Ukraine-Russie : le difficile exode des Algériens

Pris dans le piège du conflit russo-ukrainien, une partie des ressortissants algériens ont difficilement fui leur pays de résidence. Beaucoup d’autres, bloqués aux frontières, cherchent encore un moyen de traverser. 

Réfugiés fuyant l’Ukraine pour la Pologne, au poste-frontière de Medyka, le 28 février 2022. © Reuters/Bryan Woolston

Publié le 3 mars 2022 Lecture : 6 minutes.

Installé dans un studio prêté par des bénévoles polonais, Ghiles se remet du périple éprouvant qui l’a conduit, avec son épouse, de nationalité ukrainienne, de Kiev à Cracovie, en Pologne.

Jusqu’au déclenchement de l’invasion russe, ce ressortissant algérien de 27 ans gérait un fast-food en plein cœur de la capitale ukrainienne. Il n’aurait jamais imaginé qu’une guerre le pousserait à fuir, dans la précipitation, le pays où il a élu domicile il y a une dizaine d’années.

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Froid glacial

« On a été réveillé [le 24 février] par le bruit des sirènes. Quand j’ai compris que  Kiev était attaquée, je me suis dit qu’on n’était plus en sécurité et qu’il fallait partir tout de suite. J’ai prévenu mes employés. On a fait notre valise rapidement et on a réussi à trouver un taxi qui nous a emmenés jusqu’à la frontière polonaise. Ça nous a coûté 500 euros, contre moins d’une centaine d’euros en temps normal », raconte l’expatrié.

J’ai vu des représentants des ambassades tunisienne et marocaine. Aucun envoyé algérien

Lorsque le couple parvient au poste-frontière, des dizaines de milliers de personnes s’y massent déjà. Impossible de passer de l’autre côté à pied. Seuls les véhicules y sont autorisés. Ghiles et son épouse se retrouvent coincés. Les conditions sont rudes. « On n’a quasiment rien mangé ni bu. Heureusement, une famille ukrainienne nous a accueillis pour nous éviter de rester toute la nuit dehors dans un froid glacial », résume-t-il.

Après trois jours d’errance, le couple parvient à convaincre un conducteur de les emmener jusqu’en Pologne, moyennant rétribution.

Comme Ghiles, des centaines d’expatriés algériens – pour la plupart étudiants – ont rejoint ce pays par leurs propres moyens. « On est livrés à nous-mêmes. Les autorités algériennes ne font rien pour nous. À la frontière, j’ai vu des représentants des ambassades tunisienne et marocaine, mais aucun envoyé algérien », déplore un étudiant en ingénierie informatique, âgé de 23 ans, qui a voyagé avec deux camarades.

Des policiers ukrainiens ont frappé des réfugiés africains

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Retenus par des embouteillages géants, ils ont passé trois nuits dans une voiture et n’avaient que de maigres provisions. « C’était un cauchemar. J’ai vu des bousculades, des policiers ukrainiens frapper des réfugiés africains », lâche-t-il.

Solidarité maghrébine

Dans un communiqué, diffusé le 26 février, le ministère algérien des Affaires étrangères affirme suivre de près les développements de la situation en Ukraine et « coordonner les efforts pour assurer la sécurité des membres de la communauté nationale établis dans ce pays, par le biais des ambassades d’Algérie à Varsovie et Bucarest ».

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Le ministère, que dirige Ramtane Lamamra, a également confirmé le décès d’un étudiant algérien de 25 ans, qui se trouvait à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, située non-loin de la frontière russe.

Deux numéros verts destinés aux quelques milliers d’Algériens résidant en Ukraine ont été mis en service. Pourtant, plusieurs personnes, contactées par Jeune Afrique et se trouvant sur les routes de l’exode, assurent qu’elles n’ont pu les joindre. Le 2 mars, les autorités ont annoncé qu’un vol spécial d’Air Algérie décollerait de Bucarest, le 3 mars à 17 heures, afin de rapatrier des Algériens venus d’Ukraine et bloqués en Roumanie.

On a prévu des sandwichs et de l’eau. On leur demande où ils veulent aller

Un élan de solidarité spontané voit le jour. Des volontaires maghrébins installés en Pologne s’organisent pour venir en aide aux réfugiés africains laissés pour compte. Réda, un graphiste algérien établi à Cracovie, fait partie de ces bénévoles.

Influenceurs

Posté toute la nuit au point de passage de Medyka, il a accueilli des dizaines de rescapés, exténués et démunis. « On a prévu des sandwichs et de l’eau. On leur demande où ils veulent aller. À ceux qui ont en tête une destination précise on explique comment s’y rendre et on les accompagne jusqu’à la gare la plus proche. On a réussi à loger les autres dans des appartements mis gracieusement à leur disposition », explique Réda, qui héberge lui-même trois étudiants maghrébins. « Tout a commencé sur les réseaux sociaux. On a diffusé nos coordonnées et on a demandé à des influenceurs de relayer nos messages », poursuit-il.

