Ukraine-Russie : pétrole, céréales, diplomatie… Quel sera le prix à payer pour l’Afrique ?

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine promet d’avoir des conséquences mondiales. Diplomatiques ou économiques, elles se font déjà sentir en Afrique.

Des Ukrainiens nettoient après qu’un missile russe a endommagé un bâtiment lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dans le quartier de Kharkivskiy, à Kiev, le 25 février 2022. © Justin Yau/Sipa USA/SIPA.

Publié le 25 février 2022 Lecture : 9 minutes.

Les troupes russes ont envahi l’Ukraine depuis moins de 24 heures que les effets diplomatiques et économiques se font ressentir sur l’ensemble de la planète, Afrique comprise. Ces dernières années, Moscou a fortement développé ses relations avec le continent, dans la foulée des accords de coopération militaires ou nucléaires signés avec un certain nombre de pays africains.

La Russie et l’Ukraine figurent par ailleurs parmi les principaux fournisseurs de céréales (blé, orge mais aussi oléagineux pour bétail) sur le continent et le prix des hydrocarbures (gaz et pétrole), dont la Russie est aujourd’hui le troisième producteur mondial, s’est envolé. D’ores et déjà, les conséquences promettent d’être multiples pour les pays africains et le plus souvent douloureuses, pour leurs populations et leurs lignes budgétaires respectives.

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Sans oublier bien sûr les dizaines de milliers de ressortissants africains recensés en Ukraine et dont la situation se complique à mesure qu’avancent les troupes russes. Jeune Afrique propose un premier tour d’horizon des principales répercussions de ce conflit sur le continent.

Diplomatie sur les pointes

Le président sénégalais Macky Sall lors de la 76e Assemblée générale des Nations unies, à New-York, le 24 septembre 2021. © JOHN ANGELILLO/AP/SIPA

Le président sénégalais Macky Sall lors de la 76e Assemblée générale des Nations unies, à New-York, le 24 septembre 2021. © JOHN ANGELILLO/AP/SIPA

Sur le front diplomatique, les réactions issues du continent sont, pour l’heure, relativement rares. L’Union africaine (UA) a fait part, le 24 février, de son « extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine ».

Dans un communiqué signé du Sénégalais Macky Sall, président en exercice de l’UA, et le Tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’institution, l’organisation panafricaine appelle « la fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine ». Tous deux « exhortent les deux parties à l’instauration immédiate d’un cessez le feu et à l’ouverture sans délai de négociations politiques sous l’égide des Nations unies », mettant en garde contre les « conséquences d’un conflit planétaire ».

Cette situation fait écho à notre histoire. Le Kenya et presque tous les pays africains sont nés de la fin d’un empire

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Avant que le président russe Vladimir Poutine ne lance ses troupes sur l’Ukraine, l’ambassadeur du Kenya aux Nations unies, Martin Kimani, avait délivré un discours pour le moins offensif, lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. « Nous condamnons (…) fermement la tendance de ces dernières décennies à ce que des États puissants, y compris des membres de ce Conseil de sécurité, violent le droit international avec peu de considération. »

Jugeant que le multilatéralisme était « sur son lit de mort », il a dressé un parallèle entre les visées russes sur l’Ukraine et le passé colonial du continent. « Cette situation fait écho à notre histoire. Le Kenya et presque tous les pays africains sont nés de la fin d’un empire. Nos frontières n’ont pas été dessinées par nous-mêmes », a-t-il rappelé.

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Les ambassadeurs du Ghana et du Gabon, les deux autres États africains membres du Conseil de sécurité onusien, se sont associés à leur collègue kenyan pour également condamner l’offensive russe.

Divergences chez les pays « alliés »

Session pleinière lors du sommet Russie-Afrique à Sochi (Russie), le 24 octobre 2019.. © Sergei Chirikov/AP/SIPA

Session pleinière lors du sommet Russie-Afrique à Sochi (Russie), le 24 octobre 2019.. © Sergei Chirikov/AP/SIPA

L’Afrique du Sud a également réagi, son président, Cyril Ramaphosa se proposant d’engager des discussions avec la Russie et les États-Unis « pour que cette guerre cesse », lors d’une réunion intergouvernementale organisée à Pretoria ce 25 février . Avant cela, Naledi Pandor, sa ministre des Affaires étrangères avait « appellé la Russie à retirer immédiatement ses forces d’Ukraine », en insistant « sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États ». La position sud-africaine est un coup dur pour la Russie, alors que les deux pays entretiennent des liens économiques étroits, notamment en tant que membres des Brics (avec le Brésil, l’Inde et la Chine).

Si l’Éthiopie, amie traditionnelle de la Russie depuis l’empereur Hailé Selassié Ier et signataire d’importants accords de coopération militaire avec Moscou en juillet 2021 après des sanctions américaines décidées contre Addis Abeba au lendemain de la guerre en Érythrée, garde pour l’instant le silence, le voisin soudanais a pris une position plus tranchée.

