Algérie : quand Bouteflika et Nezzar cachaient leurs millions en Suisse

Selon une enquête menée par un consortium de médias, l’ancien président algérien détenait un compte au Crédit Suisse. Tout comme Khaled Nezzar, ex-patron de l’armée, et plusieurs dignitaires arabes.

L’ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika, le 26 novembre 2012, à Alger. © REUTERS/Louafi Larbi

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Publié le 23 février 2022 Lecture : 4 minutes.

Une petite fortune cachée en Suisse et un parjure officiel maintes fois répété. L’ancien président Abdelaziz Bouteflika, décédé en septembre 2021, possédait un compte à la banque Crédit Suisse à Genève crédité au 31 octobre 2005 d’un montant de 1 483 528 francs suisses, soit l’équivalent de 1 million d’euros de l’époque.

Selon les révélations de « Suisse Secrets », une enquête d’un consortium de médias internationaux qui ont épluché 18 000 comptes bancaires administrés par la banque helvétique Crédit Suisse, l’ancien chef de l’État algérien avait ouvert son compte un mois avant son accession au pouvoir en avril 1999.

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Ce compte, dont étaient bénéficiaires ses deux frères, Saïd (aujourd’hui en prison) et Nacer, ainsi que sa sœur Zhor, a été clôturé en octobre 2011. Soit deux ans et dix mois après sa réélection pour un troisième mandat, en avril 2009. À sa clôture, ce compte était crédité de 430 francs suisses.

Abdelaziz Bouteflika, qui a vécu par intermittence en Suisse dans les années 1980 et 1990, n’a jamais fait état de l’existence de ce compte au cours des vingt années de son règne. Or la législation algérienne est claire sur le chapitre des comptes détenus à l’étranger.

Parjure

L’article 126 de l’ordonnance relative à la monnaie et au crédit de 2003 dispose que « les résidents en Algérie sont autorisés à transférer des capitaux à l’étranger pour assurer le financement d’activités à l’étranger complémentaires à leurs activités de production de biens et de services en Algérie. Le Conseil détermine les conditions d’application du présent article et accorde les autorisations conformément à ces conditions ».

L’argent versé par le cheikh Zayed à Bouteflika n’a jamais fait l’objet d’un rapatriement en Suisse

Manifestement, l’ancien président ne considérait pas que l’obligation s’appliquait à sa personne. Il s’est même sciemment rendu coupable de parjure dans la mesure où il n’a jamais fait mention de l’existence de ce compte suisse dans ses multiples déclarations de patrimoine publiées au journal officiel.

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Aussi bien pour l’élection présidentielle de 2004 que pour celle de 2009, Abdelaziz Bouteflika avait déclaré posséder deux maisons individuelles achetées respectivement en novembre 1987 et décembre 1991, un appartement acquis en mai 1988, ainsi que deux véhicules particuliers achetés en 1990 et 1991. La déclaration d’Abdelaziz Bouteflika, parue au journal officiel, était parue avec la mention « Déclaration certifiée exacte et sincère ».

D’où pouvaient donc provenir ces fonds qu’il avait déposés au Crédit Suisse ? À l’époque de sa traversée du désert, Bouteflika avait officié comme conseiller diplomatique pour le compte de Zayed Ben Sultan Al Nahyane, ancien émir d’Abou Dhabi et président des Émirats arabes unis. Mais l’argent versé par le cheikh Zayed entre 1984 et 1987, une moyenne de 100 000 dollars par mois, n’a jamais fait l’objet d’un rapatriement en Suisse.

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S’agit-il d’argent déposé en espèces et provenant d’Algérie ? Possible. Son frère Saïd Bouteflika voyageait souvent en compagnie d’un régisseur de la présidence de la République, lequel ne quittait jamais sa valise remplie de billets.

Le mystère risque de durer, le principal détenteur n’étant plus de ce monde et son frère, qui attend son jugement à la prison d’El Harrach, n’a de cesse de clamer via ses avocats ne posséder ou n’avoir possédé aucun bien immobilier ou autre à l’étranger.

Le nom d’Abdelaziz Bouteflika apparaît avec 500 autres noms de personnalités algériennes ayant détenu des comptes dans cet établissement suisse, dont notamment Khaled Nezzar, l’ancien homme fort de l’armée entre 1990 et 1993.

Selon l’enquête du consortium, Nezzar était titulaire entre 2004 et 2005 de deux comptes au Crédit Suisse, crédités de l’équivalent de 1,4 million d’euros.

Mais aussi Moubarak, Khaddam, Abdallah…

L’ancien ministre de la Défense était associé avec son fils à l’entreprise Smart Link, premier fournisseur d’accès à internet en Algérie, qu’ils avaient créée en 2001.

Les deux fils de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, Gamal et Alaa, possédaient aux moins six comptes au Crédit Suisse

Contactés par Le Monde, les avocats de Nezzar affirment que les fonds de leur client « proviennent exclusivement d’activités légitimes et légales et donc, par définition, non liées à une quelconque suspicion de crime, que notre client nie fermement avoir commis ».

L’Algérie n’est pas le seul pays du Maghreb et du monde arabe dont les dirigeants affectionnent les services des banques helvétiques. Dans ce scandale de « Suisse Secrets », plusieurs noms de dignitaires arabes apparaissent.

Les deux fils de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, Gamal et Alaa, possédaient aux moins six comptes au Crédit Suisse, dont l’un était crédité de 277 millions de francs suisses, soit environ 180 millions d’euros. Abdel Halim Khaddam, ancien vice-président syrien qui avait tourné le dos au régime Assad et décédé en 2020 à Paris, disposait de 90 millions de francs suisses (58 millions d’euros) sur un compte ouvert en 1994.

Le roi Abdallah de Jordanie, au pouvoir depuis la mort de son père en 1999, détient plus de 200 millions d’euros chez Crédit Suisse, alors que son épouse Rania y possédait un compte, clôturé en 2013, crédité de 39 millions de francs suisses (32 millions d’euros).

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