Nelson Mandela, une vie exemplaire

Le 5 décembre, Madiba s’en est allé. Héros sud-africain, icône continentale, légende planétaire… Il aura révélé ce que l’humanité peut donner de meilleur. Retour sur une vie exemplaire.

Le 5 décembre, Nelson Mandela, icône et héros mondial, s’en est allé. © ALEXANDER JOE / AFP

Le 5 décembre, Nelson Mandela, icône et héros mondial, s’en est allé. © ALEXANDER JOE / AFP

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Publié le 15 décembre 2013 Lecture : 15 minutes.

Dans le township d’Alexandra, en Afrique du Sud, en 2013. © Markus Schreiber/AP/SIPA
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Afrique du Sud : l’héritage de Nelson Mandela, 25 ans après

Un quart de siècle après l’accession au pouvoir de Nelson Mandela, le 27 avril 1994, au terme des premières élections libres post-apartheid, l’Afrique du Sud présente un visage contrasté. À la veille des élections générales de 2019, dans lesquelles l’ANC part grand favori, le pays traverse une crise économique et les inégalités sociales se creusent. Les élites politiques et économiques, gangrenées par les affaires de corruption, sont au centre des critiques.

Sommaire

Nelson Mandela savait que la mort, à laquelle il avait échappé plus d’une fois au cours de sa longue et riche vie, finirait par frapper à sa porte. Il s’y était préparé, lui qui, en mai 2003, alors que son ancien compagnon de lutte Walter Sisulu venait de trépasser, déclarait : « Je sais maintenant que, mon heure venue, Sisulu sera là pour m’accueillir, et je suis presque certain qu’il me tendra un formulaire d’adhésion pour m’inscrire à l’ANC [Congrès national africain] et qu’il m’enjôlera en me chantant l’une de nos chansons favorites à l’époque où nous mobilisions le peuple derrière la Charte de la liberté. » Le 5 décembre, à 20 h 15, le père de la nation Arc-en-Ciel s’est éteint à son domicile de Johannesburg. Dans l’Histoire, peu d’hommes ont eu la chance de voir triompher, de leur vivant, les idées pour lesquelles ils s’étaient battus. Madiba a eu le bonheur de conduire son pays vers une miraculeuse transformation, comme il l’avait toujours souhaité, en une démocratie non raciale où chacun a sa place. Ses seules armes : le dialogue, le compromis et la constance dans ses idées. Pessimistes quant à la capacité de l’homme à offrir le meilleur de lui-même, beaucoup s’attendaient à une vengeance des victimes d’hier, à un effroyable bain de sang entre Noirs et Blancs. Il n’en fut rien.

Les années d’éducation

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Nelson Rolihlahla Mandela est venu au monde le 18 juillet 1918 à Mvezo, un petit village près d’Umtata, dans ce qui s’appelait alors Transkei (aujourd’hui Cap-Oriental). C’est le fief du peuple tembu, une branche de l’ethnie xhosa. De par ses parents, l’enfant a du sang royal dans les veines. Mandela père est en effet le conseiller de l’autorité traditionnelle suprême en pays tembu. En plus d’être respecté, Nkosi Mphakanyiswa Gadla Mandela a un caractère bien trempé. C’est ainsi qu’en 1919 il refuse d’obtempérer aux ordres d’un juge blanc. Les représailles ne tardent pas : il est destitué pour insubordination et perd tous ses biens. Ruiné, il quitte Mvezo et s’installe avec les siens à Qunu.

Dans ce petit bout de Transkei, le jeune Mandela reçoit de la bouche des anciens l’histoire et les traditions de son peuple avant la conquête européenne. Il apprend aussi à garder le troupeau à travers collines et vallées. Il s’imprègne de l’ubuntu, cet humanisme qu’on inculque aux membres de la communauté pour le bon équilibre de la société. Sa mère, qui a choisi le christianisme, le fait baptiser à l’Église méthodiste. À 7 ans, il est le premier membre de sa famille à aller à l’école des missionnaires.

Mais la décennie qui voit naître Nelson Mandela est marquée par un certain nombre d’événements qui vont peser sur le sort du pays et, au-delà, sur son propre destin d’irréductible militant antiapartheid. En 1904, les Blancs ont maté les dernières révoltes autochtones. Six ans plus tard, l’Union sud-africaine, comprenant les États du Cap, du Natal, d’Orange et du Transvaal, est créée. Puis survient la promulgation des premières lois qui officialisent la ségrégation raciale. Considérés comme des sous-hommes, les non-Blancs, c’est-à-dire les métis, les Indiens et les Noirs, sont progressivement écartés de la gestion de la chose publique et de toute fonction valorisante.

