Afrique centrale : la Cemac malade de la Centrafrique

Alors qu’elle fête son vingtième anniversaire, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), relocalisée de Bangui à Libreville, au Gabon, subit de plein fouet la crise centrafricaine. Son avenir semble plus que jamais incertain…

Le siège de la Cemac, à Bangui. © Vincent Fournier pour J.A.

Le siège de la Cemac, à Bangui. © Vincent Fournier pour J.A.

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 17 mars 2014 Lecture : 7 minutes.

Vingt ans après sa création, la zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) n’en finit plus de stationner sur la piste de décollage. C’est à N’Djamena, le 16 mars 1998, que ce projet d’intégration de six pays ayant en commun le franc CFA et un espace géopolitique artificiel hérité de la colonisation, a vu le jour. Dans la ville même où, le 10 janvier 2014, a été décidé ce qu’il faut bien appeler son placement en coma artificiel. Ce jour-là, face à l’extrême urgence de la crise centrafricaine, mais en toute désinvolture juridique puisque avait lieu dans la capitale tchadienne un sommet d’une autre organisation non habilitée à prendre ce type de résolution (la Ceeac, Communauté économique des États de l’Afrique centrale, regroupant dix pays, dont ceux de la Cemac), trois chefs d’État sur six, Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso et Ali Bongo Ondimba, ont improvisé la délocalisation du siège de la Communauté de Bangui à Libreville.

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Régularisé quelques jours plus tard par un acte additionnel, ce transfèrement présenté comme provisoire et qui rappelle celui de la Banque africaine de développement (BAD) d’Abidjan à Tunis pour cause d’insécurité, il y a onze ans, a dilué un processus décisionnel déjà atone. Et ce, malgré les efforts du président de la commission, le Congolais Pierre Moussa, pour en rationaliser le fonctionnement. Éparpillés entre Libreville, Douala et Bangui, les cadres de la Cemac sont désormais préoccupés par leurs propres soucis domestiques. À la traîne de tous les autres regroupements de ce type sur le continent, l’intégration régionale en Afrique centrale attend, elle, le coup de baguette magique qui la délivrera de son profond sommeil.

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Épuration religieuse et ethnique

La Cemac, il est vrai, n’a guère été servie, ni par les événements ni par la gouvernance de ses institutions. Guerre civile à Brazzaville, prurits xénophobes à Malabo et à Libreville sur fond d’extrême inégalité dans la répartition des richesses (le PIB par tête va de 439 dollars en Centrafrique à 32 500 dollars en Guinée équatoriale !), scandale à la Banque des États de l’Afrique centrale, gabegie à la présidence de la commission : ces deux décennies n’auront pas été un long fleuve tranquille. Mais rien n’aura été plus déstabilisateur pour l’esprit communautaire que la crise centrafricaine et son cortège d’épuration religieuse mais aussi, quoi qu’on en dise, ethnique, puisque l’une et l’autre de ces deux caractéristiques se recoupent presque exactement.

Alors même que l’on n’ignorait rien des exactions des rebelles, leur chef, Michel Djotodia, a pu s’installer au pouvoir, y être adoubé par ses "pairs" et régner pendant plus de neuf mois.

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Comment les chefs d’État de la Cemac ont-ils réagi face à cette crise majeure ? Quel bilan peut-on tirer de leur action ? A priori, le constat n’est guère positif. Si leur rôle était de défendre l’un des leurs – en l’occurrence François Bozizé – face à une rébellion, c’est un échec, puisque les contingents de la Fomac (Force multinationale de l’Afrique centrale) présents en Centrafrique au début de l’année 2013 ont laissé entrer la Séléka dans Bangui sans s’y opposer. S’il s’agissait d’imposer une solution politique de remplacement, ce n’est également pas une réussite : alors même que l’on n’ignorait rien des exactions commises par les rebelles au fur et à mesure de leur avancée, leur chef, Michel Djotodia, a pu s’installer au pouvoir, y être adoubé par ses "pairs" et régner de façon totalement erratique pendant plus de neuf mois.

Lorsqu’à N’Djamena il y a deux mois, lors du même sommet qui a vu la délocalisation du siège de la Cemac, et sur forte incitation française, les chefs d’État décident d’éloigner Djotodia au Bénin, c’est le président congolais, Denis Sassou Nguesso, qui apparaît comme le principal maître du jeu. Non seulement il a assuré seul la paie des fonctionnaires centrafricains jusqu’en octobre 2013 et maintient un contingent sur place ainsi qu’un représentant spécial, mais c’est l’un de ses généraux, Jean-Marie Michel Mokoko, qui, depuis la fin de l’année 2013, dirige la Misca, successeur en version Union africaine de la Fomac.

