Algérie : ce que la justice reproche à Abdelmadjid Sidi Saïd

Depuis quatre ans, il se savait en sursis. Le 12 mai, l’ancien patron du syndicat UGTA a rejoint en prison les hauts responsables proches de l’ex-président Bouteflika.

Abdelmadjid Sidi Saïd, l’ex-patron du syndicat UGTA. © Samir Sid

Publié le 17 mai 2022 Lecture : 5 minutes.

Ce matin du 12 mai, Abdelmadjid Sidi Saïd connaît un réveil difficile, comme tous les jours depuis quelques mois. Depuis, précisément, qu’il souffre d’une atteinte cardio-vasculaire et d’un cancer à un stade avancé, dont il a lui-même révélé l’existence en 2018 lorsqu’il a annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat à la tête de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), principale centrale syndicale alliée du pouvoir.

Cet homme de 73 ans, originaire de Aïn el-Hammam, commune de la wilaya de Tizi-Ouzou, avait déjà été soigné en 2013, en Suisse, pour des complications liées à sa pathologie cardiaque.

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Épargné jusque-là par la purge politico-judiciaire qui vise l’ancien entourage d’Abdelaziz Bouteflika, l’ex-patron de l’UGTA, qui a également longtemps présidé le conseil d’administration de la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS), comparait à 11h30 ce jour-là, sur une chaise roulante, devant le pôle spécialisé économique et financier du tribunal algérois de Sidi M’Hamed, en citation directe.

D’abord interrogé par le procureur de la République, il est ensuite longuement auditionné par le juge d’instruction. Les questions portent sur des soupçons de corruption, sur lesquels a enquêté le Service central de lutte contre le crime organisé et les actes subversifs (qui dépend de la Direction générale de la sûreté nationale, la DGSN), en coordination avec d’autres structures sécuritaires nationales.

Abus de pouvoir

Vers 21h, il est placé sous mandat de dépôt en même temps que l’un de ses fils. Un deuxième de ses fils a en outre été placé sous contrôle judiciaire tout comme quatre cadres de l’opérateur de téléphonie mobile Mobilis, filiale du groupe Algérie Télécom.

Précisément, Abdelmadjid Sidi Saïd est poursuivi pour « abus de pouvoir, dilapidation de deniers publics, réception d’avantages indus et enrichissement illégal ». Le premier volet abordé durant son audition du 12 mai porte sur la gestion des cotisations des travailleurs versées à l’UGTA, notamment entre 2017 et 2019. La procédure s’appuie sur des rapports fournis par les enquêteurs des services de sécurité, qui ont épluché des centaines de dossiers saisis, le 1er mai, au siège de la centrale syndicale.

Il serait intervenu en faveur de son fils pour l’obtention d’un marché d’environ 60 millions de dinars

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Deux voitures de fonction d’Abdelmadjid Sidi Saïd, restées à la disposition de sa famille après sa démission, en juin 2019, avaient été récupérées, la veille, par la justice. Le juge d’instruction a également interrogé le syndicaliste sur les liens qu’entretenait son troisième fils, Ramine, propriétaire de l’agence publicitaire et de communication All In, avec Mobilis.

Abdelmadjid Sidi Saïd serait intervenu pour que Ramine obtienne un marché d’environ 60 millions de dinars (392 500 euros) portant sur la réalisation d’un programme télévisé qui n’a jamais été diffusé, ce que la justice considère comme un « gaspillage de deniers publics ».

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Le dossier judiciaire inclut également une affaire liée à l’entreprise nationale pétrolière Sonatrach, sur laquelle l’ancien patron de la centrale syndicale, qui fut un fervent partisan du président Bouteflika, n’a pas encore été interrogé. Peu d’éléments ont filtré. Certaines sources avancent que ce volet impliquerait une société pétrolière, active à Hassi Messaoud et Aïn Salah dans les domaines de l’ingénierie, de la logistique et de la location de matériels.

Falsification assumée

Ce n’est pas la première fois que l’ex-syndicaliste, ami des patrons d’entreprises privées proches du cercle présidentiel, se présente devant un juge. En 2007, il avait reconnu avoir falsifié des procès-verbaux à l’insu des membres du conseil d’administration de différentes caisses nationales, permettant le dépôt de plusieurs milliards de dinars sur un compte de Khalifa Bank.

« J’assume », avait alors rétorqué Sidi Saïd à Fatiha Brahimi, la présidente d’audience, tant il était certain de ne pas être inquiété. Cette dernière l’avait d’ailleurs assuré, dès le début de son audition, qu’il était « rentré au tribunal de Blida en tant que témoin et [qu’] il en ressortira[it] avec le même statut ».

Sidi Saïd ayant autorisé les dépôts de fonds auprès de Khalifa Bank, la CNAS a perdu, après la banqueroute de cette banque privée, 10 milliards de dinars, la Caisse nationale des retraites (CNR) 12 milliards et la Caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés (Casnos), 2,4 milliards.

Les mandats d’Abdelmadjid Sidi Saïd à l’UGTA, à la tête de laquelle il avait succédé à Abdelhak Benhamouda, assassiné par un groupe terroriste en 1997, n’ont pas été marqués par des avancées majeures pour les travailleurs.

La disgrâce de Sidi Saïd a commencé avec celle des hauts responsables et des hommes d’affaires proches du clan Bouteflika. Pourtant, et bien qu’une interdiction de sortie du territoire lui ait été notifiée en juin 2019, il n’a pas été déféré devant un juge avant le 12 mai dernier.

Reclus à Saoula

Le 17 avril 2019, soit quinze jours après la démission forcée du président Bouteflika, un millier de travailleurs, rassemblés devant le siège de l’UGTA, avaient réclamé son départ, lui reprochant sa proximité avec le clan déchu et son attitude conciliante à l’égard de la politique sociale de l’État.

Plusieurs fédérations affiliées à la centrale syndicale contestaient déjà fortement son autorité depuis le 22 février 2019, date du début du Hirak. Surnommée le « pompier du gouvernement », l’UGTA a en effet servi de rouleau compresseur pour limiter l’activité des syndicats autonomes, qui gagnaient en crédibilité dans le monde du travail.

Ces quatre dernières années, il a tenté à deux reprises de quitter le territoire national

Depuis son départ à la retraite, en juin 2019, Sidi Saïd n’avait plus fait d’apparitions publiques et vivait reclus dans sa maison de Saoula. Il recevait peu de visites, confient des membres de sa famille. « Il était très fatigué et se tenait difficilement debout. Ces quatre dernières années, il a tenté à deux reprises de quitter le territoire national pour aller se faire soigner à l’étranger, mais a été refoulé à l’aéroport », apprend-on.

Pour sa cardiopathie, Sidi Saïd était suivi, en Algérie, par le professeur Rachid Bougherbal, ex-président de la Commission nationale d’étude des dossiers de transferts pour soins à l’étranger.

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