Printemps 56 : la libération du Maroc et de la Tunisie

Un documentaire de France 5 célèbre le cinquantenaire de l’indépendance des deux anciens protectorats français du Maghreb. Un anniversaire ignoré par les autres chaînes et les grands médias tricolores.

Publié le 3 avril 2006 Lecture : 5 minutes.

Un Mitterrand peut en cacher un autre. Tunis, le 20 mars 1956. Une foule en liesse célèbre la fin du protectorat français. Habib Bourguiba savoure son triomphe : ce jour marque l’aboutissement du combat d’une vie et le propulse au panthéon des grands hommes. Il est et sera pour toujours El-Moujahid el-Akbar, le Combattant suprême. La République française, qui a accepté le principe du retrait graduel en signant les accords de Carthage, le 31 juillet 1954, s’associe à l’événement en dépêchant son garde des Sceaux, François Mitterrand.
Paris, mars 2006. Le Maroc et la Tunisie ont fêté, à quelques jours d’intervalle, le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Une commémoration qui a rencontré peu d’écho médiatique en France. La presse, hormis L’Express et Le Nouvel Observateur, qui ont chacun consacré un cahier spécial au Maroc, a oublié d’en rendre compte. La télévision, elle, n’a pas bouleversé ses programmes. Seule France 5, la petite dernière des chaînes du service public de télévision, s’est singularisée en diffusant Un printemps 56, très beau documentaire en deux parties (deux fois cinquante-deux minutes), signé Frédéric Mitterrand, le neveu de l’autre
Homme de télévision aux multiples talents (animateur, scénariste, réalisateur), Frédéric Mitterrand, 59 ans, est un amoureux de la Tunisie, pays qu’il considère comme sa seconde patrie, dont il a demandé et obtenu la nationalité, et où il réside une partie de l’année. C’est aussi un familier du Maroc, où il a vécu une partie de son adolescence. Épaulé par son ami Yannis Chebbi, le patron d’origine tunisienne d’Électron Libre, une société de production audiovisuelle indépendante, c’est donc « tout naturellement » qu’il s’est attelé à la réalisation de ces deux documentaires jumeaux, il y a un peu plus d’un an. Construits et découpés de manière similaire, sur un mode narratif, les films accordent une place centrale aux deux héros de la marche vers l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, le sultan Mohammed Ben Youssef, le futur Mohammed V, et l’avocat nationaliste francophile Habib Bourguiba. Un choix éditorial à la fois cohérent et discutable, qui simplifie le récit et le rend accessible aux non-initiés, mais qui, s’agissant de l’épisode marocain, présente l’inconvénient de réduire, voire d’occulter le rôle pourtant essentiel d’acteurs comme Abderrahim Bouabid, Abderrahmane Youssoufi, ou encore Mehdi Ben Barka.
Mitterrand s’est beaucoup appuyé sur les archives des actualités cinématographiques françaises, des images estampillées « coloniales », mais qui constituent souvent la seule source documentaire disponible. Il s’est attaché cependant, dans ses commentaires et en faisant intervenir des grands témoins, à corriger et mettre en perspective ces documents.
Un printemps marocain comporte quelques morceaux d’anthologie. Parmi les scènes les plus marquantes : la prosternation du glaoui de Marrakech, implorant, à genoux, le pardon du sultan après son retour d’exil, et ces rares et inédites séquences de bonheur familial, montrant Mohammed V et ses enfants pique-niquant à la campagne ou batifolant dans une piscine, extraites des archives personnelles de la famille royale, prêtées à l’auteur par la princesse Lalla Amina, la sur cadette de feu Hassan II.
Le film sur la Tunisie, quoique moins riche sur le plan iconographique, est mieux maîtrisé, davantage nuancé et, peut-être, plus émouvant. Bourguiba, que l’on voit sur de nombreux clichés, s’y taille évidemment la part du lion. Mais personne n’est oublié, et surtout pas le bey Moncef, objet d’une extraordinaire vénération populaire, patriote ombrageux et courageux, monté sur le trône en 1942 et déposé un an plus tard par le général Juin, le résident français. Le rôle du syndicaliste Farhat Hached, assassiné, en décembre 1952, à l’âge de 38 ans, par les terroristes de la Main rouge, est également souligné, avec insistance et justesse. Le casting des témoins est rendu remarquable par la présence de celui que les Tunisiens appellent familièrement « Bibi », Habib Bourguiba junior, le fils unique du zaïm, issu de son union avec la Française Mathilde Lorrain, et des anciens ministres Mohamed Sayah, Driss Guiga, Ahmed Mestiri, Béchir Ben Yahmed et Noureddine Hached.
Le sens politique du fondateur du Néo-Destour, la formidable magie de son verbe, le magnétisme de son charisme, mais aussi ses accès de mesquinerie, sont décortiqués et analysés avec nuance et lucidité. Mais le témoignage le plus bouleversant est sans conteste celui du vieux militant communiste Georges Adda, lorsqu’il raconte le courage devant la mort de trois militants nationalistes, s’époumonant à chanter l’hymne national alors qu’on les conduit au poteau d’exécution. Instant cruel et magnifique : les murs de la prison de Tunis se mettent à trembler lorsque le chant des patriotes est repris, en chur, par les 1 000 autres détenus, et couvre le bruit des rafales…
Les films, diffusés les 18 et 25 mars 2006 sur France 5, ont fait également l’objet d’une projection spéciale organisée à l’Institut du monde arabe (IMA) dans la soirée du lundi 27 mars, devant l’ambassadeur du Maroc à Paris, Fathallah Sijilmassi. Son homologue tunisien, Raouf Najar, qui devait aussi y assister – et qui était présent lors de l’avant-première, le 16 mars, à France Télévisions -, a en revanche fait faux bond sans explication. Faut-il y voir le signe d’un certain malaise qui règne, en Tunisie, autour de ces cérémonies du cinquantenaire, organisées sans faste particulier ? Le Maroc de Mohammed VI a célébré l’événement en grande pompe, à Rabat, le 16 novembre 2005, avec quelques mois d’avance sur le calendrier officiel* en présence de nombreux invités étrangers, dont les Premiers ministres français et espagnol Dominique de Villepin et José Luis Rodriguez Zapatero. Ce fut l’occasion d’un grand débat national sur le bilan d’un demi-siècle d’indépendance, qui a culminé avec la remise du « Rapport du cinquantenaire » (voir J.A.I. n° 2349).
La Tunisie, elle, s’est contentée du service minimum : un discours, à tonalité très économique, du président Zine el-Abidine Ben Ali, devant les cadres et militants du parti, à Radès, le 20 mars, et un défilé militaire le lendemain, aux Berges du Lac. Mais la réflexion sur le bilan et les perspectives d’ouverture politique a été, elle, pour l’instant, soigneusement escamotée. Et la société civile n’a pas eu son mot à dire

* La date retenue coïncide en fait avec l’anniversaire du retour d’exil de Mohammed V, le 16 novembre 1955.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires