Télévision : « Claudy Show » ou le Siar system

Chantre de la musique afro-antillaise, animateur star de « Couleurs tropicales » un temps débauché par Nicolas Sarkozy pour promouvoir la diversité, Claudy Siar fait son show à la télévision.

Le présentateur vedette Claudy Siar sur son plateau avec Amiral T (à dr.). © Nathalie Guyon pour J.A.

Le présentateur vedette Claudy Siar sur son plateau avec Amiral T (à dr.). © Nathalie Guyon pour J.A.

Clarisse

Publié le 15 mars 2014 Lecture : 5 minutes.

Les fenêtres du faux décor donnent sur une mer d’un bleu impeccable : clin d’oeil aux îles, sans cocotiers histoire d’éviter la caricature. Nous sommes sur le plateau du Claudy Show, le rendez-vous afro-caribéen de la télévision publique française depuis un trimestre. Cinquante-trois minutes de sketches, de billets d’humeur et de musique, dans la tradition des late shows à l’américaine.

Le maître de cérémonie est une vieille connaissance : Claudy Siar, animateur-­producteur de l’émission Couleurs tropicales sur RFI, que son ami et chauffeur de salle Mickaël Quiroga considère comme "le plus africain des Caribéens". Enregistrée en public à l’Alhambra de Paris et diffusée sur France Ô, TV5 Monde et Slate Afrique – ce qui permet à France Ô d’évaluer à "plusieurs millions" le nombre de téléspectateurs -, l’émission est jugée indispensable par Claudy Siar, qui veut être perçu comme "un homme engagé pour les identités ultramarines et africaines de France". Ce quadra a fait le pari de mettre en avant "les laissés-pour-compte des médias". Tel Admiral T, qui remplit le Zénith mais n’est jamais invité sur les grandes chaînes de télévision.

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À l’aise en homme de spectacle maîtrisant parfaitement les codes de la séduction, Siar crée la connivence avec le public. À en croire Gilles Camouilly, directeur de l’antenne et des programmes de France Ô, "nul autre n’aurait pu tenir ce rôle".

On se croirait revenu quatre ans en arrière. Quand cet Afro-Caribéen de la Guadeloupe né à Paris, élevé en haute Provence et dans la banlieue parisienne, avait tout bon. À son actif, alors, la visibilité apportée au milieu des années 1980 à la musique afro-antillaise, grâce à ses interviews dans l’émission Pollen, sur France Inter, à ses chroniques à la télévision, mais surtout à la station de radio Tropiques FM, dont il est directeur et copropriétaire. Attiré aussi bien par la Callas que par Farid El Atrache – le plus grand musicien au monde, selon lui -, cet amoureux d’Oum Kalsoum et des premiers chanteurs de raï mouillait la chemise pour les artistes du continent.

Popularité

Mais Claudy Siar était et reste Couleurs tropicales. L’aventure commence en 1995, à la mort de Gilles Obringer, créateur de Canal tropical, sur RFI. Siar, qui rêve de "parler à l’Afrique", est invité à en prendre les rênes. Il rebaptise l’émission, assumant l’héritage tout en s’en démarquant : "Mon propos se voulait très militant." Peu à peu, le chantre de la musique antillaise se fait accepter du public africain. Une popularité décuplée par ses séjours dans les capitales. Mégastar, il déplace alors les foules…

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La vie de Claudy Siar s’apparentait à un long fleuve tranquille jusqu’à cet intermède à la tête de la Délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, en 2011, à la demande de Nicolas Sarkozy. "Il fallait prendre la citadelle de l’intérieur pour changer les choses, soutient celui qui affirme multiplier les expériences avec pour seule ligne directrice l’égalité Blancs-Noirs et la promotion de la diversité. La musique et la radio n’y suffisaient plus." "Simple opportunisme", rétorquent ses détracteurs et quelques proches. Aux plus virulents, il rappelle, lui l’apolitique hostile au discours de Dakar, que le statut de l’outre-mer, Césaire au Panthéon, le discours d’apaisement du 10 mai sur la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, c’est sous Sarkozy. Et Siar de revendiquer des succès à ce poste : les bulletins de météo consacrés à l’outre-mer sur des chaînes nationales ; un rapport accusant la France de traiter l’outre-mer comme les confettis de son empire colonial ; des forums pour l’emploi…

