Afrique du Sud : une exposition sur Johannesburg à la Maison Rouge de Paris

À l’occasion de la saison de l’Afrique du Sud en France, l’exposition « My Joburg » brosse le portrait de la ville la plus peuplée du pays à travers les regards variés d’une cinquantaine d’artistes.

« Orlando West Swimming Pool », Orlando West, Soweto, 2009. © Jodi Bieber

« Orlando West Swimming Pool », Orlando West, Soweto, 2009. © Jodi Bieber

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 9 juillet 2013 Lecture : 5 minutes.

C’est un tableau noir sur lequel, minutieusement collées, des fibres végétales dessinent le plan d’une ville – comme si la nature venait reprendre ses droits, longtemps bafoués par les desseins humains. A Garden Carpet For Johannesburg (2012) est une oeuvre du plasticien sud-africain Gerhard Marx présentée par la Maison rouge (Paris) jusqu’au 22 septembre, à l’occasion de l’exposition collective « My Joburg », dans le cadre de la saison de l’Afrique du Sud en France. Dans le catalogue, imprimé de manière fort originale comme un « guide de la scène artistique » de la capitale du Gauteng, Marx s’exprime ainsi : « J’ai collecté ces végétaux dans des interstices de Johannesburg : sur des trottoirs, des terrains vagues ou laissés à l’abandon, en ramassant aussi des déchets et des mauvaises herbes. […] A Garden Carpet nous parle des zones où le plan perd de son emprise sur l’espace physique qu’il décrit, tandis que l’acte incarné, pédestre, de la collection, contredit la vision désincarnée que présente le plan. »

Voilà le bon viatique pour se lancer à l’assaut d’une exposition qui, elle-même, tente de brosser le portrait d’une ville complexe à travers les regards variés d’une cinquantaine d’artistes. Plusieurs possibilités s’offrent au visiteur, selon qu’il est plus ou moins aventureux. Suivre les sentiers battus ou se perdre par les chemins de traverse d’une cité où la voiture domine et où le piéton peut avoir du mal à s’y retrouver. De l’argentique en noir et blanc aux couleurs parfois trop réelles du numérique, observer les mutations du pays à travers l’objectif de David Goldblatt, véritable père de la photographie sud-africaine, ou à travers celui des jeunes photographes du Market Photo Workshop que sont Matthew Kay, Dahlia Maubane et quelques autres. S’interroger sur la persistance du rejet des homosexuels avec la série Faces and Phases de la militante lesbienne Zanele Muholi ou avec le travail délicat de Paul Emmanuel sur l’identité masculine… Autant de possibilités à grappiller en déambulant que d’envies à écouter tant les propositions des artistes sont riches et variées.

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Dialogue

Et si la ville née d’une ruée vers l’or en 1886 était aujourd’hui le théâtre d’une ruée vers l’art – situation exceptionnelle sur un continent qui a plutôt tendance à exporter ses talents qu’à les garder précieusement ? « Il y a véritablement un terroir propice, explique Paula Aisemberg, la commissaire de l’exposition, dans la mesure où l’on trouve à Johannesburg des musées, des collectifs d’artistes, une foire d’art contemporain, des galeries comme Afronova, Momo, Goodman, Read, Stevenson qui envoient leurs plasticiens à l’étranger pour participer à des rencontres internationales. » Et elle ajoute : « L’année dernière, un musée a ouvert au sein de l’université du Witwatersrand respectant tous les standards internationaux, avec un beau bâtiment, de belles collections… Il y a des collectionneurs sud-africains et même des compagnies, comme la Standard Bank ou la SABC, qui constituent des collections et exposent dans leurs locaux. » Ce n’est pas encore l’eldorado, mais c’est déjà beaucoup.