Le général Mohammed Hamdane Daglo – dit Hemedti – est en effet en visite depuis le 23 février à Moscou. Véritable numéro deux du pouvoir à Khartoum, le chef des Forces de soutien rapide, des forces paramilitaires notamment impliquées dans la répression des manifestations pro-démocratie, discute avec les autorités russes du « renforcement » de la coopération entre les deux pays, mais aussi, à en croire les autorités soudanaises, de « questions régionales et internationales ».

Le Soudan, qui a autorisé en décembre 2020 la construction d’une base navale russe à Port-Soudan, est l’un des pays d’Afrique où le groupe de mercenaires russes Wagner est fortement implanté. Les autorités du Mali, de la République centrafricaine et de la Libye, où d’importants contingents russes sont également présents, se sont jusqu’à présent abstenus de tout commentaire.

Au Maghreb, l’Algérie, très liée à la Russie dont elle est un client assidu des industries d’armement, garde le silence. La Tunisie, par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, invité à l’ambassade ukrainienne de Tunis le 24 février, a condamné officiellement « l’agression armée de la Russie » et appelé à soutenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Montée en flèche des prix de l’énergie

Des travailleurs sur un tanker sur le site offshore de Bonga. © Akintunde Akinleye / Reuters

Des travailleurs sur un tanker sur le site offshore de Bonga. © Akintunde Akinleye / Reuters

Sur les marchés, l’entrée des troupes russes en Ukraine, a propulsé le prix du baril de pétrole au-dessus de la barre des 100 dollars – une première depuis 2014, année de l’annexion de la Crimée par la Russie. La crainte d’une rupture des flux d’approvisionnement a même provoqué une nouvelle envolée de 9 % dès le 25 février, à 105,79 dollars le baril qui pourrait se poursuivre si des sanctions sont prises contre la Russie, fournisseur de 11,5 % de l’offre mondiale en tant que deuxième exportateur de brut au monde.

Cette hausse du pétrole risque de ralentir les échanges commerciaux à l’échelle mondiale

Le président américain, Joe Biden, a rapidement promis de puiser dans les réserves stratégiques de son pays pour tenter de tempérer cette hausse qui promet déjà de se faire sentir sur l’ensemble des économies du continent. Dans le bon sens pour les producteurs « alternatifs » que sont le Nigeria et l’Angola, le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale, avec des conséquences bien plus douloureuses pour les finances de leurs voisins.

Pendant que les premiers devraient dégager suffisamment de cash pour rembourser leurs dettes auprès des bailleurs internationaux, les seconds risquent de voir leur facture énergétique atteindre de nouveaux sommets. En impactant le prix des carburants, cette hausse du pétrole va également provoquer celle du transport et donc de la plupart des biens de consommation sur le continent, avec un risque réel de ralentir les échanges commerciaux à l’échelle mondiale.

L’Europe s’inquiète de ses relations avec un voisin qui lui fournit chaque année près de 40 % de ses besoins énergétiques

Toujours au chapitre énergétique, les prix du gaz naturel sont également montés en flèche pour gagner près de 40 % lors des premières heures du conflit. L’Europe s’inquiète en effet de voir ses relations se détériorer durablement avec un voisin qui lui fournit chaque année près de 40 % de ses besoins énergétiques.

Une opportunité à saisir pour les pays producteurs africains, comme l’assure Samia Suluhu Hassan, la présidente tanzanienne, pour qui « cette crise va provoquer un intérêt particulier pour le gaz africain », dont son pays, ainsi que le Mozambique, la Mauritanie, le Nigeria, le Sénégal et plus encore l’Algérie pourraient profiter.

Alger a d’ailleurs tenu à rassurer ses partenaires européens, le président Abdelmadjid Tebboune affirmant dès le 24 février que son pays était en mesure « de respecter ses engagements en matière d’approvisionnement en hydrocarbures, notamment le gaz naturel ».

Craintes sur le marché céréalier
Dans une boulangerie à Abidjan, en 2019. © Sia KAMBOU/AFP

Dans une boulangerie à Abidjan, en 2019. © Sia KAMBOU/AFP

De leur côté, les minerais ont pour l’instant peu bougé dans leur grande majorité. Seul changement notable pour l’instant, la bauxite, dont la Guinée est un gros producteur, principal composant de l’aluminium qui lui vient de battre des records historiques et dont la Russie reste l’un des principaux producteurs mondiaux.

Valeur refuge par excellence, l’or vient d’enregistrer sa meilleure cotation depuis un an et demi, en gagnant 3 %, établissant l’once à 1 974 dollars, une hausse dont le Ghana, l’Afrique du Sud, le Mali (entre autres) devraient bénéficier. La poursuite du conflit pourrait néanmoins provoquer une hausse à moyen terme de certains minerais largement détenus par la Russie, du nickel à l’étain, en passant par le palladium, le platine ou encore le cuivre. Autant de richesses dont regorgent également les sous-sols africains.

