RDC-Rwanda : avant que tout ne bascule…

Si la montée des tensions entre les deux pays a de quoi inquiéter légitimement aussi bien les Nations unies que l’Union africaine, créer les conditions d’une remise à plat des relations entre les deux voisins reste envisageable.

En RDC, la rébellion du M23 menace toujours. © Beatrice PETIT/REPORTERS-REA.

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Publié le 3 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

Kigali et Kinshasa sont de nouveau à couteaux tirés. Cette fois, c’est au sujet du M23. Les accusations abondent, les discours se radicalisent. Tout peut basculer à n’importe quel moment, même si pas grand monde n’y a vraiment intérêt. Les deux pays semblent surtout englués dans un engrenage de crises qui se succèdent irrémédiablement depuis plusieurs décennies. De telle sorte que la seule certitude, au terme d’une crise, est que la suivante est au coin de la rue.

D’une certaine manière donc, le véritable enjeu est moins celui, ponctuel, du M23 que celui, structurel, des sources de ce malaise latent, diffus, qui alimente ces crises répétées et qu’il faut identifier.

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Désir de revanche congolais

Pour cela, il faut peut-être partir de la réalité suivante : la politique est fondamentalement affaire d’émotions, de sentiments, de ressentiments… Ceux-ci sont, en effet, à la base des plus grands bouleversements de l’histoire. Le sentiment de revanche, par exemple. Le jour où, recevant la nouvelle de l’exécution de son frère, Alexandre Oulianov – coupable de tentative d’assassinat sur le tsar Alexandre III –, Vladimir s’écria : « Je les ferai payer pour cela ! Je le jure ! », marque le début de la fin du tsarisme. Vladimir Oulianov entra plus tard dans l’histoire sous le nom de Lénine. Sans l’humiliation infligée aux Allemands par le traité de Versailles, Hitler ne serait probablement jamais entré dans l’histoire, ce qui aurait permis d’éviter la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale.

Il est de bonne politique de prendre au sérieux le sentiment d’humiliation d’un peuple. Le fait est qu’une part importante de l’opinion publique congolaise nourrit à l’endroit du Rwanda quelque chose qui ressemble à un vif désir de revanche, lui-même né d’un profond sentiment d’humiliation. Celui-ci se révèle pour partie honteux, puisqu’il résulte d’une forme de frustration devant les succès enregistrés depuis trois décennies par un pays infiniment moins doté. Mais il y a aussi l’héritage des deux guerres du Congo (1996-1997, puis 1998-2003), cette certitude que le pays a été le terrain de jeux d’intérêts illégitimes, et qu’il en a payé un coût exorbitant.

Cette histoire complexe se prête certes aux caricatures, aux omissions, aux révisions. Elle est différemment interprétée selon que l’on est à Kigali ou à Kinshasa. Néanmoins, certaines critiques émanant du Congo sont légitimes, et, à ce titre, méritent d’être entendues. À défaut d’y apporter une réponse satisfaisante à court terme, il convient, côté rwandais (médias, intellectuels, influenceurs, décideurs, etc.), au minimum de faire preuve d’empathie, et d’éviter toute manifestation d’arrogance qui ne ferait que renforcer les factions bellicistes du gouvernement et de la société congolais.

Fierté rwandaise affirmée

Le Rwanda a beau être petit, enclavé, faiblement doté en ressources, il n’en reste pas moins qu’une partie de ses élites le considère comme une civilisation. C’est en tout cas un pays qui a une conscience historique de lui-même en tant que peuple. Il a une langue élaborée, une culture distincte, une spiritualité qui a structuré la vie des Rwandais pendant des siècles. L’histoire rwandaise est riche de l’épopée de ses guerriers. Sa monarchie a connu des heures de gloire dont la mémoire imprègne les classes dirigeantes aujourd’hui. Tout cela nourrit un sentiment de fierté affirmée, parfois de supériorité, qui s’est admirablement révélé dans la génération qui, en 1994, a mis un terme au génocide contre les Tutsis.

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Cette génération, qui est toujours au pouvoir, s’est assignée pour mission, entre autres, de redonner une forme de grandeur au pays. Par conséquent, elle n’acceptera pas la place que lui confère sa taille. Et n’hésitera certainement pas, à chaque fois qu’elle sentira les intérêts vitaux du pays menacé, à « jouer le tout pour le tout ». Si le reste du monde peut se permettre de méconnaître, voire d’ignorer l’histoire récente du Rwanda et ses conséquences sur sa psychologie et sa forme de gouvernance, la RDC n’a pas ce luxe.

Des génocidaires toujours en liberté

D’abord parce qu’elle a activement participé à ladite histoire, ensuite parce que les enjeux de celle-ci sont de nature existentielle pour le Rwanda, enfin parce que, in fine, il est dans l’intérêt de la RDC de comprendre la portée de cette histoire. Cela fera bientôt trois décennies que le projet d’extermination des Tutsis rwandais a été mis en échec. Mais chaque année depuis, des génocidaires sont arrêtés et extradés vers le Rwanda. Que de telles personnes soient toujours en liberté constitue une menace majeure pour ce pays. Chaque année, des charniers sont découverts au Rwanda. Ils rappellent l’horreur absolue, mais aussi, fatalement, la possibilité d’une répétition de l’histoire.

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Et si jamais – ce dont on peut douter – pour les autorités et le peuple congolais, la présence continue d’un groupe comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FLDR) sur le sol congolais est d’une manière ou d’un autre tolérable, il serait souhaitable d’en tirer les conclusions du point de vue rwandais. En effet, la présence d’un seul militant ou sympathisant FDLR de l’autre côté de la frontière rwandaise ne pourra qu’attiser la tension entre les deux pays.

D’un côté, comprendre l’équation sécuritaire du Rwanda, et le rôle majeur de la RDC dans celle-ci ; de l’autre, prendre la mesure du sentiment d’humiliation et du désir de revanche qui habitent les esprits congolais, et peut-être la part de responsabilité du Rwanda dans cette réalité, serait de nature à créer les conditions d’une remise à plat de la relation entre les deux pays. Ce serait déjà une victoire.

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