Au Cameroun, le calvaire carcéral des anciens proches du pouvoir

Ministres, conseillers ou hauts fonctionnaires déchus : de nombreux ex-caciques du pouvoir croupissent, parfois depuis des années, à la prison de Kondengui. De quoi conforter ceux qui évoquent une justice aux ordres.

Amadou Vamoulké, l’ancien directeur de la radio-télévision publique, avec ses avocats. © DR

Franck Foute © Franck Foute
  • Franck Foute

    Journaliste à « Jeune Afrique », spécialiste du Cameroun.

Publié le 31 mars 2022 Lecture : 6 minutes.

Dans les étroites cellules des quartiers VIP de la prison centrale de Kondengui, où, depuis des années, sont détenues nombre de victimes de l’opération Épervier, tout est bon pour passer le temps. Ici, on feuillette un livre qui a survécu à l’incendie de la bibliothèque, survenu en juillet 2019. Là, on regarde une émission sur une petite télévision, posée sur une table de fortune. Plus loin, on examine minutieusement des piles de documents avant la tenue imminente d’une audience.

Parmi ces prisonniers, Amadou Vamoulké. L’ancien directeur de la radio-télévision publique camerounaise a déjà passé six années en détention provisoire et, en cette mi-mars, il prépare sa 108e comparution devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Il n’a subi aucune condamnation, l’audience étant systématiquement reportée. Une procédure d’une incroyable lenteur, qui fait aujourd’hui de ce septuagénaire, malade, le symbole du calvaire judiciaire que vivent les anciens dignitaires du régime tombés entre les griffes d’Épervier.

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Infamie

Au fil du temps, dans le Cameroun de Paul Biya, cette opération d’assainissement de la gouvernance, avec son cortège de gardes à vue prolongées, de procédures qui s’éternisent et d’affaires qui surgissent au moment précis où d’autres se referment, semble frapper d’infamie tous les déchus du système.

Dans les salons feutrés de Yaoundé, le flamboyant mode de vie du gotha politique alimente les conversations

Les résultats mitigés qu’ont donné ces arrestations parfois spectaculaires viennent conforter ce sentiment. Le président Biya a beau répéter – comme ce fut encore le cas dans son discours de la fin de 2021 – que « tous ceux qui se rendent coupable de malversations financières en assumeront les conséquences devant les juridictions », l’élite politico-administrative peine à dissimuler des richesses à l’origine souvent douteuse.

Dans les salons feutrés de Yaoundé, le flamboyant mode de vie du gotha politique alimente les conversations. Un ministre qui a achevé la construction d’une luxueuse villa, un haut responsable du Parlement à qui l’on a dérobé 250 millions de francs CFA en liquide dans sa résidence secondaire… Rien n’échappe aux habitués des cercles mondains.

Chasse aux sorcières ?

« Les salaires des agents de l’État sont connus, et on peut difficilement jurer de la probité de certains en matière de gestion des derniers publics, quand on voit leur train de vie », résume un journaliste qui suit régulièrement les procédures diligentées devant le TCS. À Kondengui, pourtant, des dizaines d’anciens hauts responsables de l’administration accusés de malversations sont convaincus de faire l’objet d’une chasse aux sorcières.

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Ancien secrétaire général à la présidence de la République, Titus Edzoa fut l’un des premiers proches de Biya  à être inculpé dans une affaire de détournement de derniers publics. D’abord en 1997, dans une affaire portant sur la soustraction de près de 350 millions de francs CFA (533 000 euros) à l’Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB). Puis en 2009, dans une affaire portant sur le détournement de 61 milliards de francs CFA, qui avaient été alloués au financement du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers (Copisur) et à l’organisation d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

Lors de sa première comparution, en 1997, Titus Edzoa, privé d’avocat, avait refuser de s’exprimer à la barre. À l’issue d’un procès vite expédié, il avait été nuitamment condamné à quinze années de prison. Mais, en 2012, alors que sa peine arrivait à son terme, il a été étrangement condamné, une nouvelle fois, à vingt ans de prison avant d’être gracié en 2014. Aujourd’hui encore, Edzoa, qui avait été interpellé quelques heures après s’être officiellement posé en rival de Paul Biya à la présidentielle de 1997, maintient avoir été la victime d’un « folklore judiciaire » et, surtout, de ses ambitions. Pouvait-il se douter que, pendant une décennie, autant de têtes allaient tomber, et à un rythme aussi soutenu ?

