Cinéma : Miriam Makeba toujours « so alone »
Le réalisateur Ramadan Suleman peine à terminer un documentaire consacré à la militante sud-africaine. Faute de financements.
À en croire les tout récents chiffres dévoilés par la National Film and Video Foundation, l’organisme créé après la disparition du régime de l’apartheid pour promouvoir les activités cinématographiques en Afrique du Sud, tout va bien dans son secteur. L’industrie du film connaîtrait une croissance de 14 % par an depuis 2008 et emploierait aujourd’hui 40 000 personnes, dont 66 % de Noirs. Des statistiques totalement trompeuses, affirme le plus connu et le plus respecté des cinéastes sud-africains, Ramadan Suleman, auteur de deux films remarquables, Lettre d’amour zoulou (Tanit d’argent à Carthage en 2004) et Fools (1997), le premier long-métrage de fiction réalisé par un Noir après l’avènement de la démocratie.
Ces chiffres mélangent en effet toutes les activités du secteur audiovisuel et ne rendent absolument pas compte de l’état déplorable du cinéma sud-africain. Et en particulier de la réalisation issue de la majorité noire, sur laquelle on avait pu fonder beaucoup d’espoirs à la fin des années 1990 et au début des années 2000 avant de constater que rien d’intéressant n’était plus produit depuis. Le parcours de Suleman, rencontré lors du dernier Festival de Cannes, où il recherchait des partenaires pour parachever le financement de son principal projet en cours, un documentaire sur la célèbre chanteuse Miriam Makeba, décédée en 2008, en témoigne à lui seul.
L’histoire n’intéresse pas les autorités sud-africaines.
Panafricanisme
L’idée de ce film lui est venue lors de la seconde édition du Festival panafricain d’Alger, en 2009. « Quarante ans après la première édition, j’ai été chargé par les autorités algériennes de réaliser un film sur le panafricanisme, que j’ai voulu consacrer surtout aux fondateurs de ce mouvement qui est allé de pair avec la libération de l’Afrique du colonialisme et de l’impérialisme. » Le film en question devait être financé également par d’autres pays et des institutions du continent. Mais alors qu’il est déjà entièrement tourné, il n’est toujours pas terminé. « Car, détaille le réalisateur, à part Alger, personne n’a voulu contribuer à sa postproduction [montage, etc.]. Pas même mon pays, pourtant on ne peut plus concerné par un tel sujet qui croise l’aventure de l’ANC. L’Histoire, apparemment, ne l’intéresse pas ! » Mais ce travail aura permis au Sud-Africain de retrouver parmi les archives algériennes des images de Miriam Makeba à l’époque où elle menait son combat contre l’apartheid, notamment à Alger. « Des documents si intéressants qu’ils m’ont immédiatement donné l’envie de consacrer mon prochain film à cette femme extraordinaire qui venait de mourir », confie-t-il.
Lloto
Mais pas plus que pour le film sur le panafricanisme Suleman, malgré sa notoriété, n’a pu mobiliser jusqu’à ce jour un véritable financement en Afrique du Sud. « Il existe certes cette fondation qui doit promouvoir le cinéma. Mais elle n’a aucune vision stratégique de ce qu’elle devrait soutenir comme projets et, de fait, elle se désintéresse totalement de tout ce qui n’est pas dans l’esprit hollywoodien. Tout comme la télévision publique, de surcroît aujourd’hui en faillite. » Alors, comme son film sur Miriam Makeba entend évoquer non pas tant la chanteuse mondialement célèbre mais surtout la femme qui paya pendant plus de trente années d’exil son combat contre le régime raciste, il ne retient pas l’attention de ceux qui devraient l’aider à le mener à bien.
« On m’a annoncé tout récemment comme une très bonne nouvelle que je pourrais disposer de 20 000 euros pour acheter des archives. Alors qu’il faut payer environ 7 000 euros la minute d’archives aux télévisions et que le budget prévisionnel total du film est de 800 000 euros. » Il se veut pourtant optimiste, grâce à l’appui de producteurs français et parce qu’il a l’espoir d’obtenir des fonds… du loto sud-africain. Afin de pouvoir enfin passer d’ici à la fin de l’année à la réalisation proprement dite du film. Dont le titre, Oh, so Alone, celui d’une chanson mélancolique de Miriam Makeba, évoque surtout pour l’instant… le parcours du combattant Suleman.
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