Cette effervescence créative, relative comparée à celles de villes comme Londres, New York ou même Paris, a pour particularité d’être fraîchement modelée par l’Histoire. « Il y a là une vraie scène, qui a toute sa place dans le monde de l’art, poursuit Paula Aisemberg. Mais si les artistes voyagent, leur ancrage dans des réalités qui sont les leurs demeure fort. Ils sont directement politiques, s’expriment sur des sujets de société, sur l’état de leur ville. »

L’un des plus grands mérites de l’exposition « My Joburg » est sans doute de parvenir à expliquer la ville grâce à un subtil dialogue entre les oeuvres, sans verser dans la facilité des clichés plombants sur l’apartheid ou les difficultés d’une jeune démocratie. Les commissaires ont réussi à brosser un portrait contemporain qui raconte aussi plus de un siècle d’existence.

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Ainsi, une fois passé l’inévitable portrait de Nelson Mandela par David Goldblatt, les artistes Dorothee Kreutzfeldt et Bettina Malcomess projettent d’entrée le visiteur dans la réalité économique qui présida à la naissance de « Jozi ». Une photographie sidérante montre ainsi des dizaines d’ouvriers et de contremaîtres africains, européens et asiatiques venus participer à l’exploitation de l’or contenu dans les roches du Witwatersrand. « Plus de 40 % de tout le minerai d’or jamais extrait dans l’histoire du monde provient de ces gisements », est-il affirmé dans le guide-catalogue. Cette extraction se fit bien entendu aux dépens d’une main-d’oeuvre exploitée. À sa manière, le plasticien Robin Rhode vient opportunément le rappeler avec Spade, une pelle recouverte d’or pur plantée dans du charbon. Comme souvent, ceux qui creusaient n’étaient pas ceux qui empochaient…

Mouton

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Des années d’exploitation minière ont modelé la géographie superficielle et souterraine de la ville, et continuent aujourd’hui d’en dessiner le paysage. De 1899 à 1939, un énorme terril composé de roche réduite en poudre s’est progressivement élevé jusqu’à 50 m de haut. Contenant plus de 5 millions de tonnes de déchets miniers traités chimiquement, il fut baptisé Top Star et accueillit dans les années 1960 un cinéma drive-in. Puis, au milieu des années 2000, l’affinage des méthodes d’extraction permettant d’en extraire des résidus d’or, il fut de nouveau creusé… De toute cette histoire, qui est aussi celle des tensions entre possédants et laissés-pour-compte, William Kentridge propose une synthèse stupéfiante avec un film dessiné – caractéristique de l’ensemble de son oeuvre – intitulé Other Faces. Mais il n’est pas le seul à suivre la piste de l’or ! Avec une certaine ironie et un goût de la provocation, Kendell Geers joue de la pierre philosophale artistique en transformant un tesson de bouteille de bière Heineken (intitulé Autoportrait) en tesson de bouteille de bière… en or (Mined). D’autres s’intéressent au métal précieux d’une autre manière, comme le photographe Santu Mofokeng, qui, à travers sa série Radiant Landscapes, explora la question de la pollution provoquée par les drainages miniers acides (DMA), des écoulements toxiques provoqués par l’oxydation de la pyrite de fer, une des conséquences négatives de l’extraction minière qui a transformé le sous-sol de Joburg en gruyère.

De rue en rue, Willem Boshoff invite pour sa part à une « marche druidique » en exposant les cannes qui l’aidèrent à avancer le long de Main Reef Road – il a été gravement atteint par le saturnisme -, en observant les inter­actions entre les hommes, le paysage urbain et la nature. Son oeuvre Tipping the Scale oppose sur une balance une crotte de mouton et deux pépites de pyrite polie, connue sous le vocable « or des fous ». Un point de vue sur la condition humaine, entre simplicité des lois naturelles et folie des ambitions ? Oui, un point de vue comme un autre. Sortant de l’exposition, chacun aura très certainement l’impression de mieux connaître la ville, mais personne n’aura emprunté le même itinéraire. Sans doute le plaisir d’une telle promenade vaut-il tout l’or du monde.

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