Égypte : au revoir et Morsi ! Retour sur un coup de force révolutionnaire

Il n’aura tenu que l’espace d’un Printemps arabe. Un an après son élection, Mohamed Morsi, le président islamiste d’Égypte, a été déposé, il y a tout juste une semaine, sous la pression de la rue, qui a reçu l’appui de l’armée. Et maintenant ?

Sur la place Al-Tahir du Caire, le 3 juillet. On brandit le portrait du général Sissi. © Khaled Desouki/AFP

Sur la place Al-Tahir du Caire, le 3 juillet. On brandit le portrait du général Sissi. © Khaled Desouki/AFP

Publié le 11 juillet 2013 Lecture : 7 minutes.

Une nouvelle fois, les Égyptiens ont renversé leur raïs. Le deuxième en moins de trois ans. Quatre jours durant, des millions de manifestants se sont mobilisés pour obtenir le départ de Mohamed Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans et premier président civil démocratiquement élu (il y a un an). « Ce sont les plus grandes manifestations de toute notre histoire », indique une source anonyme au sein de l’armée. L’armée qui, depuis la nomination de son nouveau chef, le général Abdel Fattah al-Sissi (il préside le Conseil suprême des forces armées), s’était prudemment tenue éloignée du jeu politique… mais qui est revenue sur le devant de la scène pour destituer le chef de l’État, le 3 juillet.

Ironie du sort, c’est Morsi lui-même qui, en août 2012, avait choisi Sissi pour remplacer le maréchal Hussein Tantawi, au lendemain d’une attaque visant des gardes-frontières dans la péninsule du Sinaï (16 morts). On croyait l’ancien patron des renseignements militaires proche des Frères musulmans, son oncle étant une figure de la confrérie. Et pourtant… Dans une allocution télévisée, le 3 juillet, Sissi a répondu aux revendications des manifestants : Adly Mansour, chef de la Haute Cour constitutionnelle, est nommé président par intérim, la Constitution est suspendue et un comité d’experts aura pour mission de réviser ses articles controversés.

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De graves pénuries de carburant

À l’origine de la mobilisation : Tamarod (« rébellion »), un mouvement de jeunes militants prorévolution, qui avait fait circuler ces dernières semaines une pétition réclamant le départ de Mohamed Morsi et dit avoir recueilli plus de 22 millions de signatures. Les détracteurs du président lui reprochaient de ne pas avoir engagé les réformes politiques, économiques et sociales correspondant aux aspirations des révolutionnaires de janvier et février 2011. Plus concrètement, les Frères étaient accusés de vouloir s’accaparer le pouvoir, et leur mauvaise gestion des affaires publiques était sous le feu des critiques. Frappés de plein fouet par la reprise de l’inflation (8 % actuellement, alors qu’elle était tombée à 4 % en octobre 2012), les Égyptiens sont aussi confrontés à de graves pénuries de carburant et d’électricité. La semaine précédant les manifestations du 30 juin, les rues du Caire étaient paralysées par d’interminables files d’attente devant les stations-essence. Quant au sentiment d’insécurité, il est exacerbé.

>> Lire aussi : Les raisons de la chute de Morsi

Or, pendant un an, les Frères musulmans se sont montrés hermétiques à toute critique. La confrérie et ses partisans expliquaient que tous ces maux étaient imputables à l’ancien régime, dont les partisans, disaient-ils, utilisaient le canal des médias privés pour provoquer une contre-révolution. Alors que l’armée lui avait fixé un ultimatum de quarante-huit heures pour « satisfaire les revendications du peuple », le président Morsi a choisi, lors de son discours du 2 juillet, de défendre sa légitimité acquise par les urnes, appelant au dialogue avec l’opposition sans lui offrir de réelles concessions. La veille, Mohamed al-Beltagui, l’un des cadres du Parti de la liberté et de la justice (PLJ, bras politique des Frères musulmans), jurait à ses ouailles devant la mosquée Rabia al-Adawiya, à l’est du Caire, « qu’un coup d’État ne pourrait avoir lieu qu’en nous passant sur le corps et en versant notre sang ». « Les Frères savaient qu’ils vivaient la dernière bataille d’une longue guerre entamée il y a quatre-vingts ans, souligne Alaa al-Din Arafat, chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej), au Caire. C’était leur dernière chance pour se maintenir sur la scène politique, et ils se sont accrochés. »

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Aujourd’hui, l’avenir de la confrérie est plus qu’incertain. La chasse aux sorcières est ouverte. L’ancien chef de l’État est détenu au ministère de la Défense. Saad al-Katatni, le président du PLJ, a été arrêté. Selon le quotidien Al-Ahram, près de 300 mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de dirigeants du mouvement. Au moment où Sissi s’exprimait devant des millions d’Égyptiens, les forces de sécurité interpellaient les propriétaires de plus d’une trentaine de chaînes islamistes qui ont vu la diffusion de leurs programmes interrompue. « Ils vivent la plus grave crise politique de leur histoire », affirme Amr Hashem Rabie, du Centre des études politiques et stratégiques Al-Ahram.

Pour autant, il serait prématuré de croire que les Frères vont quitter la scène. « Si leurs chances de remporter un scrutin présidentiel sont faibles désormais, ils restent en mesure de remporter facilement des élections législatives car elles reposent sur des allégeances tribales et sur la popularité locale des candidats », explique Rabie. Plutôt que de chercher à exclure les Frères de la vie publique, insiste le chercheur, il est essentiel de les intégrer aux institutions de l’État et dans la société « pour éviter que la confrérie ne replonge dans la clandestinité ».

