Benoît XVI mérite-t-il l’absolution ?

En laissant entendre, le 12 septembre à Ratisbonne, que l’islam est violent par essence, le successeur de Jean-Paul II a provoqué un tollé. Nos lecteurs réagissent.

Publié le 2 octobre 2006 Lecture : 6 minutes.

Savoir raison garder
– Si l’on parle de violence en religion, devons-nous rappeler le rôle de l’Église dans l’éradication des civilisations inca et maya en Amérique latine et le génocide perpétré par les colons espagnols qu’elle a accompagnés ? Si le TPI avait existé, le pape d’alors et le roi d’Espagne en auraient été passibles. Devons-nous rappeler les frasques et la cruauté d’un certain Borgia, pape de son état ? Devons-nous rappeler l’Inquisition et ses bûchers ? Devons-nous rappeler les guerres de religion en Europe et leurs lots d’atrocités ? Devrions-nous rappeler la caution morale apportée et parfois le rôle actif joué par l’Église dans la colonisation des pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, au nom d’une certaine évangélisation, et toutes les abominations qui s’ensuivirent ? Qui est violent, Votre Sainteté ?
Qu’un empereur byzantin médise d’une nouvelle religion et de son prophète n’offusque personne. C’est une réaction fort humaine que de médire de celui que l’on considère comme un ennemi. D’ailleurs, Moïse et Jésus – la paix de Dieu soit sur eux – ont connu, en leur temps, les mêmes déboires. Mais que Votre Sainteté reprenne cette anecdote plus de six siècles plus tard pour faire dire que l’islam est une religion de violence ne relève pas du débat philosophique, mais constitue bel et bien une prise de position et un acte politique délibéré. Car ce faisant vous amenez de l’eau au moulin de Bush et consorts, qui veulent faire accréditer l’idée que les pays musulmans et les populations musulmanes sont des terroristes en puissance, qu’il faut combattre et soumettre.
Votre Sainteté, la manipulation de la religion et son instrumentalisation ne sont pas le seul fait des extrémistes, elle a existé avant nous et existera après nous ; l’essentiel est de savoir raison garder et de ne point glisser vers l’irréparable. Je rappelle à cette occasion aux musulmans l’obligation qui leur est faite par le Coran de respecter les gens du Livre et les exhorte à ne point s’en prendre aux religieux et à leurs lieux de culte. Ce serait commettre là un bien grand péché.
Jamel Eddine Bouachba, Le Kram, Tunisie

Sans double langage
– Je tiens à assurer aux musulmans et aux amis d’autres convictions qui m’ont appris à collaborer avec eux pour la paix, la justice, dans l’amitié et la vérité, avec un souci de compétence, que je continue avec bien d’autres catholiques sur la même voie, sans le double langage embarrassé venant de Rome ou d’ailleurs, si facilement orchestré par les médias de tous horizons.
Pas de véritables échanges avec de doubles ou quadruples langages ; ils tuent (malheureusement, je n’exagère pas !).
Père René Luc Moreau, dominicain, Lyon

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Une simple incartade
– La conférence prononcée par le pape Benoît XVI à Ratisbonne a provoqué un tollé chez les extrémistes, qui n’attendaient qu’une incartade du camp adverse pour se mettre en branle. La mauvaise interprétation de sa pensée se rapportant au passé de l’islam vient alourdir la situation politique mondiale et permet à certains esprits malintentionnés de souffler sur les charbons ardents du choc des civilisations
Les extrémistes musulmans exigent la repentance publique du souverain pontife. Ils oublient que feu Jean-Paul II a tiré sa révérence à cause de l’aggravation de son état de santé due à l’attentat dont il fut victime de la part d’un fanatique turc aux idées vagues, Mehmet Ali Agça, mais les chrétiens n’avaient pas réagi aveuglément en amalgamant ce franc-tireur à ses coreligionnaires.
Cette levée de boucliers fait apparaître l’ambiguïté de certains gouvernements arabes, en rupture avec leurs peuples, qui n’hésitent pas à battre le rappel de leurs diplomates accrédités à la Curie tout en baissant les bras devant l’impérialisme arrogant de Bush. Cette pantalonnade leur permet de redorer leur blason terni et de se mettre théoriquement au diapason de la rue.
Une incartade papale ou une peccadille curiale risquent de remettre en cause le climat d’irénisme régnant entre les diverses religions du Livre saint.
Les croisades n’avaient aucun sens, et il en est de même pour le djihad. Les imprécateurs aux esprits fossilisés savent qu’il est plus facile de manipuler les populaces obscurantistes et la plèbe – de surcroît fragilisée par la misère – que des gens éduqués et éclairés. Le pape Benoît XVI n’a pas vocation à s’exprimer benoîtement ni à pratiquer la politique de l’autruche face aux dangers qui planent sur l’humanité.
Kabamba Kabous, Marseille, France

