Réfugiés syriens : quand le Maghreb devient « syrophobe »

Accueillis dans un premier temps à bras ouverts, les réfugiés fuyant la guerre civile en Syrie ne sont plus en odeur de sainteté au Maghreb. Au point que leur flux s’est tari sous la pression des autorités de certains pays.

Une Syrienne montrant son passeport à la sortie d’une mosquée, le 23 octobre 2013, à Tanger. © Fadel Senna/AFP

Une Syrienne montrant son passeport à la sortie d’une mosquée, le 23 octobre 2013, à Tanger. © Fadel Senna/AFP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 30 avril 2014 Lecture : 8 minutes.

La scène se passe dans une mosquée de Rabat. À peine l’imam a-t-il prononcé l’amine final de la prière que des voix s’élèvent parmi la foule pour l’autre appel du jour, celui de l’aumône au profit des frères syriens. Aussitôt, la cotisation s’organise ; les fidèles tâtent leurs poches à la recherche de pièces ou de billets à remettre à ces "hôtes de la maison d’Allah". À la sortie de la mosquée, un mendiant marocain, visiblement excédé par "la concurrence étrangère", s’emporte : "Celui qui donne d’habitude 5 dirhams [0,40 euro]à un Marocain en donnera 50 à un Syrien."

C’est que, dans le royaume chérifien, certains commencent à déplorer, mezza voce, ce qu’ils assimilent à "un racket" quotidien. Les résidents syriens, tout aussi indignés, redoutent l’amalgame. "Ce sont des "gens du voyage" qui abusent de la générosité marocaine", assène Ghassan Abou Saleh, secrétaire général d’une association d’aide aux Syriens. Exilé au Maroc depuis plusieurs dizaines d’années, cet opposant au régime d’Assad pointe du doigt une minorité de ses compatriotes qui vivent des dons récoltés dans les mosquées – lesquels peuvent atteindre 3 000 dirhams par jour.

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Abou Saleh a pourtant constaté que ces réfugiés qui dérangent sont désormais plus discrets. Non loin du petit lycée qu’il dirige à Bab El Had, dans la vieille médina de Rabat, l’hôtel Afriquia, d’ordinaire entièrement occupé par des familles syriennes, est aujourd’hui déserté. Le ministère marocain des Affaires islamiques a d’ailleurs émis, en mars, une circulaire invitant toutes les mosquées du royaume à refuser l’entrée aux ressortissants syriens qui perturberaient les fidèles. Émoi au sein des réfugiés du Levant, qui s’inquiètent de la rigueur des autorités, y compris avec les familles les plus intégrées dont on se presse de marier les plus belles filles à des Marocains par crainte d’une expulsion.

>> Lire aussi : Syrie : le grand malaise maghrébin

Les Syriens réfugiés au Maroc seraient entre 3 000 et 5 000

C’est que, depuis le début de 2014, le Maroc et l’Algérie ont tour à tour refoulé l’un vers l’autre plusieurs familles syriennes, s’accusant mutuellement de conspiration. Les réfugiés transitant par l’Afrique du Nord pour rejoindre l’Europe se sont ainsi retrouvés ballottés entre les deux pays. Exaspéré, Rabat a décidé de sévir. En mars, 21 immigrés clandestins syriens étaient arrêtés à Saïdia, à la frontière avec l’Algérie ; 15 d’entre eux ont été expulsés vers la Turquie, les 6 autres, dont une femme enceinte et des enfants, sont toujours en attente d’expulsion à l’aéroport international Mohammed-V, à Casablanca.

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Arrivés par vagues successives, les Syriens réfugiés au Maroc seraient aujourd’hui entre 3 000 et 5 000. Ils ont pour la plupart transité par l’Algérie. Certains ont poursuivi leur route vers l’Europe, mais beaucoup sont restés au Maroc, décidés à y refaire leur vie avec le soutien de quelques proches. Agriculteurs, dentistes, instituteurs, ils se reconstruisent principalement dans les grandes villes du Nord – ils seraient un millier à Nador, selon une association -, mais aussi dans les campagnes, à Béni Mellal et à Marrakech.

