Algérie : les généraux « Toufik », Nezzar et Benhadid définitivement réhabilités

En 2019, ces trois figures sécuritaires avaient fait l’objet du courroux d’Ahmed Gaïd Salah, alors homme fort du pays après la démission d’Abdelaziz Bouteflika. Explications.

Khaled Nezzar (à g.) et Mohamed Médiène, dit « Toufik. © Montage JA, Saad pour JA

Publié le 5 août 2022 Lecture : 5 minutes.

C’est un scénario qu’il n’avait sûrement pas envisagé lors de son jugement le 23 septembre 2019 par le tribunal militaire de Blida pour complot « contre l’autorité de l’État et de l’armée ». Mohamed Médiène, dit « Toufik », directeur redouté du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) pendant vingt-cinq ans a été honoré le 4 août par le président Abdelmadjid Tebboune à l’occasion de la journée nationale de l’Armée nationale populaire (ANP).

Une réhabilitation qui a concerné aussi un autre ex-détenu, le général Hocine Benhadid, ainsi que l’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar (1990-1993), inquiété également par la justice du temps de l’ex-chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah. Aucun d’entre eux n’était pas présent lors de la cérémonie pour des « raisons de santé ». Leurs médailles leur seront remises à leur domicile.

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Cette distinction des « anciens membres de l’ALN qui ont continué de servir le pays après l’indépendance » est intervenue à l’occasion de la Journée nationale de l’armée, désormais célébrée le 4 août de chaque année.

Le « complot » contre Gaïd Salah

D’autres militaires à la retraite ou en activité ont été également honorés par le président de la République au Cercle de l’armée, à Beni Messous, en présence du chef d’état-major, Saïd Chengriha. Parmi eux, l’ancien président Liamine Zeroual et trois  généraux à la retraite, Selim Sadi, Abdelmadjid Cherif et Mohamed Betchine.

Les généraux à la retraite Mohamed Médiène, Hocine Belhadid et Khaled Nezzar ont longtemps été dans le collimateur de l’ancien patron de l’armée Ahmed Gaïd Salah, qui a tenu plusieurs mois durant les rênes du pays après la démission forcée d’Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019.

Une semaine avant la chute de Bouteflika, Ahmed Gaïd Salah prend ses distances avec le chef de l’État et appelle même à sa destitution. Il soupçonne le frère et conseiller du président Saïd Bouteflika de comploter avec le général « Toufik » pour l’éliminer de la scène en relançant un vieux plan : proposer à Liamine Zeroual, en retrait de la vie politique depuis sa démission de la présidence en 1999, de diriger une période de transition. Mais celui-ci refuse.

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Le 16 avril 2019, Ahmed Gaïd Salah lance un dernier avertissement au général à la retraite « Toufik », l’accusant d’avoir participé à des réunions secrètes « afin  d’entraver les solutions de l’Armée nationale et les propositions de sortie de crise ». À l’origine de ces accusations ? Une rencontre entre Saïd Bouteflika et le général Toufik, le 27 mars 2019, dans une résidence officielle sur les hauteurs d’Alger. Le vent de la contestation menace d’emporter Abdelaziz Bouteflika et son clan avec lui.

Dans l’après-midi, le duo est rejoint par Louisa Hanoune, qui refuse, selon ses dires, la piste Zeroual et réclame une période de transition placée sous l’égide de la société civile. La conversation est écoutée par les services de sécurité et transmise à Ahmed Gaïd Salah. Ce dernier se jure de sévir. La sanction tombe début mai, un mois après la démission d’Abdelaziz Bouteflika.

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Le général à la retraite Toufik ainsi que Saïd Bouteflika et la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT) Louisa Hanoune sont placés sous mandat de dépôt par le tribunal militaire de Blida. Les trois prévenus sont condamnés en septembre 2019 à quinze ans de prison lors d’un procès éclair pour « complot contre l’autorité de l’État et de l’armée ». Mais Ahmed Gaïd Salah décède le 23 décembre 2019 des suites d’une crise cardiaque. Les trois condamnés sont finalement acquittés en appel par la Cour militaire de Blida le 2 janvier 2021.

Les cas Nezzar et Benhadid

Quant à Khaled Nezzar, il est entendu le 14 mai 2019 dans le cadre de la même affaire, d’abord en tant que témoin. Il déclare devant le tribunal que Saïd Bouteflika, qui ne dispose d’aucun pouvoir constitutionnel, envisageait d’instaurer l’état d’urgence et de démettre le général Gaïd Salah afin de mettre fin à la fronde contre le président. Il précise que Saïd Bouteflika l’a consulté sur cette feuille de route, que le général Nezzar lui a déconseillé d’appliquer. Il ressort libre du tribunal.

Mais quand, le 15 juillet 2019, Khaled Nezzar s’en prend ouvertement au général Gaïd Salah en écrivant sur son compte Twitter que « l’Algérie est prise en otage par un individu brutal qui a imposé le quatrième mandat et inspiré le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika », il passe du statut de témoin à celui d’accusé. Un mandat d’arrêt international est émis contre lui en août, alors qu’il se trouve en Espagne.

Condamné par contumace à vingt ans de réclusion criminelle pour « complot contre l’autorité de l’armée et atteinte à l’ordre  public », l’ex-ministre de la Défense rentre en décembre 2020 en Algérie pour liquider son mandat d’arrêt international auprès du tribunal militaire de Blida, qui le remet en liberté. Sa réhabilitation est déjà en bonne voie.

Commandant de la 3e Région militaire et de la 8e division blindée, réputé pour son engagement dans la lutte antiterroriste, le général à la retraite Hocine Benhadid était lui aussi dans le viseur d’Ahmed Gaïd Salah. En septembre 2015, l’ancien chef d’état-major le fait placer en détention provisoire pour « outrages à corps constitués » après un scandale de mœurs à l’École de formation des officiers de Blida, qu’il dirige alors.

Libéré dix mois plus tard pour raisons de santé, Hocine Benhadid est condamné en mars 2018 à une année de prison avec sursis. Un an plus tard, retour à la case prison, cette fois pour avoir dénoncé le pouvoir absolu d’Ahmed Gaïd Salah. Placé en détention préventive, il est alors poursuivi pour « atteinte à la sécurité de l’État et au moral de l’armée ».

Hocine Benhadid est finalement libéré une dizaine de jours après le décès d’Ahmed Gaïd Salah. Son successeur Saïd Chengriha fait restituer son passeport diplomatique au général Benhadid. Le 4 juillet 2020,  Hocine Belhadid reçoit le chef d’état-major à son domicile, pour une visite de courtoisie au cours de laquelle ce dernier l’invite à prendre part à la cérémonie célébrant le 58e anniversaire de l’indépendance, durant laquelle il reçoit les honneurs de hauts gradés, ainsi que ceux de responsables civils.

Trois ans après leur disgrâce, les trois généraux sont ainsi définitivement réhabilités.

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