Mohamed Salah El-Din, une vie en musique

Ce maître du qanun venu d’Égypte a travaillé pour soeur Marie Keyrouz comme pour les cinéastes Abdellatif Kechiche et Youssef Chahine.

Mohamed Salah El-Din et sa cithare pour le festival de musiques sacrées de Fès (Maroc). © Willy Vainqueur pour J.A.

Mohamed Salah El-Din et sa cithare pour le festival de musiques sacrées de Fès (Maroc). © Willy Vainqueur pour J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 4 septembre 2013 Lecture : 4 minutes.

La chemise de traviole, les lunettes en équilibre sur le bout du nez, une grande valise trapézoïdale à la main, Mohamed Salah El-Din a l’air perdu, en ce début de juin, dans l’aéroport de Casablanca. Trois heures à attendre, debout, avec pour seul repas la fade omelette offerte par la Royal Air Maroc sur un vol Orly-Casa, c’est beaucoup pour ses 70 ans. La discussion démarre en mode grognon sur des banalités relatives au transport aérien et dérive vers un sujet d’inquiétude : la précieuse valise a pris un choc et ne ferme plus. Précieuse, parce qu’elle contient toute la vie de musicien de l’Égyptien, qui vient accompagner, au Festival des musiques sacrées de Fès, la chanteuse marocaine Aïcha Redouane. Précieuse parce qu’elle contient les quelque 70 cordes de son instrument, le qanun, qui permet de jouer les maqams de la musique arabe. « J’ai commencé la musique à la maison, se souvient Salah El-Din, avec mon père ingénieur qui était un mélomane diplômé du collège de musique arabe. Dans le salon, nous avions tous les instruments, le qanun, l’oud, le violon, et, chaque fois qu’une occasion se présentait, les musiciens pouvaient s’emparer des instruments prêts pour eux ! »

Né à Tanta, dans le nord de l’Égypte, en 1943, Mohamed Salah El-Din grandit au Caire avec ses quatre frères. À l’âge de 15 ans, il est déjà un percussionniste de talent « capable de conduire l’orchestre jusqu’à l’aube ». Mais si un instrument le fascine, c’est le qanun, qu’il entend à la radio. « Je l’ai dit à mon père, qui m’a promis que si j’avais mon bac il m’offrirait une cithare sur table. » Après l’examen, il reçoit en effet un petit qanun turc, et l’instrument lui réussit plutôt bien. « J’étais étudiant à la faculté de lettres, mais je travaillais déjà comme musicien dans les soirées, raconte-t-il. En tant que plus jeune cithariste, je passais à la télévision et j’étais très demandé. J’ai fini par quitter la fac pour rejoindre le conservatoire d’Égypte. » Salah El-Din étudie alors avec Kamel Abdallah et, surtout, Abdou Rachidi. « Je prenais trois quarts d’heure de cours chez lui et il me prenait tout mon argent. Et quand je lui demandais de répéter, il me donnait un exercice encore plus difficile. »

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Au début des années 1960, musicien accompli, il fonde son orchestre et fait de la figuration dans de nombreux films où il joue en play-back. « J’ai travaillé avec les grands de l’époque, le réalisateur Hassan al-Imam, l’acteur Mohamed Abdel Salam, mais je ne gagnais pas beaucoup, il n’y avait ni fiche de paie, ni sécurité sociale ! » En 1966, il fait partie de l’orchestre d’Égypte et achète un bureau dans le centre du Caire, doté d’une salle de répétition et d’un atelier de luthier. Face aux prix astronomiques demandés pour les qanuns, Salah El-Din a décidé d’en fabriquer lui-même. « J’ai appris chez les maîtres, en payant les repas, le narguilé, le café, et en observant. J’ai acheté quelques outils et j’ai commencé comme ça, avec des pièces et du bois provenant de vieux pianos. » Il lui faudra trois mois pour terminer et vendre à un client de la radio de Bagdad son premier qanun. Depuis, il en a fabriqué 168 !

C’est au début des années 1970 que le patron du cabaret El Djazaïr, à Paris, l’invite à jouer dans la capitale française. Après hésitation, va pour six mois… et pour la vie. « Le travail à El Djazaïr, c’était un rêve, on était payés 100 francs par nuit, on prenait le couscous avec le personnel. C’était le seul endroit où l’on pouvait écouter de la musique arabe, admirer la beauté des femmes, boire du bon vin, croiser Jean-Paul Belmondo, Alain Delon et de grandes vedettes d’Algérie… Mais je devais prendre mes vacances en secret, quand le patron partait à Oran. » De 1972 à 1982, Salah El-Din donne ses nuits au cabaret, jusqu’à ce que la succession des bagarres et la mort de deux personnes entraînent sa fermeture par les autorités.

Armé de son qanun, le cithariste vit de cours, participe à des émissions télévisées, joue dans le film Alexandrie… New York de Youssef Chahine et, surtout, accompagne la chanteuse libanaise soeur Marie Keyrouz pendant dix-huit ans. N’y aurait-il donc que les maqams dans cette vie d’homme ? Non, il y a aussi une femme, kabyle, épousée en 1973, et une fille. Mais il évacue le sujet : « Nous n’avons plus de contact. » De loin, celui qui vit dans un petit logement social de Pantin préfère évoquer son travail avec les chanteurs libanais Nouhad Tarabay et Esther Dalal. Mais sa plus grande fierté, ces derniers temps, c’est d’avoir travaillé avec le réalisateur franco-tunisien Abdellatif Kechiche, Palme d’or à Cannes cette année. Dans La Graine et le Mulet, Mohammed Salah El-Din apparaît quelques instants au côté de l’actrice Hafsia Hersi, alors qu’elle se livre à une danse du ventre restée dans les mémoires…

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