Tunisie – Nouvelle Constitution : à 10 jours du référendum, les jeux sont-ils déjà faits ?

Le 25 juillet, les Tunisiens sont invités à exprimer dans les urnes leur acceptation ou leur rejet du projet controversé porté par le président Kaïs Saïed. Reportage.

Des membres de l’Instance indépendante supérieure des élections (Isie), lors de la dernière présidentielle, le 16 septembre 2019. © Adele Ezzine/Xinhua/REA

Publié le 15 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

Le 25 juillet, les Tunisiens pourront enfin s’exprimer sur leur adhésion, ou non, au projet de nouvelle Constitution, publié le 30 juin. Lancée le 7 juillet, la campagne de promotion du référendum agite le pays : les partisans du président font le tour des médias, quand ses opposants dénoncent un projet liberticide et pointent des irrégularités dans le processus démocratique.

« Ce n’est pas une campagne ça ! Ce que veut Kaïs Saïed, c’est en réalité un plébiscite », lance, excédée, la passagère qu’un taxi vient de déposer à l’hôtel El Mechtel à Tunis. Elle s’agace du prosélytisme du chauffeur qui durant tout le trajet lui a vanté les mérites de Kaïs Saïed : « [Les partisans du président] poussent au oui sans aucun discernement. Pour eux, il n’y a pas d’autre option possible, alors que je fais ce que je veux de mon vote ! », s’emporte-t-elle.

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Absence de Mourakiboune

Cette enseignante n’est pas la seule à subir ce genre de situation. Des proches de la campagne pour le oui confient que des fichiers de catégories socio-professionnelles en contact avec le grand public – comme les chauffeurs de taxi – ont été mis à leur disposition par des ministères, alors que la loi électorale interdit que les moyens de l’État soient employés à ces fins.

Autre coup de canif à la légalité : les supporters du oui promeuvent leur position au moyen de banderoles et d’affiches portant l’emblème de la République et le drapeau tunisien, ce qui est strictement interdit par la loi. L’Instance indépendante supérieure des élections (Isie) a rappelé ces règles le 11 juillet, mais les éléments de communication incriminés restent en place.

« De quoi s’étonne-t-on ? Le principal intéressé, le président de la République, se permet de prendre fait et cause pour le « oui » alors qu’il devrait maintenant être neutre sur cette question et laisser les Tunisiens choisir sereinement », commente un ancien de Mourakiboune. Ce réseau d’observation des élections ne pourra assister au déroulement du référendum, selon une décision transmise par l’Isie mais prise en haut lieu. Du jamais vu, depuis la tenue des premières élections libres en 2011 en Tunisie. « La parenthèse démocratique se referme », ajoute amèrement celui qui a régulièrement participé à la formation d’agents électoraux depuis 2011.

Outre le fond de la nouvelle loi fondamentale proposée, qui consacrerait un régime ultra-présidentialiste sans pouvoir judiciaire indépendant et sans garantie du maintien de la nature civile de l’État, certains pointent les fautes de langue qui parsèment le texte.

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« Kaïs Saïed aurait pu au moins respecter ce texte et le faire relire avant qu’il ne paraisse au Journal Officiel », soupire une universitaire et ancienne collègue du président à la faculté de droit de Tunis. « Kaïs Saïed a revu la copie, fait des rectifications et publié une nouvelle version le 10 juillet… Seulement, il aurait dû reporter le référendum pour que les citoyens bénéficient du délai de réflexion [trois semaines, NDLR] prévu par la loi ». Une demande également formulée par de nombreux partis politiques, et notamment par la « Coalition contre le coup d’État », tête de file du « non ». En vain.

Un scrutin « pour ou contre » Kaïs Saïed

Autant de faits qui, avec la faible couverture médiatique des partisans du « non » ou du boycott du scrutin, provoquent un sentiment de malaise, comme si les jeux étaient déjà faits et que le référendum n’était que de pure forme – d’autant qu’aucun seuil minimum de majorité n’a été fixé pour la victoire du oui. Les atteintes au bon déroulement du processus référendaire ont ainsi fait basculer certains opposants dans le camp du boycott. « Nous sommes sûrs qu’il y aura des bourrages d’urnes, l’Isie est à la solde du président qui en a désigné les membres », lance l’un d’entre eux, sous le couvert de l’anonymat.

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À dix jours du scrutin, la tension s’installe mais la partie semble presque gagnée pour les supporters de Kaïs Saïed. Samia Soltani, une participante de la campagne pour le oui à Béja (Nord) répète ses arguments à l’envi. « Il ne faut pas que les bureaux de vote soient vides ! », insiste elle en appelant de ses vœux un raz-de-marée populaire pour marquer « l’exclusion définitive » des islamistes du jeu politique.

De fait, la popularité de Kaïs Saïed repose largement sur le rejet d’Ennahdha – qui a appelé à boycotter le référendum, de concert, une fois n’est pas coutume, avec le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi. Le risque est donc grand de voir le scrutin se transformer en vote pour ou contre le président, pour ou contre les islamistes.

Dans ce contexte, nul ne prête attention à la forte reprise du Covid-19, notamment dans les zones urbaines et certaines villes de l’intérieur comme Sbeïtla (Ouest). « Le comité scientifique le sait, mais il se tait. Il n’est pas question de gâcher la saison touristique ni le référendum », estime un pharmacien qui a effectué, en 24 heures, une centaine de tests. Presque tous positifs.

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