Afrique du Sud : après les dernières tueries, la prolifération des armes à feu dans le viseur

La mort de 19 personnes dans des fusillades perpétrées dans des bars relance le débat sur l’accès aux armes.

Des agents de sécurité arrivent au Samukelisiwe, où une fusillade a eu lieu dans le township de Sweetwaters près de Pietermaritzburg, le 10 juillet 2022. © RAJESH JANTILAL/AFP

Publié le 11 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

C’est une scène de guerre que décrit le ministre de la Police. « On a retrouvé plus de 130 cartouches vides d’AK-47, ce qui montre que ces gens étaient déterminés à tuer », explique Bheki Cele devant la taverne de Soweto au lendemain du massacre qui y a fait 15 morts et plusieurs blessés. Aucun des cinq assaillants n’a été retrouvé et le motif de la fusillade reste inconnu. Le même soir dans une taverne de Pietermaritzburg, dans le KwaZulu-Natal, une autre tuerie perpétrée par deux hommes a fait 4 morts.

Ces deux tueries ont conduit les policiers à formuler les mêmes conclusions. « Nous avons un problème avec la prolifération des armes à feu », a admis le commissaire provincial, Elias Mawela. « Nous n’avions pas autant de meurtres par le passé mais maintenant nous montrons notre plus mauvais visage à cause du haut taux d’homicides », a déploré le lieutenant général.

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Prolifération

« Les trois premiers mois de cette année ont été violents, brutaux et dangereux pour nombre de Sud-Africains », résumait sans ambages le ministre de la Police au moment de publier les statistiques de la criminalité pour le début de 2022. Le nombre de meurtres a grimpé de 22 % par rapport à l’année 2021. Les lieux de boissons, comme les tavernes, représentent le troisième environnement le plus concerné par les meurtres.

La consommation d’alcool ne suffit pas à expliquer cette violence. « L’accès facile aux armes à feu rend ce genre de choses possibles », soutient Adèle Kirsten de l’ONG Gun Free South Africa selon laquelle 23 personnes meurent par balles et par jour dans le pays. Depuis quelques mois, la militante note un changement de mode opératoire dans les crimes par armes à feu. « Nous avions déjà un taux d’homicide élevé, mais c’était lié généralement à la guerre des gangs ou à des règlements de compte entre individus. Mais depuis environ 18 mois, on observe des fusillades massives. L’une des explications pourrait être que les armes à feu et les gros calibres sont plus accessibles », analyse Adèle Kirsten.

Les militants anti-armes à feu expliquent que le marché légal (3 millions d’armes enregistrées en Afrique du Sud selon une estimation de 2017) nourrit inévitablement le marché illégal (2,35 millions). Les armes sont volées dans des braquages, perdues ou sorties des armoires et vendues par des policiers, agents de sécurité privée et militaires corrompus. « Toute arme illégale fut d’abord légale », rappelle Adèle Kirsten qui plaide pour un renforcement de la législation sur le port d’armes pour les particuliers afin de fermer le robinet.

À l’opposé, les militants pro-armes craignent que le gouvernement s’appuient sur ce drame pour durcir la loi sur le contrôle des armes à feu. Un projet loi – qui semble gelé – propose de mettre un terme au critère d’auto-défense comme raison valable pour obtenir une licence. Un projet disproportionné face à la menace qui pèse sur les citoyens estime le militant pro-armes Ian Cameron. « Ce ne sont pas les citoyens qui possèdent des AK-47, ce sont les criminels », argumente ce directeur du programme « Sécurité des communautés » pour l’organisation Action Society du côté du Cap. « Je crois profondément que les citoyens doivent avoir le droit de se défendre, que ce soit avec des armes à feu ou autrement », appuie Ian Cameron.

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Se serrer les coudes

Ce jeune homme s’est illustré la semaine dernière en accusant publiquement le ministre de la Police d’inaction. « Aucune des personnes ici présentes, quand elles verront leur voisin se faire massacrer dans la rue ce soir, n’accorderont d’importance à vos propos insensés », provoquait Ian Cameron. Après quelques échanges, Bheki Cele finira par lui crier de se taire et de se rasseoir. Un échange filmé et partagé sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui Ian Cameron appelle à sa démission. Ça ne changerait rien, sourit Adèle Kirsten, « le problème est systémique. »

Hasard du calendrier, les tueries de Pietermaritzburg et de Soweto interviennent un an après les émeutes de juillet 2021 provoquées par l’incarcération de l’ancien président Jacob Zuma. Huit jours de violence et de pillage avaient fait 354 morts, 50 milliards de rands de dégâts sans qu’aucune personne ne soit condamnée. L’impunité dont semble jouir certains criminels exaspère la population. Sa défiance vis-à-vis de la police et de la justice ne peut que se renforcer quand des affaires de cette envergure n’aboutissent à rien.

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« La police va être sous pression », anticipe Jenni Irish-Qhobosheane, auteure d’un rapport sur le marché illégal des armes à feu pour l’ONG Global Initiative. Il faudra arrêter les suspects, parvenir à les poursuivre en justice, savoir qui les a engagés en cas de contrat et surtout, remonter la piste des armes à feu, insiste la chercheuse. Qui considère que les forces de l’ordre ne mettent pas assez d’énergie à endiguer la fuite de leurs propres armes sur le marché illégal.

Dans son message de condoléances aux victimes, le président Cyril Ramaphosa a appelé le gouvernement, les citoyens et la société civile à se serrer les coudes pour « réduire la criminalité et éradiquer la circulation illicite des armes à feu. » Le réflexe d’auto-défense que pourrait susciter ces deux tueries risque de provoquer l’inverse. Les émeutes de juillet 2021 avaient relancé la vente d’armes et de munitions.

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