Vision réductrice de l’islam
– Le pape Benoît XVI ne voulait point « offenser » les musulmans, à en croire ses porte-parole. Mais ni le Saint-Père ni l’ensemble des musulmans de par le monde ne sont aussi naïfs que ça !
En s’adressant à un aréopage d’éminents scientifiques dans son Allemagne natale, il savait parfaitement que ses paroles atteindraient aussitôt les musulmans, et il aurait dû facilement prévoir l’impact très négatif qu’elles auraient sur tout musulman.
Même s’il s’agissait bel et bien d’une citation qui remonte au Moyen-Âge, elle vaut ce qu’elle vaut : présenter le prophète d’Allah comme un guerrier sanguinaire qui a converti à l’islam par l’épée. Donc, vision doctrinalement négative et réductrice de la religion la plus répandue sur notre planète.
Voici une note par trop discordante dans les efforts incessants entrepris depuis Vatican II afin de relancer le dialogue interreligieux et de trouver un terrain d’entente entre chrétiens et musulmans ; les propos du pape Benoît XVI ont amorcé une sorte de méfiance de part et d’autre, alors que l’un des rôles principaux du souverain pontife est de bâtir des ponts solides et durables entre les confessions et ce pour aboutir à l’entente et l’estime mutuelles (c’est le sens premier du mot pontifex).
À l’inverse de son prédécesseur, l’ex-cardinal Ratzinger reste l’intransigeant détenteur de l’Office du dogme et de la doctrine chrétienne. Il ne peut ipso facto qu’être critique à l’égard du prophète Mohammed, car, entendons-nous bien : un pape qui reconnaît ex cathedra la véracité et l’universalité de l’islam et son Messager n’est plus à proprement parler un pape ni catholique.
Ali Smaoui, San Francisco, États-Unis

Paroles déformées
– Permettez-moi d’attirer votre attention sur la réalité des paroles prononcées par le Saint-Père à Ratisbonne. Celles-ci, hélas ! ont été déformées par certains moyens de communication et, en certains lieux, une manipulation d’opinion est apparue avant même que le texte ne soit publié. Sur www.zenit.org sont rassemblées toutes les sources – notamment le texte original du Saint-Père – susceptibles de contribuer à chacun de se faire une opinion juste.
Père Christophe Buirette, Paris, France

Une insulte intentionnelle
– Je voudrais avant toute chose vous féliciter pour la qualité de votre magazine. À propos de l’insulte faite par le pape aux musulmans :?je ne crois pas à la sincérité des excuses de Benoît XVI. La référence qu’il a faite dans son allocution du 12 septembre à Ratisbonne était bel et bien intentionnellement malveillante. Lorsque l’on reprend une citation dans un discours (ce n’était pas un débat), c’est bien pour illustrer le message que ?l’on veut transmettre à ceux qui nous écoutent. Maintenant tous les ingrédients pour la « croisade du XXIe siècle » sont réunis. D’abord, l’idéologue fasciste qui écrit « le choc des civilisations », ensuite le chef de guerre surpuissant, obtus et belliqueux séduit par cette idéologie, et maintenant le chef religieux, adepte de la confrontation dogmatique qui apporte la caution divine Il n’y a plus qu’à fixer la date de cette croisade.
A.D., Douala, Cameroun

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