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Adly Mansou prête serment en tant que président de la transition, au Caire, le 4 juillet.

Adly Mansour prête serment en tant que président de la transition, le 4 juillet. © Ahmed Asad/Apa images/SIPA

Un juge à la présidence

Il n’a rien demandé à personne. Pourtant, du jour au lendemain, Adly Mansour, 67 ans, est passé de la présidence de la Haute Cour constitutionnelle (HCC) à la présidence tout court. Les Égyptiens ont découvert ce magistrat chenu, à l’air sérieux, à l’aise pour s’adresser à la nation. « Je demande aux révolutionnaires de ne pas quitter la place Al-Tahrir. Que les Égyptiens y restent pour écrire les versets de la révolution noble et éternelle », a-t-il déclaré, lyrique, lors de sa cérémonie d’investiture, le 4 juillet. Ce père de trois enfants, jusque-là inconnu du grand public, avait été nommé en mai à la tête de la HCC par Mohamed Morsi. Depuis 1992, il était l’adjoint du président de cette cour, après avoir occupé diverses fonctions au sein du Conseil d’État. Diplômé de la faculté de droit de l’université du Caire, il a également étudié à la très prestigieuse École nationale d’administration (ENA) française. Nouveau venu en politique, Mansour devra diriger un gouvernement de technocrates, chargé de la gestion du pays jusqu’à l’organisation de nouvelles élections, législatives et présidentielle. Se voulant rassembleur, il a indiqué que « les Frères musulmans faisaient partie du peuple » et étaient « invités à participer à la construction de la nation. »

Batailles

À l’étranger, l’intervention de l’armée a été perçue comme un coup d’État silencieux rappelant qui tient réellement les rênes du pays. De fait, les militaires ont la mainmise sur de larges pans de l’économie, et la Constitution les soustrait à tout contrôle des autorités civiles. Mais alors que ses détracteurs rappellent le bilan négatif du Conseil suprême des forces armées durant la première période de transition (qui avait suivi la chute de Hosni Moubarak), difficile d’imaginer que le commandement militaire refera les mêmes erreurs. « Il n’est pas dans l’intérêt de l’armée d’être un acteur essentiel de la vie politique, elle a tiré des leçons du passé, explique Alaa al-Din Arafat. Les militaires joueront un rôle important, mais en coulisse. À l’image de leurs homologues turcs, ils interviendront quand ils auront l’impression que la transition démocratique déraille. »

Soucieux de se doter d’une légitimité populaire et d’éviter à tout prix que la destitution de Morsi ne passe pour un coup d’État, le général Sissi s’est entouré, lors de son allocution télévisée, d’Ahmed al-Tayeb, le cheikh d’Al-Azhar, de Tawadros II, le pape de l’Église copte orthodoxe, de l’opposant Mohamed el-Baradei, naguère patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique et Prix Nobel de la paix, et de Mahmoud Badr, un coordinateur de Tamarod.

D’autres estiment également que l’intervention de l’armée a permis d’éviter un bain de sang. Ces dernières semaines déjà, plusieurs locaux appartenant aux Frères musulmans ont été saccagés et incendiés à travers le pays. Le 2 juillet, alors que Morsi insistait sur la légitimité qu’il tire des urnes, la capitale était le théâtre de batailles de rue entre ses partisans et ses opposants, avec échanges de coups de feu et jets de cocktails Molotov. Près de l’université du Caire, où les islamistes ont organisé un sit-in, au moins 18 personnes sont mortes et 200 ont été blessées. Depuis le passage en force de la Constitution, en novembre 2012, l’absence de dialogue entre le camp islamiste et ses adversaires s’est traduite par une recrudescence de la violence.

Mohamed Morsi lors de sa dernière allocution, le 3 juillet.

Mohamed Morsi lors de sa dernière allocution, le 3 juillet. © AFP

Aujourd’hui, alors que le pays s’engage dans une seconde période de transition, les défis sont nombreux. Adly Mansour, le successeur de Morsi, a entamé des négociations pour former un gouvernement de technocrates et devrait rapidement publier une « Constitution temporaire ». La date du 3 juillet 2013 rappelle étrangement celle du 11 février 2011, qui avait vu la chute de Moubarak : le pays revient à la case départ. Mais avec de nouveaux espoirs.

L’évolution de l’économie entre Moubarak et Morsi. © Jeune Afrique

Obama à contretemps

Sur la place Al-Tahrir, le président Morsi et les Frères musulmans n’étaient pas les seuls ennemis des manifestants. Nombre d’entre eux brandissaient des portraits d’Anne Patterson, l’ambassadrice des États-Unis en Égypte, barrés d’une croix rouge. Quelques jours avant le début des manifestations, la diplomate avait en effet déclaré : « Certains affirment que la pression de la rue donnera de meilleurs résultats que des élections. Pour être honnête, mon gouvernement et moi en doutons fortement. » Des propos interprétés comme un soutien sans équivoque à Mohamed Morsi. Et ce soutien n’a visiblement pas faibli après la destitution de ce dernier. « La décision des forces armées égyptiennes de déposer le président et de suspendre la Constitution nous inquiète profondément », a affirmé Barack Obama le 3 juillet. Le président américain a appelé l’armée « à rendre aussitôt que possible le pouvoir à un gouvernement civil démocratiquement élu », ajoutant que, « au vu des derniers développements », il avait demandé aux départements et agences concernés de « réexaminer » les conditions de l’aide que les États-Unis versent à l’Égypte (1,5 milliard de dollars – 1,2 milliard d’euros – par an). Des menaces à peines voilées.

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