Avec 14 millions de tonnes achetées chaque année, l’Égypte est le premier acheteur de blé russe de la planète

C’est encore sur le marché des céréales que les plus grandes perturbations sont attendues.La Russie et l’Ukraine assurant ensemble plus d’un tiers de la fourniture mondiale de blé, le boisseau a atteint les 9,29 dollars à Chicago, son prix le plus élevé depuis neuf ans.

Le continent est particulièrement concerné puisque l’Afrique du Nord reste l’une des deux principales régions au monde, avec le Moyen-Orient, à dépendre de ces importations de blé. Avec 13 à 14 millions de tonnes achetées chaque année, l’Égypte est ainsi le premier acheteur planétaire de blé russe. Les autorités viennent d’annoncer disposer d’une réserve de quatre mois.

La hausse spectaculaire du blé réactive le spectre des « émeutes de la faim

L’Algérie s’approvisionne également auprès de Moscou, premier exportateur mondial, à hauteur de 10 % de ses besoins, pendant que le Maroc (12 %), la Tunisie (48 %) et la Libye (43 %) ont, eux, fait le choix de se fournir auprès de l’Ukraine, quatrième vendeur de blé au monde.

La hausse spectaculaire du cours de la céréale la plus consommée sur la planète fait donc craindre une augmentation du pain, mais aussi des pâtes et de la semoule, réactivant le spectre des « émeutes de la faim », qui avaient déjà secoué la région dans un passé pas si lointain. En Afrique subsaharienne, des pays comme le Togo, le Cameroun, le Sénégal ou le Nigeria, qui s’approvisionnent toujours plus auprès de la Russie, pourraient également être fortement concernés.

Bénéficiant des meilleures terres agricoles de la planète selon les experts, l’Ukraine fournit également un cinquième des volumes de maïs consommés dans le monde, ainsi que 80 % de la production mondiale de tournesol. Ce dernier étant, avec le soja, l’un des principaux éléments utilisés pour l’alimentation animale, les experts s’attendent déjà à d’importantes conséquences pour le secteur de l’élevage en Afrique comme sur les autres continents.

L’urgence du rapatriement des ressortissants
Des personnes évacuées de l'est de l'Ukraine arrivent à la gare de Lviv (ouest), le 25 février 2022. © Kunihiko Miura/AP/SIPA.

Des personnes évacuées de l'est de l'Ukraine arrivent à la gare de Lviv (ouest), le 25 février 2022. © Kunihiko Miura/AP/SIPA.

Selon les autorités du pays, près de 76 000 Africains, toutes nationalités confondues mais majoritairement des étudiants, sont aujourd’hui établis en Ukraine. Parmi les dix premiers pays d’origine des étudiants étrangers, trois sont africains : le Maroc (8 000 étudiants), le Nigeria (4 000) et l’Égypte (3 500) font partie des rares à disposer d’une ambassade à Kiev, avec l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Libye et le Soudan.

Le royaume chérifien a été l’un des premiers à réagir concrètement en organisant les premiers vols de rapatriement dès le 21 février, entre Kiev et Tanger. Suite à la fermeture de l’espace aérien ukrainien, les autorités marocaines ont appelé leurs citoyens bloqués sur place à se rendre aux frontières avec la Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie où des cellules d’accueil et d’accompagnement ont été mises en place.

Le Nigeria s’est lui contenté d’un simple communiqué dans lequel le ministère fédéral des Affaires étrangères appelle ses ressortissants « à assurer leur propre sécurité » et à prendre contact avec l’ambassade nigériane en Ukraine pour ceux désireux de quitter le pays.

L’Égypte a, elle, exhorté ses ressortissants à obéir à l’état d’urgence décrété par les pouvoirs publics ukrainiens tout en conservant sur eux leurs papiers d’identité. Le Ghana, qui compte plus de 1 000 personnes dans le pays mais ne dispose pas d’ambassade sur place, a demandé à ses étudiants de rester chez eux ou de se rendre sur les lieux d’hébergements indiqués sur le site internet du gouvernement.

De son côté, la Tunisie a invité ses ressortissants à rester chez eux, le temps d’organiser un départ collectif. Le gouvernement tunisien négocie actuellement avec la Roumanie l’autorisation d’acheminer les Tunisiens d’Ukraine par bus depuis la frontière jusqu’à un aéroport d’où ils pourraient rallier Tunis. L’Algérie a, elle, appelé les 10 000 Algériens recensés dans le pays, « à faire preuve de vigilance, en respectant les instructions données par les autorités ukrainiennes ».

Dans d’autres pays, comme le Congo et la RDC, les autorités ont annoncé le 25 février avoir « pris contact avec la diaspora à Kiev », depuis leurs ambassades respectives à Ankara et à Moscou, sans autre précision, pendant que la Guinée a mis en place une cellule de crise à Conakry pour organiser le départ des 800 Guinéens présents en Ukraine, « via la Pologne et l’Allemagne ».

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