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Les Africains sont privés du droit de vote et de la liberté d’aller où ils veulent. On attend d’eux une soumission totale. De plus, le pouvoir continue de leur arracher leurs terres et les confine dans des réserves. C’est dans ce contexte qu’est fondé, en 1912, sous l’impulsion de l’avocat Pixley ka Seme, le South African Native National Congress (SANNC, Congrès national indigène d’Afrique du Sud), rebaptisé plus tard ANC. Manifestations contre les laissez-passer sans lesquels les Noirs ne peuvent se déplacer, grèves des mineurs… La résistance s’organise. Le père de Nelson Mandela meurt en 1927. Avant de décéder, il a confié son fils à son parent Jongintaba, régent du peuple tembu. Quelques années plus tard, l’adolescent intègre le collège méthodiste Clarkebury d’Engcobo. Son premier contact avec la vie citadine. Élève appliqué, soucieux de ne pas décevoir son tuteur, qui compte le nommer plus tard conseiller, Mandela obtient en deux ans son certificat de fin d’études du premier cycle du secondaire.

Le voici à Healdtown College, à Fort Beaufort. La formation à la britannique, tout en rigueur, et l’esprit méthodiste contribuent à forger son caractère. Certaines scènes vont le marquer, comme le refus d’un professeur noir de s’incliner devant un proviseur blanc. À 20 ans, Mandela s’inscrit à Fort Hare, seule université du pays destinée aux non-Blancs. Il y fréquente des jeunes qui, plus tard, joueront un rôle politique en Afrique du Sud, à l’instar de son neveu Kaizer Matanzima ou d’Oliver Tambo, futur président de l’ANC.

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Premiers engagements

Fort Hare, c’est aussi le lieu où il apprend à se battre pour ses convictions. Il est en deuxième année lorsque les étudiants font savoir aux responsables de l’université qu’ils souhaitent être associés à sa gestion et réclament une amélioration de la nourriture. Élu au conseil des étudiants, Mandela refuse d’y siéger, malgré les menaces du doyen. La sanction tombe : il est exclu de Fort Hare, au grand dam de son tuteur, Jongintaba. De retour à Qunu, il apprend que le régent, conformément à la tradition, lui a déjà trouvé une épouse. Si Mandela comprend le sens de la démarche de Jongintaba, il n’est pas disposé à épouser une femme qu’il n’a pas choisie. Pour échapper à la colère de son protecteur, il opte pour la fuite.

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Nous sommes en avril 1941. Les débuts à Johannesburg sont durs. Grâce à la solidarité ethnique, Mandela parvient à trouver un emploi de veilleur de nuit et fait une rencontre déterminante : Walter Sisulu, propriétaire d’une agence immobilière, né d’une mère xhosa et d’un père blanc. Commence alors une très longue amitié entre ces deux hommes, qui deviendront des figures de proue de la lutte contre l’apartheid. Quand Sisulu apprend que Mandela ambitionne de devenir avocat, il n’hésite pas à le présenter à Me Lazar Sidelsky, un Blanc bien disposé à l’égard des Noirs, qui le recrute comme clerc stagiaire. Une aubaine pour Mandela. Il en profite pour s’inscrire, en 1942, à l’université d’Afrique du Sud et suit les cours par correspondance. Dans le cabinet d’avocats, deux de ses collègues lui parlent politique, l’entraînent aux réunions du Parti communiste et à celles où, défiant le racisme officiel, se retrouvent des gens de toutes les couleurs.

Il vit dans les taudis des quartiers sordides comme Alexandra ou, plus tard, Orlando, mais ne perd jamais de vue sa priorité : terminer ses études. Quand il décroche son diplôme de premier cycle, il entre, en 1943, à la faculté de droit de Witwatersrand. Dans cette université, les Noirs ne sont pas autorisés à participer aux activités étudiantes ni à accéder aux installations sportives. Le racisme y est tellement présent que chaque fois que Mandela s’assied à côté d’un condisciple blanc, celui-ci se lève, préférant éviter sa compagnie.

