Côte d’Ivoire-Ghana : les ports d’Abidjan et de Tema se battent pour le trône ouest-africain

Face à un port ivoirien en pleine refonte, le voisin ghanéen a attiré d’importants investissements pour réaliser un nouveau terminal ultramoderne. La lutte pour la suprématie régionale s’intensifie.

Terminal à conteneurs du Port d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Mars 2016 © Jacques Torregano pour JA.

Publié le 2 mars 2022 Lecture : 4 minutes.

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Il y a Tanger Med au nord, Durban au sud. Djibouti, Mombasa et Port-Saïd à l’est. Mais à l’ouest ? La Côte d’Ivoire et le Ghana savent qu’il y a une place à prendre sur la carte des ports africains aux côtés de Lagos et de Lomé. Les deux pays ont lancé les grandes manœuvres au même moment, durant les années 2010, pour faire prendre une nouvelle dimension à leurs terminaux respectifs.

Au Ghana, le consortium MPS (Meridian Port Services), constitué de Bolloré Ports, d’APM Terminals (35 % chacun) et de l’autorité portuaire ghanéenne, a investi 1 milliard de dollars à partir de 2014 dans l’extension du port avec un terminal à conteneurs flambant neuf. À Abidjan, les autorités mènent un programme d’investissements depuis dix ans qui a permis d’injecter 1,1 milliard d’euros entre 2012 et 2019, pour réaliser un terminal roulier, un terminal céréalier (achevé en 2015) et l’agrandissement du canal de Vridi, chiffré à lui seul à 230 millions d’euros. En parallèle, Bolloré Ports, également présent et associé à APM Terminals dans le pays, a déboursé 400 millions d’euros pour construire un deuxième terminal.

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C’est tout naturellement que les deux ports sont au coude-à-coude : Abidjan revendique une capacité de traitement de 2,5 millions de conteneurs par an, exactement comme son voisin. Mais le ghanéen dispose d’un quai plus long – 1 400 m, contre 1 100 m côté ivoirien – et de plus d’espace de stockage (59 ha, contre 29,8). Tous deux ont adapté leur tirant d’eau aux exigences internationales avec 16,9 m à Tema contre 18 m à Abidjan.

Tahirou Diarrassouba, secrétaire général de la Communauté portuaire d’Abidjan, reconnaît toutefois que l’infrastructure ivoirienne demeure, sur plusieurs points, en position de challenger. « Le terminal 2 [T2] n’est pas encore opérationnel, les travaux ayant pris du retard à cause de l’épidémie de Covid. Et nous ferons les derniers aménagements du premier terminal uniquement quand le T2 sera enclenché », indique-t-il. À l’inverse, Tema tourne à plein régime depuis la mi-2019 et engrange les motifs de satisfaction : l’allemand Hapag-Lloyd en a fait son point de passage sur une ligne reliant l’Afrique du Sud au Moyen-Orient quand MSC y a implanté son deuxième hub après Lagos.

Standards internationaux

Le terminal ghanéen a aussi l’avantage d’être plus en phase avec les standards internationaux. Sur le plan énergétique, par exemple, il est certifié Edge par IFC (filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé), la garantie d’une exploitation économique en énergie. À Abidjan, les efforts sont plus modestes, même si Bolloré a récemment installé des tracteurs électriques en lieu et place de ceux fonctionnant au diesel – les deux ports bénéficiant du nouveau label « Green Terminal », lancé par l’opérateur français.

En Côte d’Ivoire, l’État a conservé la main sur la gestion des douanes avec un guichet unique qui ne fonctionne pas toujours aussi bien que promis

Sur le plan de l’automatisation, Tema a également une longueur d’avance : le port dispose de portiques automatiques, d’un système de contrôle biométrique et d’un service des douanes numérisé. Il a aussi adopté un logiciel de prise de rendez-vous pour faciliter et fluidifier le déchargement des camions. En Côte d’Ivoire, l’État a conservé la main sur la gestion des douanes avec un guichet unique qui ne fonctionne cependant pas toujours aussi bien que promis : « On aimerait parfois que cela aille plus vite », glisse Tahirou Diarrassouba. Abidjan n’a pas non plus de portes automatisées, et son système de rendez-vous, insuffisamment connecté aux acteurs portuaires, peine encore à désengorger le port.

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Vers la complémentarité ?

Il faut dire que les deux infrastructures ne se situent pas dans la même configuration géographique. Le port d’Abidjan, accolé à la capitale économique ivoirienne, bénéficie de la proximité avec les zones de consommation – 23 millions des 25 millions de tonnes gérées en 2020 étaient destinés à la Côte d’Ivoire –, tout en étant freiné physiquement dans son développement par la proximité de la ville.

Pour remédier à ce manque d’espace, il mise sur des réserves foncières situées au nord du canal de Vridi. Tema, installé à 25 km à l’est d’Accra, dispose, lui, du terrain nécessaire pour croître tout en s’appuyant sur une bonne connexion routière vers la capitale ghanéenne, où se trouvent les consommateurs, une ville néanmoins moins puissante qu’Abidjan (moitié moins peuplée notamment).

Concurrents à première vue, les deux ports pourraient en réalité être complémentaires, l’essor de l’un alimentant celui de l’autre et vice versa

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« Les deux ports sont en concurrence sur l’approvisionnement de l’hinterland, principalement le Burkina Faso et le Mali, analyse Lyes Chebrek, consultant en affaires maritimes. Et, comme souvent, le gagnant sera celui qui saura faire la différence sur le temps de transit. » Une course déjà lancée. D’un côté, Abidjan mise sur la liaison ferroviaire avec le Burkina Faso. « Le chemin de fer permet une massification des flux de marchandises, souligne Tahirou Diarrassouba. Pour le Mali, comme il faut une étape supplémentaire, les opérateurs passent plutôt par la route, qui est en bon état. » De l’autre côté, Tema parie, lui, pour l’instant, uniquement sur l’essor des infrastructures routières comme moyen de relier le port à ce même arrière-pays burkinabè, malien ou nigérien.

Concurrents à première vue, les deux ports pourraient en réalité être complémentaires, l’essor de l’un alimentant celui de l’autre et vice versa, dans un contexte de forte activité liée à la reprise de l’économie mondiale. « L’idée de “grands ports” régionaux est révolue, il y a beaucoup de transit et tous les ports sont dotés individuellement d’infrastructures performantes », analyse Lyes Chebrek. Un constat partagé par Mohamed Samara, le patron de MPS : « Le monde offre beaucoup d’exemples de ports proches les uns des autres. La majorité sont florissants et ont des programmes d’extension pour supporter la croissance des volumes. »

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