Algérie : Abdelaziz Bouteflika contre-attaque

Affaibli, mais pas hors jeu… En procédant au plus vaste remaniement de ses trois mandats et en plaçant ses hommes à tous les postes clés, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, reprend la main. En ligne de mire : la présidentielle de 2014.

Abdelaziz Bouteflika replace ses hommes de manière stratégique. © FAROUK BATICHE / AFP

Abdelaziz Bouteflika replace ses hommes de manière stratégique. © FAROUK BATICHE / AFP

Publié le 17 septembre 2013 Lecture : 5 minutes.

"Je ne serai pas aux trois quarts président", avait pour habitude de répéter Abdelaziz Bouteflika lors de son arrivée au pouvoir, en 1999. Visiblement, il se tient à ce principe, malgré l’accident vasculaire cérébral (AVC) qui le contraint depuis le 27 avril à se déplacer en fauteuil roulant, à suivre une pénible rééducation (deux équipes de spécialistes, l’une française et l’autre britannique, s’y attellent) et à déserter ses bureaux d’El-Mouradia. Adversaires et détracteurs en sont pour leurs frais : paralytique ou pas, aphasique ou non, le chef de l’État a repris la main. Le 11 septembre, quatre mois et demi après son évacuation d’urgence vers l’hôpital parisien du Val-de-Grâce, il a procédé au plus large remaniement ministériel de ses trois mandats.

Qu’on en juge. Parmi les ministres limogés, un seul, Mourad Medelci, est officiellement "appelé à d’autres fonctions" ; les autres, dont certains étaient en poste depuis plus d’une décennie, ont été jetés comme des kleenex. Les quatre portefeuilles régaliens (Intérieur, Défense, Justice et Affaires étrangères) changent de titulaire. La promotion simultanée de quatre walis (préfets) au sein de l’exécutif constitue une première dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Enfin, le Front de libération nationale (FLN), principale force politique du pays, voit lui échapper cinq maroquins, avec le départ d’Abdelaziz Ziari, Amar Tou, Rachid Harraoubia, Moussa Benhamadi et Rachid Benaïssa, tous caciques de l’ex-parti unique. Autre surprise de ce remaniement, l’éviction de deux chefs de formations alliées. Mohamed Saïd, islamiste et rival malheureux de Bouteflika lors de la présidentielle de 2009, ainsi que Belkacem Sahli, secrétaire général de l’Alliance nationale républicaine (ANR) et unique trentenaire (il a 38 ans) de l’équipe sortante, ont été remerciés.

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Le maintien d’Abdelmalek Sellal à la tête de l’exécutif ne change rien au constat : l’acte posé par Abdelaziz Bouteflika le 11 septembre constitue une véritable révolution de palais à sept mois d’une échéance électorale cruciale, la présidentielle d’avril 2014, où le chef de l’État n’est pas censé briguer un quatrième mandat. Du moins est-ce ce que sa déclaration du 8 mai 2012 ("Ma génération doit passer la main") et son état de santé laissaient présager.

Aux ministères de l’Intérieur et de la Justice, Bouteflika a nommé deux hommes réputés très proches de lui : Tayeb Belaïz, avec rang de ministre d’État, et Tayeb Louh. Le message est clair : il a l’intention de contrôler le prochain scrutin, qui sera organisé par le premier et supervisé par le second.

La Défense à Ahmed Gaïd Salah

L’autre changement significatif concerne la Défense. Sans lâcher ce portefeuille, Bouteflika, à qui la Constitution confère le statut de chef suprême de l’armée, se sépare de son ministre délégué de toujours, le général major Abdelmalek Guenaïzia, dernier "janviériste" aux affaires [ce terme désigne les officiers qui avaient décidé, le 11 janvier 1992, d’interrompre la tenue des législatives dont la victoire était promise au Front islamique du salut]. Il le remplace par l’octogénaire Ahmed Gaïd Salah, qui cumule désormais ses fonctions de chef d’état-major avec celles de vice-ministre de la Défense. Homme lige du chef de l’État, Gaïd Salah voit ses étoiles de général de corps d’armée briller davantage. Bouteflika aurait par ailleurs signé trois décrets non publiables privant le tout-puissant département du renseignement et de la sécurité (DRS) de trois importantes prérogatives (presse et information, sécurité de l’armée et police judiciaire de l’armée), dorénavant sous la tutelle du chef d’état-major.