Mais il rencontre aussi des gens à l’esprit ouvert, qui deviendront plus tard ses compagnons de lutte, tels que Joe Slovo, Ruth First ou des membres du South African Indian Congress comme Ismail Meer. La fréquentation de la maison de Walter Sisulu, où se retrouvent régulièrement les membres de l’ANC, contribue à forger sa conscience politique. Mandela vit à cent à l’heure, partagé entre son travail au cabinet d’avocats, ses études à Witwatersrand, son engagement politique croissant et sa famille – il s’est marié, en 1944, avec Evelyn Ntoko Mase, une infirmière cousine de Walter Sisulu, avec laquelle il aura quatre enfants.

Matricule no 46664

Ses années en prison, sur Robben Island d’abord, de 1964 à 1982, puis à Pollsmoor, Nelson Mandela les a longuement décrites dans sa biographie, Long Walk to Freedom. Longtemps, écrit-il, il n’a rien ou presque : une natte et des couvertures pour dormir à même le sol, un seau d’eau froide pour la toilette et une petite ampoule de 40 watts à la lueur de laquelle il apprend l’afrikaans. Lui, le prisonnier de classe D (la plus basse), matricule no 46664, n’a droit qu’à une visite et à une lettre tous les six mois. Sa force, il la tient de ses codétenus, Walter Sisulu, Ahmed Kathrada ou Govan Mbeki : « La plus grande erreur des autorités a été de nous laisser ensemble. » À l’extérieur, on parle peu des prisonniers de Robben Island, mais leur volonté ne faiblit pas. Mandela se bat (pendant trois ans) pour obtenir le droit de porter un pantalon, fait des pompes, des abdominaux, casse des cailloux dans la chaleur étouffante d’une carrière de calcaire, dévore Steinbeck et Tolstoï… Transféré au bout de dix-huit ans à Pollsmoor, il voit ses conditions de détention s’améliorer, mais il lui faudra attendre encore huit ans pour être libéré. En tout, vingt-sept années durant lesquelles il aura été soustrait aux regards mais desquelles il sortira « undiminished », non diminué. Sa plus grande victoire. Anne Kappès-Grangé

L’entrée en politique

C’est en 1943 que Nelson Mandela prend part à sa première manifestation politique, une marche organisée à Alexandra pour protester contre la hausse du prix des transports en commun. Du côté de l’ANC, on évite encore d’affronter les autorités. On proteste via des lettres d’une courtoisie exquise… Les jeunes s’impatientent. Ils s’appellent Walter Sisulu, Oliver Tambo, Nelson Mandela ou Anton Lembede. Leur mot d’ordre : l’action. En 1944, ils créent un nouvel organe au sein de l’ANC, la Ligue de la jeunesse. Lembede en devient le président, tandis que Sisulu, Mandela et Tambo sont membres du comité directeur.

Le régime sud-africain se durcit en 1948 avec l’instauration officielle de l’apartheid. À travers le pays, des indications du genre « Réservé aux Européens » ou « Interdit aux Noirs sous peine de tir à vue » fleurissent dans les lieux publics. Mandela commence à monter en puissance au sein de l’ANC. D’abord secrétaire national de la Ligue de la jeunesse, il en prend la tête en 1951. L’année suivante, il devient vice-président de l’ANC. Son rôle politique prend de l’ampleur en juin 1952. Porte-parole de la campagne de défiance lancée contre l’apartheid, Mandela est arrêté avec d’autres camarades. Au cours de cette même année, il ouvre avec Oliver Tambo le premier cabinet d’avocats africains, dont les bureaux se trouvent dans l’immeuble de Chancellor House, juste en face du tribunal de première instance. Les autorités et la profession leur mèneront la vie dure afin qu’ils aillent s’installer ailleurs qu’à Johannesburg. Dans le même temps, la situation évolue au sein de l’ANC. Avec l’élection à sa tête du « chief » Albert Luthuli, l’ANC se radicalise et passe à l’offensive. Tous les opposants à l’apartheid se réunissent en 1955, lors du Congrès du peuple au cours duquel la Charte des libertés est adoptée. Accusés de haute trahison, Mandela et 155 autres militants sont de nouveau arrêtés. Leur procès va durer quatre ans et demi. Sa famille ne le voit presque plus. Le divorce avec Evelyn Ntoko Mase, inévitable, intervient en 1958. Peu après, Mandela épouse Nomzamo Winifred Madikizela, dite Winnie, une assistante sociale qui partage son engagement politique et qui deviendra une figure emblématique de la lutte.