Si la presse nationale a relayé les décisions successives des autorités, elle s’est bien gardée, à quelques rares exceptions près, de s’avancer sur les causes d’une telle sévérité. Le journal arabophone Assabah évoque ainsi la présence chiite et des pratiques troublant l’unité doctrinale de l’islam marocain. Pourtant, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), 98 % des demandeurs d’asile syriens sont sunnites. La menace du prosélytisme chiite étant peu plausible, cette fermeté est plutôt liée à l’irritation grandissante de la population face à certains comportements insistants, mais aussi à l’éventuelle présence de réseaux jihadistes syriens cherchant à recruter des Marocains pour aller combattre le régime de Bachar al-Assad. "Dès 2012, nous ­n’avions plus le droit d’enregistrer les demandes d’asile politique. En 2013, le gouvernement nous a interdit de fournir une aide alimentaire", explique Marc Fawe, chargé des relations extérieures au HCR, à Rabat. L’organisation onusienne rappelle que le Maroc s’était pourtant engagé à ne pas expulser de Syriens. La proposition des associations de créer un campement pour les réfugiés est également en suspens, tout comme la promesse de mettre en place un système spécifique pour leur venir en aide.

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Liens historiques entre l’Algérie et la Syrie

En Algérie, c’est dans un dépôt de Netcom, une entreprise publique spécialisée dans la collecte et l’enlèvement de déchets domestiques, que le gouvernement a décidé de reloger les Syriens. Nous sommes à Sidi Fredj, station balnéaire du littoral ouest d’Alger. Le gardien chargé de la sécurité des lieux nous refuse l’accès, exigeant une autorisation du Croissant-Rouge algérien (CRA) et du ministère de la Communication. À l’intérieur du campement, on aperçoit une dizaine de cabines sahariennes où s’entassent plusieurs familles. Les conditions de vie y sont précaires. "Il n’y a que des femmes et des enfants ici, lâche le vigile. Les hommes vivent dans un autre camp installé à Ain Taya [à 22 km à l’est de la capitale]. C’est pour éviter la promiscuité et d’éventuelles tensions." Les femmes ne se hasardent à quitter les lieux que pour faire des courses dans les petites échoppes du coin.

Femmes, enfants ou personnes âgées, ils sont officiellement 12 000 Syriens – les médias avaient évoqué le chiffre de 25 000 à 30 000 – à s’être rendus en Algérie peu de temps après le début de la guerre civile. L’absence d’un visa de circulation entre les deux pays, la fréquence des liaisons aériennes assurées par la compagnie Air Algérie, le soutien apporté par le gouvernement du président Bouteflika au régime de Bachar al-Assad avaient largement facilité cet exode massif. En mai 2013, le président syrien avait même envoyé un message d’amitié à son homologue algérien, hospitalisé au Val-de-Grâce parisien pour un accident vasculaire cérébral. Les liens historiques entre l’Algérie et la Syrie ont également joué. C’est à Damas que l’émir Abdelkader, premier résistant à l’invasion française de 1830, sa suite ainsi que 12 000 Algériens avaient trouvé refuge à partir de 1855.

Regroupement dans des centres d’accueil

Dès leur arrivée en Algérie, les Syriens ont suscité un élan de solidarité de la part de la population locale, qui s’est mobilisée pour leur apporter aide matérielle et réconfort moral. Mais au fil des mois, le spectacle de ces familles campant dans les jardins du square Port-Saïd, au coeur de la capitale, et les scènes de mendicité dans les rues d’Alger ont fini par irriter et indisposer les pouvoirs publics. Décision a donc été prise de les regrouper dans ces centres d’accueil de Netcom dont la gestion est confiée au CRA. Les réfugiés sont désormais répartis dans plusieurs villes du pays. Selon Saïda Benhabyles, élue en mars 2014 à la tête du CRA, "ils bénéficient d’une assistance médicale, de nourriture, de vêtements. Les enfants et les jeunes sont scolarisés gratuitement. Ils sont libres de leurs mouvements, ne sont pas astreints à des obligations administratives ou à un quelconque contrôle de la force publique. Notre priorité reste le respect de la dignité humaine. Nous avons d’ailleurs accueilli récemment à Tlemcen [extrême ouest de l’Algérie] une cinquantaine de familles qui avaient été refoulées du Maroc".