Il aurait voulu "poser des actes forts", comme un voyage sur les lieux caribéens de l’esclavage en compagnie du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui aurait contribué à décloisonner la société française en proie à de fortes crispations identitaires. Il avait aussi rêvé d’un voyage dans le golfe de Guinée, d’où sont partis les esclaves, en compagnie de personnalités africaines. Lui qui refuse l’étiquette d’ami de présidents africains avoue des entretiens réguliers avec quelques-uns, dont Ali Bongo Ondimba, Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso, afin de les sensibiliser au devoir de mémoire lié à l’esclavage. "Comment expliquer qu’un continent qui pratique le culte des ancêtres n’honore pas la mémoire de ses déportés ?"

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Claudy Siar estime s’être mis en danger avec cette expérience. Et évoque les "casseroles" que certains médias ont tenté de lui coller, comme ses liens avec l’humoriste controversé Dieudonné. S’il a dans un premier temps défendu celui qui reste à ses yeux l’un des comiques les plus doués de sa génération, il l’a aussi invité à abandonner son "combat d’arrière-garde". "En France, on ne pardonne rien aux Noirs : on n’a pas reproché à d’autres cette amitié." Le pire, selon lui ? Que des membres de la communauté se soient laissé entraîner dans cette campagne de déstabilisation. "On s’appelle souvent "frères", "soeurs" : ce sont des mots. Quand l’un des nôtres est sur le devant de la scène, plutôt que de l’aider parce que son combat profite à tous, on le saborde."

Matraquage

On l’a aussi soupçonné de n’inviter que les artistes qu’il produisait… alors qu’il n’a jamais produit d’artistes. Même s’il a joué un rôle de promoteur pour Magic System. En 1999, ils viennent de sortir Premier Gaou et l’animateur les impose sur les ondes françaises grâce à un matraquage permanent. Les protagonistes évoquent un échange de bons procédés : s’il a besoin d’eux, ils répondent à son appel et vice versa. "Il n’y a jamais eu d’histoire d’argent entre nous", jurent-ils.

D’ailleurs, l’argent serait loin des préoccupations du militant qu’il est devenu, même s’il refuse d’évoquer son salaire, avoue posséder une dizaine de voitures de collection et vit dans les beaux quartiers parisiens. En Afrique, il essaie de persuader ses collègues, stars désargentées pour la plupart, de ne pas se laisser tenter par les petites enveloppes. "Franchir le pas, c’est perdre sa liberté", clame celui qui jure ne se livrer à aucun business sur le continent.

Les affaires occuperont pourtant une place majeure dans sa vie lorsqu’il aura quitté l’antenne. Un temps interrompu, son projet de fondation (Génération consciente, du nom de l’association à l’origine de la Marche des libertés, en mai 2008, pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage) est remis à l’ordre du jour. Financé grâce "à [s]es amis les plus riches", par des levées de fonds, la vente de disques et des subventions, ce projet déclinera un programme nommé "Ambition" et destiné aux jeunes Africains. "On se heurte à la frilosité de personnes qui ont peur que vous leur fassiez de l’ombre alors même que vous n’êtes pas natif du pays", regrette, énigmatique, cet autodidacte qui dit n’avoir pas fait de brillantes études mais a lu Beckett et Césaire.

"J’ai fait un drôle de choix, poursuit ce père de deux filles de 20 et 16 ans qui vivent avec leur mère : mon passage sur terre doit servir au plus grand nombre." Septième enfant d’une fratrie de huit, il dit que sa mère, "une femme extraordinaire", comprendrait, elle l’infirmière qui s’est tuée à la tâche pour leur offrir une maison. Rester en retrait serait peut-être bénéfique à sa carrière, mais il sait d’où il vient. Rien ne l’empêchera de mener ses combats.

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Par Clarisse Juompan-Yakam

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