Des familles nous contactent d’Algérie, de Tunisie, d’un peu partout en Europe

Depuis le 28 février, Réda croule sous les appels. « Ça n’arrête pas. Il y a ceux qui veulent traverser et qui me contactent, mais aussi des familles d’Algérie, de Tunisie et d’un peu partout en Europe qui veulent qu’on aide un de leurs membres encore bloqué en Ukraine », précise le jeune homme.

Pour être plus efficaces, lui et ses amis se sont répartis les tâches. « Je suis chargé de la visibilité sur les réseaux sociaux et de l’accueil. Une équipe, dans la ville de Cracovie, trouve des lieux d’hébergement. Une autre est à l’aéroport pour prêter main forte à l’ambassade de Tunisie et aider ceux qui veulent être rapatriés. Deux avions, affrétés par l’armée de l’air tunisienne, sont déjà partis », souligne-t-il.

À l’autre bout de la Pologne, près de la frontière avec l’Allemagne, où il réside depuis quelques mois après avoir vécu plusieurs années en Ukraine, Fahem s’implique, lui aussi. Il a même pris un congé pour se consacrer entièrement à l’aide aux réfugiés. « Mon patron est d’origine ukrainienne. Il s’est montré compréhensif », sourit le fondateur du groupe Facebook « Les Algériens d’Ukraine », qui compte près de 10 000 membres. « Ce dont ces réfugiés ont le plus besoin, c’est d’un point de chute. J’essaie de les orienter et de leur trouver des solutions de logement. »

Discriminations

La situation se complique pour les Africains, qui disent faire l’objet de discriminations raciales. Au poste-frontière de Medyka, Réda en a été le témoin. « Le passage est plus simple et plus rapide pour les Européens. Des navettes, venant de Pologne à intervalle régulier, les récupèrent directement du côté ukrainien. En revanche, rien n’est prévu pour les non-Européens, qui, eux, doivent attendre des heures. Certains m’ont dit avoir été maltraités physiquement par des gardes-frontières ukrainiens. On a demandé à d’autres, qui voulaient aller aux toilettes, de refaire la queue, ce qui représente jusqu’à douze heures d’attente en plus », dénonce le bénévole, qui parle d’une « anarchie totale » : « des personnes ont tout perdu, leur bagage, leur téléphone, leur passeport… »

Contraints à un exil forcé, très peu de réfugiés algériens cherchent à être rapatriés. Beaucoup ont déjà retrouvé leur famille, installée quelque part en Europe, ou sont en route. Faute d’alternative, certains patientent en Pologne. Beaucoup espèrent revenir en Ukraine.

« Je ne voulais même pas partir car je devais passer un examen, explique l’étudiant en informatique. Ce sont mes amis qui m’ont dissuadé de rester. Maintenant, tout ce que je veux, c’est rentrer en Ukraine, reprendre mes études et obtenir mon diplôme. J’ai investi beaucoup d’argent pour payer les frais d’inscription. Je ne veux pas tout perdre. »

Je ne veux aller nulle part ailleurs. Ma vie est en Ukraine

Ghiles ne souhaite pas, lui non plus, que son exil polonais se prolonge. « Je ne veux aller dans aucun autre pays d’Europe, ni retourner en Algérie. Ma vie est en Ukraine, j’ai tout laissé derrière moi. J’attends que la situation se calme pour rentrer », dit-il.

Rayons vides

Alors que l’armée russe poursuit sa progression vers Kiev et que les combats s’intensifient dans l’est du pays, des Algériens ont fait le choix de rester. Du moins pour le moment. « Soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de voyager, soit parce qu’ils ne veulent pas quitter leur famille ukrainienne », explique Fahem, qui est en contact avec plusieurs de ces personnes.

« Les conditions de vie deviennent de plus en plus dures, notamment à Kiev, ajoute-t-il. Un Algérien originaire de Biskra, qui vit près de l’aéroport, m’a raconté qu’il ne trouvait presque plus de quoi se nourrir. Les grandes surfaces sont fermées, ou bien les rayons sont quasiment vides. »

Arrivé en Ukraine en octobre dernier, Youcef Lalout n’envisage pas encore le départ. Évacué de Kiev par son employeur quatre jours avant le début des affrontements, il vit et travaille désormais dans une chambre d’hôtel de la ville de Lviv, encore épargnée par les Russes.

Cet Algérien de 27 ans cite le deuxième round des pourparlers russo-ukrainiens, qui se sont tenus le 2 mars en Biélorussie, et s’accroche à un mince espoir de désescalade. »Ils discutent, il y a une forte résistance ukrainienne, on peut aller vers un cessez-le-feu. Je ne suis pas prêt à partir, à retourner à la case départ. Je suis très bien ici », assure-t-il.

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