, grande figure de l’indépendance algérienne. © DR

Publié le 18 février 2022 Lecture : 4 minutes.

Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, le 19 décembre 2019. © Toufik Doudou/AP/SIPA
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La présidence a-t-elle rendu publique la liste des sénateurs nommés sans le consentement préalable des concernés ? Tout semble l’indiquer si l’on en juge la réaction immédiate et ferme de l’icône de la révolution Djamila Boupacha, après l’annonce le 15 février de la liste du tiers présidentiel au Sénat.

« Je tiens à préciser que j’ai exprimé ma volonté et mon avis sur la question et j’ai décliné cette proposition qui m’a été faite par les instances officielles en les remerciant de la confiance qu’ils ont placée en moi », a réagi Djamila Boupacha dans un communiqué publié dans la soirée sur la page Facebook de son amie Nacera Douagui.

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« Pour cela, je tiens à informer l’opinion publique que Djamila Boupacha ne fera pas partie du tiers présidentiel nommé. J’ai servi mon pays auprès de mes frères et sœurs en tant que Moudjahida (combattante, ndlr) et j’ai repris la vie de citoyenne depuis et je tiens à le rester », précise-t-elle.

Deuil

Instantanément, la toile s’est enflammée avec un hommage appuyé à la grande héroïne de la bataille d’Alger. « L’information du refus de madame Boupacha à l’offre d’un système habitué à ces procédés de récupération et de clientélisme s’est répandue plus vite que la nouvelle de sa nomination, semant joie, honneur, fierté », soutient un internaute qui résume le sentiment de beaucoup d’Algériens.

Toutefois, le refus de la révolutionnaire n’est pas seulement motivé par son aversion à figurer dans le tiers présidentiel au Conseil de la nation ou l’instrumentalisation éventuelle de son image par le pouvoir. « Djamila Boupacha souffre de plusieurs maladies chroniques et vient de subir une intervention sur le col du fémur. En pleine période de deuil après le décès de son frère, elle doit également assister son époux qui est amoindri par la maladie », selon son entourage contacté par Jeune Afrique.

La présidence algérienne a toujours cherché à intégrer des figures de la révolution dans son quota au Sénat

La chambre haute du parlement algérien est composé à un tiers par des membres directement nommés par le président de la République. À part Djamila Boupacha, figurent sur la liste présidentielle des noms connus comme celui de l’ancien procureur général de la Cour d’Alger, Kaddour Barradja, ou encore Dahou Ould Kablia, ex-ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales dans les gouvernements d’Ahmed Ouyahia, puis d’Abdelmalek Sellal. Comme Djamila Boupacha, Dahou Ould Kablia a joué un rôle de premier plan durant la guerre de libération nationale au sein du ministère de l’Armement et des Liaisons générales entre 1956 et 1963.

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Figures de la révolution

Avant lui, l’avocate et militante de l’indépendance algérienne Zohra Drif a été, jusqu’en 2016, sénatrice dans le tiers présidentiel. Ancienne vice-présidente du Conseil de la nation, l’épouse de Rabah Bitat, un des neuf chefs historiques du FLN, a présidé, en outre, le groupe d’amitié parlementaire Algérie-France.

Également ancienne sénatrice désignée dans le quota du chef de l’État, la militante nationaliste algérienne, Louisa Ighilahriz, a démissionné de son poste en octobre 2018 pour exprimer son refus du cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, chassé du pouvoir en avril 2019 sous la pression des manifestations du Hirak. Meriem Belmihoud Zerdani, militante indépendantiste et féministe, a elle aussi été sénatrice, directement nommée par le président, de 1997 à 2003. Elle a ensuite rejoint le comité des Nations unies contre la discrimination à l’égard des femmes.

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C’est dire que la présidence algérienne a toujours cherché à intégrer des figures de la révolution dans son quota au Sénat, et au-delà, au sein des organisations internationales comme représentant de leur pays.

Djamila Boupacha, le 22 avril 1962. © Djamila Boupacha, en 1962. AFP

Djamila Boupacha, le 22 avril 1962. © Djamila Boupacha, en 1962. AFP

Aura internationale

En cette année 2022, qui marque le soixantième anniversaire de l’indépendance, le choix porté sur Djamila Boupacha n’est pas fortuit, en raison de sa notoriété et de son aura. En septembre 1959, une bombe – finalement désamorcée – est placée dans la brasserie de la faculté d’Alger. Soupçonnée, Djamila Boupacha est arrêtée cinq mois plus tard.

Une ampleur médiatique internationale après la publication d’une tribune de Simone de Beauvoir

Ses aveux obtenus sous la torture donnent lieu à une condamnation à mort en France. Mais, à l’initiative de son avocate Gisèle Halimi et avec la contribution de Simone de Beauvoir, le procès donne en fait lieu à celui des méthodes de l’armée française en Algérie.

L’affaire prend une ampleur médiatique internationale après la publication d’une tribune de Simone de Beauvoir dans le journal Le Monde, en juin 1960. Dans le sillage du procès, un comité pour Djamila Boupacha naît, qui compte en son sein des membres aussi prestigieux que Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Gabriel Marcel et Aimé Césaire.

Pour marquer son martyr, Picasso a dessiné le portrait de la révolutionnaire qui illustre la couverture du livre que Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir lui ont consacré en 1962. Djamila Boupacha est finalement amnistiée dans le cadre des accords d’Évian et libérée en avril 1962. Depuis elle tient à vivre à l’écart de la vie publique, entourée de sa famille et de ses proches.

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