Kenya – Raila Odinga : « Je ne me suis pas assagi, je suis toujours le même »

Le 9 août, l’ancien Premier ministre briguera la magistrature suprême pour la cinquième fois. Il a le soutien du président sortant mais devra battre le vice-président, William Ruto, dans ce qui s’annonce comme une bataille d’égos.

Autrefois rivaux, le président du Kenya, Uhuru Kenyatta (2ème à gauche)et Raila Odinga (3ème à gauche), candidat à sa succession à Nairobi, le 12 mars 2021. © Tony KARUMBA/AFP

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. © DR

Publié le 1 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

Raila Odinga a toujours soigné son image. Candidat à l’élection présidentielle du mois d’août prochain face à William Ruto, l’actuel vice-président, il s’applique depuis des années à se poser comme un homme emphatique et proche du peuple. Entré en politique il y a bientôt un demi-siècle, cinq fois candidat à la magistrature suprême, il se présente aussi volontiers comme un dissident et comme l’incarnation d’une certaine gauche en Afrique de l’Est.

Est-ce un hasard ? Sa fille, personnage clé de sa campagne, s’appelle Winnie et l’un de ses fils a été baptisé Fidel. Ses engagements en faveur de l’éducation gratuite, d’un service national de santé et d’un système de sécurité sociale sont censés s’accorder avec ses promesses de réforme institutionnelle et de décentralisation. Et Raila Odinga n’aime rien tant que s’en prendre à l’establishment.

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Revirement d’alliances

Depuis quelques mois, il peut compter sur le soutien du chef de l’État sortant, Uhuru Kenyatta, fils du premier président du pays et héritier de l’une des plus grandes fortunes kenyanes. La plupart des 47 gouverneurs et des barons du centre du pays, qui compte la plus grande concentration d’électeurs, ont promis de voter pour lui. Et quand on lui demande comment il est parvenu à obtenir leur appui et s’il s’est assagi, il répond en souriant : « Je ne pense pas, je suis toujours le même. C’est plutôt l’inverse : ce sont eux qui ont changé et qui m’acceptent enfin tel que je suis. »

Au lendemain des élections contestées de 2017, les partisans d’Odinga et ceux de Kenyatta semblaient pourtant prêts à en découdre dans le sang. Dans l’entourage du président, on parlait d’Odinga comme d’un dangereux radical qui menaçait la stabilité du Kenya. Quatre ans plus tard, le second finance la campagne du premier.

Comme il le dit lui-même, Odinga a pourtant peu changé. À la manière d’un Julius Nyerere ou d’un Kenneth Kaunda, il considère que le but de la politique est de provoquer un changement systémique. Bien qu’il ait suivi une formation d’ingénieur médical en Allemagne de l’Est à l’époque soviétique, Odinga n’a jamais adhéré au marxisme, choisissant une ligne plus progressiste. Chrétien évangélique, il peut véritablement prétendre « ratisser large ». D’autant que, fait inédit dans l’histoire de la politique kenyane, il s’est choisi une femme – Martha Karua – comme colistière. Selon des sondages publiés à la mi-mai, Odinga fait la course en tête avec 39 % des intentions de vote contre 35 % pour Ruto.

Raila Odinga et Martha Karua présentent leur candidature à la Commission indépendante des élections et des frontières (IEBC) à Nairobi, au Kenya, le 5 juin 2022. © REUTERS/Monicah Mwangi

Raila Odinga et Martha Karua présentent leur candidature à la Commission indépendante des élections et des frontières (IEBC) à Nairobi, au Kenya, le 5 juin 2022. © REUTERS/Monicah Mwangi

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Risque de contestation

« Le meilleur résultat serait que l’un ou l’autre des candidats l’emporte avec une marge substantielle […], ce qui réduirait la possibilité d’une contestation risquée des résultats », estime Charles Hornsby, auteur de l’ouvrage de référence Kenya : A History Since Independence.

Flanqué de deux de ses plus proches alliés – Hassan Ali Joho, gouverneur de Mombasa, et James Orengo, sénateur – Raila Odinga s’est lancé dans une tournée à travers le pays et explique, dès qu’il peut, les lignes toujours mouvantes de la politique kenyane aux diplomates et aux hommes d’affaires. Il tente d’attirer de nouveaux électeurs tout en confortant sa base avec un plan de réforme qui, promet-il, permettra un plus grand partage du pouvoir entre les diverses communautés et une accélération de la décentralisation financière. Une réforme indispensable, selon lui, à l’éradication de la corruption dont il fait une priorité.

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Il plaide aussi pour une dépolitisation et une réforme en profondeur du système judiciaire. « Je suis tout à fait d’accord pour dire que le pouvoir judiciaire doit être indépendant, explique-t-il. Mais ce pouvoir judiciaire doit aussi être censuré lorsqu’il contribue à perpétuer la corruption […]. S’il est corrompu, c’est un obstacle à l’investissement. Comment la Commission des services judiciaires peut-elle être le seul organe à le superviser ? »

Malgré tout, il est difficile de voir dans ces élections – présidentielles et parlementaires – du 9 août autre chose qu’une bataille entre deux vétérans. Difficile de contrer l’apathie électorale de nombreux jeunes électeurs avec cela. Odinga et Ruto font de grandes promesses, mais ne donnent que peu de détails sur la manière dont elles seront mises en œuvre ou financées. Aucune des propositions avancées ne semble à la hauteur des vents contraires auxquels le Kenya est confronté dans le sillage de la récession provoquée par la pandémie de Covid-19, qui a engendré une explosion de la dette publique et une flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants.

Les problèmes les plus pressants dans la plus forte économie d’Afrique de l’Est restent le chômage et le dysfonctionnement du marché du travail. Aujourd’hui, 37 % des jeunes Kényans sont sans emploi. Mais ni Ruto ni Odinga ne paraissent avoir la moindre stratégie en la matière. Et tant pis si le sujet sera sans doute bien plus important pour l’issue de la campagne que tous les discours sur « le rêve kenyan ».

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