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Simple réorganisation technique, ou volonté d’affaiblir Mohamed Mediène, alias Tewfik, l’autre général de corps d’armée et omnipotent patron du DRS depuis vingt-trois ans ? Il y a quelques mois, nous avions évoqué les relations difficiles du président avec des services de renseignements qu’il accusait d’alimenter en sous-main une campagne de presse hostile à Saïd Bouteflika, son frère et conseiller spécial. Serait-ce le début d’une guerre de tranchées ? C’est en tout cas l’opinion d’Abderrezak Mokri, le chef des Frères musulmans algériens, pour qui "le risque de déstabilisation de l’Algérie ne vient ni de la rue ni de l’opposition, mais de la guéguerre à laquelle se livrent les différents clans du système".

Bouteflika était-il en mesure de procéder au remaniement ?

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D’autres s’interrogent sur le décalage entre ces décisions cruciales pour l’avenir du pays et les images d’un Bouteflika cloué à son fauteuil, hagard, incapable de prononcer une phrase de manière audible en présence de Béji Caïd Essebsi, l’ancien Premier ministre tunisien, le jour du remaniement. Selon Abdelaziz Rahabi, ex-ministre de la Culture et de la Communication, et ex-ambassadeur en Espagne, "l’Algérie vit un scénario à la Bourguiba, avec un président malade concentrant tous les pouvoirs et dont les prérogatives constitutionnelles sont exercées par son entourage".

Certains peinent en effet à imaginer Bouteflika, qui n’est plus entouré que par sa famille et ne reçoit même plus ses proches collaborateurs d’El-Mouradia, prendre seul des décisions de cette importance. Pour un vieux connaisseur des arcanes du sérail, "il est fort peu probable que le président ait procédé à un aussi large remaniement sans concertation avec le DRS, donc avec le général Tewfik, ne serait-ce que pour examiner les enquêtes de moralité qui précèdent toute nomination aux plus hautes fonctions de l’État".

Nul ne sait si Abdelaziz Bouteflika est en mesure de convoquer le nouveau gouvernement pour un Conseil des ministres qui ne s’est plus tenu depuis décembre 2012, ni si la nouvelle équipe d’Abdelmalek Sellal soumettra son programme à la représentation nationale (les deux chambres du Parlement). Mais si l’on s’en tient à l’unique déclaration du Premier ministre après le remaniement, son gouvernement se bornera à mener le programme économique du président à son terme. On ne parle plus de réviser la Constitution.

>> Lire aussi : La presse algérienne s’interroge sur les capacités à gouverner de Bouteflika

Ramtane Lamamra, l’Africain

Le nouveau chef de la diplomatie est sans doute le ministre algérien le plus connu en Afrique : il était, depuis cinq ans, à la tête du commissariat Paix et Sécurité de l’Union africaine. Originaire d’Amizour, dans la région côtière de Béjaïa, Ramtane Lamamra, 61 ans, est un énarque spécialiste du "multilatéral" selon le jargon diplomatique. Sa polyvalence lui a permis d’occuper des postes stratégiques (représentant de l’Algérie à l’Agence internationale de l’énergie atomique, puis aux Nations unies, ambassadeur à Washington) et de traiter plusieurs dossiers sensibles. Médiateur dans les conflits opposant le Mali au Burkina (1985) et le Tchad à la Libye (1987), il s’est également penché sur le cas du Sahara occidental, s’attirant l’inimitié du voisin marocain. En Algérie, en revanche, sa nomination est des plus consensuelles.


Ramtane Lamamra est polyvalent : paix, sécurité, énergie…
Il intervient sur de nombreux dossiers. © Rijasolo/AFP

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