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La prééminence de Sassou

La prééminence de Sassou Nguesso sur le dossier centrafricain n’est pourtant pas qu’une question de "qui paie commande". Elle résulte surtout du relatif retrait de son homologue tchadien Idriss Déby Itno, qui, tout en demeurant à terme un élément incontournable de toute solution, apparaît comme une partie du problème et pâtit du détestable tour confessionnel et communautaire pris par la crise centrafricaine. Le fossé de haine creusé entre la Séléka et les anti-balaka a en effet jeté sur les routes d’un exil meurtrier vers le nord des ethnies et des nationalités ayant en commun l’islam. Tchadiens réfugiés depuis le sac de N’Djamena en 1979, commerçants, colporteurs et diamantaires haoussas venus du Nigeria et du Cameroun à l’époque coloniale, éleveurs peuls mbororos installés sur les plateaux de Bouar et de Bambari puis dans tout le Grand-Ouest il y a plus d’un demi-siècle, Roungas et Goulas des espaces désertés du Nord-Est, islamisés depuis les années 1960… La plupart d’entre eux sont des citoyens centrafricains, mais la fracture est telle que les autres communautés ne les considèrent plus ainsi.

S’il n’existe pas à proprement parler de rivalité personnelle entre Denis Sassou Nguesso et Idriss Déby Itno quant au parrainage de la Centrafrique – les deux hommes, qui se connaissent depuis un quart de siècle se sont réciproquement aidés à chaque coup dur -, leur sensibilité est différente : le Congolais s’est très vite alarmé des violences commises par la Séléka à l’encontre des chrétiens alors que le Tchadien a été frappé de plein fouet par le retour tragique de milliers de réfugiés musulmans sur son territoire. Résultat : leurs candidats à la présidence de la transition pour succéder à Michel Djotodia n’étaient pas les mêmes et se sont en quelque sorte neutralisés au profit de Catherine Samba-Panza, que ni l’un ni l’autre ne connaissait. Reste que, au sein d’une Cemac malade de la Centrafrique, Sassou et Déby sont les seuls à s’investir réellement dans la recherche d’une hypothétique solution à la crise, les trois autres chefs d’État de la région privilégiant le repli sur leurs intérêts nationaux.

Il y a urgence, car un danger supplémentaire guette, si l’on n’y prend garde, le maillon faible de la communauté : celui de la partition.

Il y a pourtant urgence, car un danger supplémentaire guette, si l’on n’y prend garde, le maillon faible de la communauté : celui de la partition. Si François Hollande s’en est publiquement ému lors de son passage à Bangui le 28 février et si Ban Ki-moon réclame 12 000 hommes pour espérer le conjurer, c’est que l’heure est grave. Alors que toute l’attention se porte sur les anti-balaka et leur mentor supposé, l’ex-président Bozizé – que Samba-Panza considère désormais comme le plus dangereux de ses adversaires -, les ex-Séléka, eux, s’installent. Certains de leurs chefs n’hésitent plus à évoquer les contours d’une "République de l’Oubangui du Nord", réplique de celle du Soudan du Sud voisin, qui engloberait le pétrole du lac Mamoun, le diamant de Bria et l’uranium de Bakouma. Bref, la partie "utile" du pays, orientée vers l’est et ses débouchés kényans. "Nous sommes le Katanga de la Centrafrique", expliquait il y a peu, le plus sérieusement du monde, un proche de Michel Djotodia, lui-même natif de la région pétrolifère de la Vakaga, dans le prolongement de la fosse de Doba, là où les Chinois ont mis au jour en 2012 d’importants gisements. Pour l’instant, ni la force Sangaris, ni la Misca n’ont l’intention et les moyens d’aller réoccuper la zone des trois frontières, où l’autorité de la présidente centrafricaine n’est pas reconnue.

Remplir les caisses vides du Trésor

Catherine Samba-Panza, qui a manifestement tendance à oublier qu’elle n’a été élue que par… 75 voix (sur un collège de 135 votants à la représentativité sujette à caution), voit déjà sa gouvernance de plus en plus critiquée à Bangui : trop régionaliste dans ses nominations avec une surreprésentation de sa propre communauté gbanzirie, trop dispendieuse (31 ministres !) et sans perspective politique claire, puisque la présidente par intérim n’a toujours pas confirmé clairement qu’elle comptait se conformer à son statut d’intérimaire.

En attendant, les fonctionnaires centrafricains, qui ne sont plus payés depuis près de six mois, attendent désespérément le déblocage de l’aide budgétaire d’urgence promise par les pays de la région. Problème : qui va payer ? Sassou Nguesso a déjà donné et ne veut plus continuer seul, les autres hésitent à mettre la main à la poche. Début mars, Samba-Panza est donc allée tendre sa sébile chez les riches, à Luanda et à Malabo, pour remplir les caisses vides du Trésor et tenter de conjurer le risque d’explosion sociale. Le fait que l’Angola n’appartienne pas à la zone Cemac mais à la zone Ceeac est un signe : comme si le processus d’absorption de la première par la seconde, que l’on dit programmé, était déjà en marche.

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