L’opération Épervier est désormais perçue comme une manœuvre visant à neutraliser les ambitieux

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Tout a commencé en 2006. Sous la pression des bailleurs de fonds, Paul Biya lance alors l’opération Épervier. Un à un, ministres et dirigeants d’entreprises publiques sont embastillés. À l’époque salué par une partie de la population, ce coup de balai est rapidement perçu comme une manœuvre visant à neutraliser les ambitieux à l’approche de l’élection de 2011.

Détenu depuis 2008, puis condamné à 25 ans de prison, l’ancien secrétaire général de la présidence, Jean-Marie Atangana Mebara, attribue pour sa part ses malheurs à un « bulletin des renseignements transmis au président de la République ». Selon cette note, Atangana Mebara aurait, en février 2008, présidé une réunion dans une église adventiste, à laquelle auraient participé les anciens ministres Abah Abah Polycarpe et Urbain Olanguena Awono [eux aussi condamnés pour corruption]. Quelques jours plus tard éclataient des émeutes de la faim, qu’on les soupçonne d’avoir suscitées dans l’optique de renverser le régime.

À deux doigts de recouvrer la liberté

Afin de donner du crédit à l’opération Épervier, Paul Biya décide d’adapter la justice en conséquence. Il crée donc, en 2011, une cour spécialisée dans les cas de détournements de fonds : le Tribunal criminel spécial. On annonce que les informations judiciaires ne pourront durer plus de 180 jours, que les magistrats seront spécialisés. Mais, dans les faits, rien ne paraît changer.

En 2021, Basile Atangana Kouna est lui aussi à deux doigts de recouvrer la liberté lorsqu’il voit son destin basculer à nouveau. Arrêté en mars 2018 alors qu’il était en cavale au Nigeria, inculpé dans une affaire de « détournement de derniers publics en coaction », il s’est cru tiré d’affaire en décembre 2020, après que Paul Biya a signé une note réclamant un arrêt des poursuites engagées contre lui.

Pour l’ancien ministre de l’Eau et de l’Énergie, les espoirs se sont depuis longtemps envolés. Le 22 septembre 2021, six mois après qu’il a purgé une peine d’un an de prison pour « immigration illégale », il a été condamné à trois ans de détention pour « délit d’intérêt dans un acte ». Le président serait-il revenu sur sa décision ? Les charges retenues contre son co-accusé, le Belge Jacques Viviane Massart, ont, elles, été abandonnées, soulignent les proches d’Atangana Kouna.

Quelle que soit la faiblesse des preuves, les condamnations sont inéluctables », estime l’avocat Claude Assira

De ses ambitions, Edgar Alain Mebe Ngo’o n’avait rien dévoilé. L’arrestation, en mars 2019, de l’ancien patron de la police et ex-ministre de la Défense a pourtant eu un écho particulier : ce pilier du régime a été interpellé au même moment que son épouse, Bernadette, que son meilleur ami, Victor Menye, et que ses anciens collaborateurs, Ghislain Mboutou et Maxime Mbangue, tous cités dans la même affaire de détournement de fonds.

« Bourreaux »

Comme Titus Edzoa, qui affirmait en 1997 que le pouvoir était terrifié « de ce [qu’il] pourrait révéler », Mebe Ngo’o voit dans la procédure judiciaire ouverte contre lui la main de supposés « bourreaux », qui chercheraient à « l’éliminer à travers l’instrumentalisation du ministère public ».

Pour l’avocat Claude Assira, qui s’est spécialisé dans les procédures pendantes devant le TCS, nombre d’affaires qui atterrissent devant cette juridiction sont « essentiellement politiques ». « Aucune procédure n’est diligentée devant le TCS sans l’aval du ministère de la Justice, lequel est lui-même “stimulé” par la présidence de la République, affirme-t-il. Comment ne pas y voir la main du [pouvoir] politique ? Soupçonnés pour les mêmes faits, certains sont poursuivis, d’autres pas. Sur quelle base les poursuites sont-elles engagées ? En outre, quelle que soit la faiblesse des preuves ou la force de votre argumentation, les condamnations sont inéluctables. »

Désormais, au Cameroun, il est de notoriété publique qu’avoir été aux affaires peut lancer une carrière autant que briser un destin. Alors que l’imminence d’une nouvelle vague d’arrestations plane sur Yaoundé, la justice doit donner des gages de son exemplarité en bâtissant une accusation suffisamment solide pour dissiper tout soupçon de politisation. Il en va de la crédibilité des procédures ouvertes contre les anciens piliers du régime.

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