En 1960, l’ANC est interdit à la suite du massacre de Sharpeville. Mandela est désormais persuadé que tous les efforts destinés à combattre l’apartheid par des moyens pacifiques sont voués à l’échec. Il décide alors d’entrer dans la clandestinité et de passer à la lutte armée par le biais de l’Umkhonto we Sizwe (MK), branche militaire de l’ANC fondée en juin 1961. Six mois plus tard, le MK s’illustre par une série de sabotages à Pretoria, Durban et Port Elizabeth. Les cibles visées sont essentiellement des bureaux qui délivrent les laissez-passer, des pylônes électriques, des lignes téléphoniques, des relais militaires…

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Mandela quitte le pays en janvier 1962 pour représenter l’ANC à une conférence panafricaine, à Addis-Abeba. C’est aussi l’occasion de solliciter l’aide des États indépendants ou en passe de le devenir. Il visitera douze pays du continent en six mois. À ses hôtes, il explique le sens de la lutte de l’ANC. En Éthiopie et au Maroc (non loin de la frontière algérienne), il suit un entraînement militaire intensif. De ce premier contact avec le reste de l’Afrique, Nelson Mandela dira : « Faire le tour du continent m’a profondément marqué. Partout où j’allais, j’étais traité comme un être humain. » Ce voyage lui a également permis de se rendre à Londres pour rencontrer son ami Oliver Tambo, désormais en exil.

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De prisonnier à président

Quand il revient en Afrique du Sud, Mandela a, une fois de plus, rendez-vous avec son destin. Il est arrêté le 5 août 1962 dans le Kwazulu-Natal puis condamné une première fois à cinq ans de prison pour incitation à la grève et sortie illégale d’Afrique du Sud. En juillet, quasiment tous les responsables du MK sont arrêtés à la ferme de Liliesleaf, à Rivonia. Trois mois plus tard commence le procès le plus célèbre du pays, celui où Mandela brille comme avocat pour situer le sens de son combat. Le verdict du procès dit de Rivonia est rendu en juin 1964. Mandela et six de ses camarades, dont Walter Sisulu, Ahmed Kathrada et Govan Mbeki, sont reconnus coupables de sabotage et condamnés à la prison à vie. Tous, à l’exception de Denis Goldberg, le seul Blanc, sont conduits à Robben Island, au large du Cap.

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En prison, Nelson Mandela lit beaucoup. S’il n’a plus l’occasion de pratiquer la boxe, son sport favori, il fait des exercices physiques pour se maintenir en forme et entretient un petit potager dont les légumes font le bonheur des gardiens. Il étudie l’afrikaans pour, dit-il, connaître la façon de penser de l’adversaire. Au début de l’année 1985, le gouvernement de Pieter Willem Botha offre au prisonnier le plus célèbre du monde une libération à condition qu’il abandonne le combat. Mandela refuse. Quelques mois plus tard, des discussions commencent. Le 2 février 1990, l’interdiction qui frappait l’ANC prend fin. Le 11, l’impensable se réalise : devant les caméras du monde entier, Madiba, poing levé, sort de prison après vingt-sept années d’enfermement.

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Élu président de l’ANC l’année suivante, il entame de longues et difficiles négociations avec Frederik de Klerk, dernier président blanc du pays. Les deux hommes partageront finalement le prix Nobel de la paix en 1993. Enfin, le rêve de sa vie se réalise lorsque, en 1994, tous les Sud-Africains, indépendamment de la couleur de leur peau et de leurs origines, sont appelés à voter. Avec le résultat que l’on sait : le 10 mai, l’ancien prisonnier est investi président de la République au cours d’une cérémonie mémorable. Dans l’assistance, Yasser Arafat, Fidel Castro, Julius Nyerere, Hillary Clinton… Au total, quelque 4 000 invités, sous la surveillance étroite d’autant de policiers ayant pour mission de déjouer une tentative d’assassinat sur la personne du nouveau président. « Le temps est venu de panser nos blessures, déclare Mandela. Le temps est venu de réduire les abîmes qui nous séparent. Le temps de la construction approche. » Une nouvelle épreuve commence : bâtir une nation arc-en-ciel.

Madiba fait très vite plancher le nouveau gouvernement sur un projet de loi sans lequel l’Afrique du Sud, estime-t-il, ne guérira jamais des blessures de l’apartheid. À la fin de l’année 1994, la loi d’unité et de réconciliation nationale ouvre la voie à la création d’une commission, distincte des juridictions existantes, qui doit permettre d’enquêter sur les crimes commis sous l’apartheid, de pacifier les esprits et d’aider tous les Sud-Africains, blancs et noirs, à vivre ensemble. Au terme d’une longue consultation nationale, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) est créée.

