Aimé Césaire : le maire et le président

Texte de Nomrod, écrivain tchadien, publié en juin 2013 à l’occasion du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire.

Aimé Césaire, photographié en janvier 2007 à Fort de France. © AFP

Aimé Césaire, photographié en janvier 2007 à Fort de France. © AFP

Publié le 25 juin 2013 Lecture : 2 minutes.

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Césaire, par l’amour qu’il vouait à sa grand-mère dioula, soutenait avec délicatesse être un sénégalais. Il ne reconnaissait pas seulement la qualité de griot à son ami Léopold Sédar Senghor. Il faisait son portrait en « inventeur du peuple », au même titre que lui. La nation, Senghor et Césaire la célèbrent l’un et l’autre. À leur tour, Martiniquais et Sénégalais ont reçu de l’Histoire la tâche de fêter leur poète aux siècles des siècles. Heureux les gens dont le maire ou le président sont des poètes. Surtout un maire.

Le nom par lequel le français désigne un bourgmestre se décline facilement en mère, mare (mer océane en latin) ou maître. Césaire n’était pas seulement un giron maternel pour les siens, il était aussi leur océan. Ce fut toujours de plain-pied, et toujours à la même échelle de réalité qu’il subissait ses revers. Il habitait avec ses semblables, sillonnait les rues de Fort-de-France, ses quartiers, son marché, en se mêlant à ses fêtes, ses deuils, ses mariages, ses naissances. Nous aimons les magistrats municipaux parce qu’ils sont accessibles comme les plus grands (major en latin) d’entre nous : ils constituent des intendants de nos faits et gestes. Ils accueillent nos suffrages et doléances sans intermédiaire. En retour, nous leur conférons « l’honneur infatigable ».

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Un chef d’État approche son peuple de la même façon, tout auguste qu’il soit. Son échelle à lui n’est ni le village ni la ville, mais le pays, cet autre océan. Aussi s’entoure-t-il de tant de ministres qui, à bien y regarder, sont ses intendants nationaux. Le président représente sa nation à l’intérieur et à l’extérieur d’un continent de désagréments. Ses charges sont si assommantes qu’il faut l’exiler dans un palais : c’est là qu’il souffle de temps en temps. À lui sont dévolues la puissance, la gloire et la faculté de donner la mort. C’est un dieu qui peut devenir un Léviathan. Il est aussi le seigneur des armées. Voilà ce qui le différencie du maire et des dieux qui, à dire vrai, ne sont que des symboles. Personne ne s’avise d’attenter à leur vie pour un désaccord, une divergence d’opinions, une déception affective ou métaphysique.

Diriger un État est un art poétique dont l’essence est la générosité. Tel est le piège pour le peuple et ses dirigeants : la tragédie est attachée au gouvernement puisqu’il suscite aussi des jalousies meurtrières. Veut-on une preuve ? Les fous et les illuminés se disent volontiers Napoléon, Jésus-Christ, Dieu ou Allah. Le gouverneur suprême incarne un destin à tout le moins monstrueux. Notre intolérance envers Senghor vient de là. Même pour ses compatriotes, son action reste très mal perçue. Il fut poète, c’est-à-dire griot et, à ce titre, ils ne pouvaient se résoudre ni à le flatter ni à le flouer.

Césaire, le metteur en scène de La Tragédie du roi Christophe et d’Une saison au Congo, avait pour Senghor un amour plus que fraternel. Cet amour venait du poème, qui est l’art d’aimer les gens. Nul autre qu’eux ne pouvait le mesurer avec plus d’acuité. Heureux les peuples dont le maire ou le président sont des poètes.

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