Un hebdomadaire forgé au feu de…L’Action !

Publié le 2 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Comme ces bébés dont on dit qu’ils sont nés « coiffés », il est des journaux dont le premier numéro sort des presses précisément le jour où l’actualité se déchaîne alentour. Pour avoir été conçus, non dans le silence des bureaux, mais dans les tumultes du monde, ces nouveaux titres doivent grimper quatre à quatre, dès leurs premiers pas, les degrés de l’échelle de Richter des communiqués, forcer la porte des chefs de gouvernement et prendre en marche le train, lancé à toute vitesse, des bouleversements politiques ou des mutations sociales. Comment s’étonner que ceux-là, et les hommes qui les dirigent, s’ils ont eu la force de survivre à une arrivée aussi mouvementée, soient capables d’influer durablement sur les réalités de leur temps ?
Ainsi en est-il de L’Action, hebdomadaire tunisien, qui fit son apparition dans les kiosques le lundi 25 avril 1955. Directeur : Béchir Ben Yahmed, un nom que les lecteurs de Jeune Afrique/l’intelligent ont déjà eu l’occasion de croiser dans ces pages.
En 1955, Ben Yahmed, qui a accompagné Habib Bourguiba durant toutes les négociations menées, en France, par la délégation tunisienne pour faire aboutir les promesses d’indépendance faites, l’année précédente, par le Premier ministre Pierre Mendès France, décide de « se lancer ». Avec son ami Mohamed Ben Smaïl, il fonde un journal qui apportera à leur nation enfin reconnue la voix dont celle-ci aura désormais besoin pour se faire entendre.
Ben Yahmed, flanqué de Ben Smaïl, entame alors une tournée des « grands confrères » français, moins parce qu’il en attend une aide quelconque que parce qu’il a choisi de s’exprimer dans leur langue et, peut-être, pour se rassurer de sa propre inexpérience : Beuve-Méry, alors directeur du Monde, Jean-Jacques Servan-Schreiber, de L’Express, et Claude Bourdet, de France Observateur, accordent spontanément leur soutien moral au projet de ces jeunes exaltés. Pour ce qui est de lui procurer des moyens plus concrets, une société est créée, dont Ben Yahmed exige que chacun de ses membres détienne le même nombre de parts. Indépendance, déjà, indépendance, toujours…
Jean Daniel, de passage à Tunis, prolonge son séjour pour donner un coup de main à la petite équipe de ses confrères. Avec une rédaction squelettique, dépourvue de correcteur et même de maquettiste, on aurait bien tort de ne pas y accueillir le futur directeur du Nouvel Obs ! Bourguiba, lui, achète des actions… de L’Action. Cela l’autorise à dire « Nous voulons… » quand il évoque, dans une « Lettre » publiée en page intérieure, les objectifs qu’il fixe à « son » journal – « … forcer l’estime des honnêtes gens en menant une action intelligente de défrichement, d’éducation et de prospection… » – mais certes pas à en dicter le contenu à son rédacteur en chef, comme il l’apprendra quelques années plus tard…
Tout est donc « calé » pour le premier numéro, le 25-4-1955, avec, en « cover », la Conférence des pays du Tiers Monde qui s’ouvre à Bandoung ce même jour (voir J.A.I. n° 2311). Mais voilà qu’à la surprise générale, alors que tout est prêt, Edgar Faure, qui a succédé à Mendès, signe à Paris avec Bourguiba l’accord d’autonomie interne de la Tunisie ! En catastrophe, Ben Yahmed remplace sur la une le portrait de Nehru par la photo de son nouvel actionnaire, le futur président de la Tunisie indépendante. À toute vitesse, on bouscule le « chemin de fer », on mobilise des collaborateurs extérieurs qui permettent de diversifier les « angles » des articles sur la Tunisie, on ajoute des pages pour ne pas sacrifier l’excellent reportage de l’envoyé spécial en Indonésie à la « Conférence des exclus », bref, on apprend le métier, non pas en marchant, mais en courant. La légende dit encore que Ben Yahmed, avant de prendre un repos mérité, a dû porter lui-même les premiers exemplaires dans les kiosques de la capitale tunisienne !
Un demi-siècle plus tard, le titre de L’Action a changé, comme les hommes qui la font et, surtout, le monde dont elle rend compte. Mais Béchir Ben Yahmed est toujours là. Et sa « passion » – un mot qu’il n’aurait jamais employé lui-même – d’informer, intacte.

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