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De l’ouverture des travaux en avril 1996 à leur clôture en juillet 1998, les victimes sont confrontées à nouveau aux horreurs qu’elles ont vécues, et les bourreaux forcés d’avouer leurs crimes et d’obtenir le pardon pour être amnistiés. La CVR a servi d’immense catharsis nationale. C’est une première mondiale, moins dure que la justice des vainqueurs du tribunal de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale, mais plus sévère que l’amnistie générale chilienne après le régime Pinochet.

Quelques événements significatifs ponctueront son mandat, comme la Coupe du monde de rugby, en 1995, au terme de laquelle Noirs et Blancs fêteront la victoire de l’Afrique du Sud, et sa visite à la veuve de Hendrik Verwoerd, l’architecte de l’apartheid…

La troisième vie

Comme il s’y était engagé lors de son élection, Mandela ne se représentera pas au terme de son quinquennat et, en juin 1999, il cède le fauteuil à son dauphin, Thabo Mbeki. Il laissera l’image d’un président qui vivait simplement, avait réduit son salaire, en versait un tiers à sa Fondation pour l’enfance et n’avait pas hésité à dénoncer les indélicatesses dont s’étaient rendus coupables ses camarades de l’ANC dans la gestion des affaires publiques. Mandela a dirigé l’Afrique du Sud, disent certains observateurs, comme un monarque constitutionnel, mais pas en autocrate : il connaissait trop bien le prix de la démocratie.

Il peut alors commencer sa troisième vie. Il a 80 ans, et voilà déjà longtemps qu’il a été érigé au rang de héros. Après « Nelson Mandela », le jeune avocat xhosa qui s’engage dans la lutte contre l’apartheid et passe vingt-sept ans en prison, après « Mister President Rolihlahla Mandela », le premier chef de l’État noir de la nation Arc-en-Ciel, voici venu le règne de Madiba, ou « Tata » (« papa » en xhosa). Le grand-père, dorénavant, de tous les Sud-Africains. Ses yeux sont abîmés par ses années de détention, ses oreilles un peu éteintes, ses jambes fatiguées ont du mal à le porter. Il estime avoir trop délaissé sa famille et veut se consacrer à sa nouvelle épouse, Graça Machel, avec laquelle il s’est marié le 18 juillet 1998 – jour de son 80e anniversaire.

Sa présence à la finale de la Coupe du monde de football, en juillet 2010, sera la dernière occasion pour le peuple sud-africain de le voir souriant et en forme. Mais la dernière fois qu’il a lancé un message politique à l’intention du monde entier, c’était en janvier 2005, lors des funérailles du dernier de ses fils qui était encore en vie. « Mon fils est mort du sida », a-t-il dit de sa voix plus rocailleuse que jamais. « Une maladie normale dont il faut parler ouvertement. » Ce sera la dernière bataille de l’un des plus grands hommes du XXe siècle, avant que la mort se présente à sa porte.

Avec Jacob Zuma, en 2009. L’actuel président va devoir gérer l’Afrique du Sud sans Mandela. Un véritable défi pour l’ANC, de moins en moins populaire. © Alexander Joe/AFP

Des funérailles mondiales

Annoncées sobrement au soir de sa mort, le 5 décembre, par le président sud-africain Jacob Zuma, « les funérailles d’État » de Nelson Mandela seront à la hauteur de l’homme : mondiales, historiques, exceptionnelles. Elles ont été pensées de longue date par la famille, le gouvernement et l’armée. Prévues le 15 décembre, les obsèques seront précédées de dix jours de cérémonies, dont celle dite « des yeux fermés » organisée par les chefs traditionnels. Cinq jours après son décès, le corps embaumé de Madiba quittera l’hôpital militaire de Pretoria pour le FNB Stadium de Johannesburg, dans le quartier de Soweto. Des dizaines de milliers de personnes venues du monde entier, dont Barack Obama, sont attendues. Le sixième jour, le siège du gouvernement – les Union Buildings, à Pretoria – accueillera la dépouille pendant trois jours. Dignitaires et citoyens sud-africains lui rendront hommage. Ce n’est qu’au neuvième jour que le père de la nation Arc-en-Ciel prendra la direction de Qunu, le village où il a grandi. Là, le dixième jour à midi, son cercueil rejoindra celui de ses ancêtres, sous le regard de la famille. Un adieu planétaire, immortalisé par des centaines de caméras de télévision. Et Madiba pourra enfin se reposer. Michael Pauron

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