Deux ans après ses débuts, le flux migratoire s’est substantiellement tari. "Aujourd’hui, il y a moins d’affolement et d’emballement sur la question des réfugiés syriens, souligne la présidente du CRA. Certains ont décidé de quitter notre pays pour se rendre en Égypte ou dans des pays du Golfe." Signe patent de cet assèchement, la rupture des liaisons aériennes entre Alger et Damas. Alors qu’Air Algérie assurait avant la guerre trois vols hebdomadaires, le trafic a été ramené à une seule desserte en juin 2013, avant que la liaison ne soit purement supprimée. Sur Al-Moutanabbi Street, dans le quartier Ferdaws, à Damas, c’est Kinda Airlines, compagnie privée syrienne, qui a pris désormais ses quartiers dans les locaux qu’occupait Air Algérie.

"Ils restent tolérés par les autorités"

Combien sont-ils en Tunisie ? Ni les intéressés ni les autorités ne le savent précisément. "Seuls 164 réfugiés syriens se sont identifiés comme tels. Leur nombre oscillerait entre 2 500 et 3 000, mais ils évitent de se faire recenser par crainte de représailles à leur retour au pays, d’autant que le droit d’asile n’est pas prévu par la loi tunisienne", explique un responsable du service des étrangers. Si le chef de l’État, Moncef Marzouki, s’était proposé, en février 2012, d’accueillir Bachar al-Assad pour mettre un terme à la guerre civile, il n’a pas élargi la proposition aux victimes de la guerre. Pis, après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Damas, la Tunisie a donné comme instruction à ses chancelleries de ne plus délivrer de visas aux ressortissants syriens. "Où qu’on aille, on suscite la suspicion ; personne n’ose nous demander si nous fuyons la répression du régime ou si nous sommes pro-Bachar, mais la question est toujours en filigrane. En fait, nous ne sommes plus que des fuyards aspirant juste à une vie décente après avoir tout perdu", résume Mustapha, ancien commerçant, qui a quitté Qammari, près d’Alep, avec sa femme, ses quatre enfants et ses beaux-parents. Après un passage au Liban, ils ont séjourné en Jordanie, puis en Égypte, où la chute des Frères musulmans a eu pour conséquence un durcissement à l’égard des réfugiés syriens. Moyennant 300 euros par personne, ils ont franchi clandestinement, à Feriana, la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, où la vie leur semblait moins chère. Après une brève étape à Kasserine ou au Kef, la plupart se sont repliés sur Tunis. Isolés et sans subsides, ils ont fini par se regrouper selon leur région d’origine et leurs liens familiaux.

Les originaires d’Alep se sont installés à la Cité Ettahrir, tandis que ceux de Homs ont choisi Ettadhamen. Très conservateurs, âgés en moyenne de 40 ans, ils supportent mal la précarité. Beaucoup sont contraints, pour un loyer de 140 euros, de s’entasser dans des garages insalubres des quartiers les plus déshérités de Tunis où seuls le parti Ettahrir et des associations humanitaires leur viennent en aide. "La plupart vivent de mendicité, de vente de petits objets aux abords des mosquées ou d’obole de particuliers", explique Adel Besrour, un enseignant universitaire qui alerte, depuis 2012, via les réseaux sociaux, sur l’extrême précarité de ces migrants sans statut. "Rien n’est prévu par le gouvernement, et la société civile ne peut résoudre des problèmes comme les avortements clandestins ou la non-scolarisation des enfants", ajoute celui qui a fait intervenir le cabinet du ministère de la Santé pour une urgence cardiaque. "Sans être régularisés, ils restent tolérés par les autorités", rassure Dalia Alashi, du HCR, mais tous rêvent d’en finir avec l’errance. "On nous a assuré qu’à partir de Ceuta il serait possible d’obtenir le statut de réfugié et d’entrer en Europe", confie Zineb, l’épouse de Mustapha. Encore faut-il réussir à rallier Ceuta…

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